Le Parlement chinois réuni en session annuelle à Pékin ne s’est pas contenté d’ôter toute limite légale au renouvellement du mandat présidentiel de Xi Jinping, il a poursuivi ses travaux et entamé un profond remaniement des organes du gouvernement. Moins de ministères et plus de concentration des pouvoirs pour plus d’efficacité, telle semble être la ligne de force principale de ce remaniement.
Quinze ministères et secrétariats d’État disparaissent. Plusieurs sont regroupés au sein d’un super-ministère de l’Environnement écologique et un ministère des Ressources naturelles est créé, centralisant les décisions d’allocation des ressources auparavant aux mains des localités, précise le webzine The Diplomat.
Un organe anticorruption placé au-dessus du Parquet
Mais c’est surtout la création d’une Commission nationale de supervision chargée de la lutte anticorruption qui retient l’attention des commentateurs, et suscite même quelques remarques critiques de la part des milieux juridiques. De rang hiérarchique gouvernemental supérieur à celui du Parquet suprême et du Tribunal suprême, le fonctionnement de la Commission de supervision sera régi par une loi dont le textedevrait être voté le 20 mars, jour de clôture de la session parlementaire.
Cette Commission est censée poursuivre et approfondir la campagne de lutte contre la corruption lancée par Xi Jinping en 2012. Conduite jusqu’à présent par la Commission de discipline du Parti communiste, cette campagne a permis la destitution de dizaines de hauts responsables, et l’imposition de sanctions à des centaines de milliers de fonctionnaires depuis 2012 – 527 000 rien que pour l’année 2017, dont 58 de haut rang, selon les chiffres de la Commission cités parThe Diplomat.
Le service public dans le collimateur
Pourtant, cette campagne de discipline interne au Parti, qui débouchait dans les cas les plus graves vers des poursuites judiciaires, était “limitée” aux membres du Parti. La nouvelle Commission pourra, elle, mener l’enquête sur toutes les personnes exerçant des missions d’administration au sein du service public : “Les fonctionnaires, les gestionnaires d’entreprises d’État, d’établissements scolaires et médicaux, les responsables d’administrations locales et tous ceux qui exercent une mission de service public”, détaille le quotidien singapourien Lianhe Zaobao. Qui plus est, elle sera expressément autorisée par la loi à placer les personnes en détention :
Aux personnes suspectées d’avoir commis de graves crimes ou des manquements professionnels, qui pourraient s’enfuir ou se suicider, l’autorité pourra appliquer une mesure de détention pour enquête allant jusqu’à six mois”.
L’institution de ce nouveau mode de détention pour enquête est une manière d’officialiser et de légaliser une pratique déjà existante, mais restée jusqu’à présent dans une zone grise, écrit le South China Morning Post. Une méthode connue familièrement sous le nom de “shuanggui” (double règle) et précédemment exercée par la Commission de la discipline, et en dehors de tout cadre juridique, a jusqu’à présent interpellé, détenu et interrogé les membres du Parti soupçonnés de malversations. La nouvelle procédure “donne un cadre légal et standardisé à la campagne anticorruption”, selon un commentaire d’un responsable cité par le journal.
Inquiétudes sur les droits à la défense
Les juristes défenseurs des droits de l’homme avaient maintes fois critiqué ce système de détention exercé au sein du Parti communiste et hors de tout cadre légal. Bien qu’ils aient été réduits au silence par une répression accrue ces dernières années, certains expriment encore leurs doutes quant à la légalisation de ce système.
Le projet de loi sur la supervision prévoit des mesures de garantie des droits des personnes suspectées, commente le Lianhe Zaobao, mais les juristes estiment que ces mesures sont insuffisantes. “Selon le directeur du Centre de recherche sur la constitution et l’administration de l’université de Pékin, Jiang Ming’an, le projet de loi ne prévoit pas la présence d’un avocat auprès de la personne faisant l’objet d’une enquête, ce qui peut affecter les droits à la défense”. De son côté, l’avocat Si Weijiang, du cabinet Debund de Shanghai, cité par le journal, souligne que la Commission étant définie comme un organe politique – elle est l’émanation du Parlement – on ignore encore si elle sera soumise au code de procédure pénale.
Agnès Gaudu
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