Le conflit entre les Etats-Unis, puissance établie, et la Chine, puissance montante, structure aujourd’hui dans une large mesure la géopolitique mondiale. Le déploiement de la puissance chinoise opère dans trois espaces historiques et géostratégiques à la fois distincts et interdépendants :
• L’Extrême-Orient/Pacifique Nord. Une zone privilégiée pour les ambitions impérialistes des Etats-Unis au XIXe siècle, face au Japon. L’actuel conflit coréen s’inscrit notamment dans cet espace historique avec, en particulier, deux modifications majeures : l’effacement des puissances européennes ; le rôle propre de la Chine.
• La « marche à l’Ouest ». Initiée par Xi Jinping et incarnée par les nouvelles « routes de la soie », elle pour horizon l’entièreté de l’Eurasie, du Moyen- et du Proche-Orient, de l’Afrique du Nord-Est et du Nord. Symboliquement, le nouvel impérialisme chinois prend à rebours les voies de l’expansion initiale, au sein du « Vieux Monde », des impérialismes européens traditionnels.
• L’espace mondial. La Chine capitaliste est devenu ces dernières années un acteur majeur sur tous les continents et en (presque) tous domaines, diplomatiques ou économiques. L’ambition s’affirme globale, incluant l’influence du modèle politique et culturel dont la Chine serait, aux yeux de Xi Jinping, porteuse.
Vue de Chine, l’époque durant laquelle les puissances européennes ont façonné la planète n’a représenté qu’une courte parenthèse avant que l’histoire ne retrouve son cours « normal » – à savoir la centralité chinoise. Cette vision sinocentrée qui prévaut en Chine offre un socle culturel solide à l’expansionnisme du nouvel impérialisme chinois – à l’instar de la vision européocentrée pour les impérialismes conquérants il y a deux siècles. Il s’agit de « projeter » la « civilisation chinoise », comme hier la « civilisation européenne ».
Pour Xi Jingping, le XXIe siècle deviendra le « Siècle chinois ».
I. La géopolitique de l’Asie orientale
Dès son accession au pouvoir, Xi Jinping s’est donné pour objectif essentiel d’affirmer l’hégémonie chinoise en Asie orientale, sur tous les plans : économique et financier, diplomatique et politique, militaire. Pas d’expansion internationale sans consolidation de son pouvoir régional.
L’influence chinoise peut s’affirmer à ses frontières nord (la Mongolie), mais elle bornée par la puissance russe (Sibérie), alors qu’elle est contestée, à l’ouest, par l’Inde, la concurrence dans le sous-continent étant rude (au Sri Lanka notamment).
Xi Jinping a abandonné les conceptions stratégiques défensives qui prévalaient durant l’ère maoïste : tout envahisseur se verrait confronté à une guerre du peuple dans l’immensité chinoise ; l’armée de terre et la capacité de mobilisation populaire étaient alors clés. Elles sont dorénavant offensives : pour assurer l’expansion du nouvel impérialisme, l’armée de mer, la navale, devient clé – tant pour des raisons générales (toute grande puissance doit assurer sa présence maritime dans le monde) que spécifiques : la Chine possède une immense façade maritime et doit s’assurer un accès sécurisé aux océans Pacifique et Indien. Or, ce n’est pas aujourd’hui le cas. De la péninsule coréenne à la péninsule malaisienne, un ensemble d’archipels (japonais, philippin, indonésien) font écran. Les détroits ouverts sur le large sont sous étroite surveillance US.
L’espace maritime appelé la mer de Chine (un terme que récusent les autres pays riverains) est de ce point de vue vital pour Pékin. L’une des premières décisions stratégiques de Xi Xinping fut de prendre le contrôle militaire de sa partie méridionale, décrétant qu’il s’agissait d’une « mer intérieure » sous autorité chinoise.
On peut distinguer trois phases dans la bataille pour le contrôle de la mer de Chine.
La phase conquérante. Pékin a bénéficié de la paralysie temporaire de Washington. Obama voulait certes recentrer la puissance US en faisant de l’Asie-Pacifique son « pilier », mais il est resté prisonnier du bourbier moyen-oriental. Peu après l’élection de Trump, Washington s’est retiré du Partenariat transpacifique (TPP), un accord multilatéral en formation, laissant le champ encore plus libre aux ambitions chinoises.
Dans ces conditions, Pékin a pu utiliser tous les leviers à sa disposition pour s’attacher et/ou neutraliser les pays riverains de la mer de Chine du Sud : puissance militaire écrasante, dépendance économique objective, incitations financières, influence politique (le modèle de développement capitaliste dirigiste et autoritaire convient à divers régimes de la région)...
Pékin a construit de toutes pièces sept îles artificielles qui abritent aujourd’hui d’importantes installations (pistes d’aviation, batteries de missiles sol-air et antinavires, hangars fortifiés, radars, systèmes de brouillages des communications…). Elles constituent ensemble un complexe cohérent, contrôlant l’approche de tous les points cardinaux. Des bombardiers stratégiques H-6K (à capacité nucléaire) se sont déjà posés là, un geste politique pour faire pièce aux B-52 des Etats-Unis.
La militarisation de la mer de Chine du Sud est effective, au profit de la Chine. Certes, Pékin ne peut interdire le passage de la VIIe Flotte US et bloquer le transit international, mais Washington ne peut « refouler » la présence chinoise sans engager un conflit de très haut niveau.
Pékin n’en est pas resté là. Le régime a revendiqué des possessions « historiques » plus au nord, contestant de façon très active le contrôle exercé par le Japon sur le micro archipel inhabité des Senkaku/Diaoyu (envoi sur zone de navires et d’aviation, création de zones d’exclusion aérienne..), testant à la fois les moyens de Tokyo et la détermination US.
La contre-offensive des Etats-Unis. Trump a finalement relevé le gang sur le terrain militaire, utilisant à cette fin la question nord-coréenne : menace d’intervention (y compris nucléaire), implantation de batteries de missiles antimissiles THAAD en Corée du Sud (qui neutralise l’essentiel du dispositif nucléaire déployé en Chine continentale), renforcement de la VIIe Flotte et utilisation de la base de Jeju au sud de la péninsule... La Chine a été effectivement militairement refoulée de cette partie du Pacifique nord. Elle est longtemps restée politiquement et diplomatiquement marginalisée par rapport à la crise coréenne qui s’est jouée entre Washington, Pyongyang et Séoul.
La nouvelle configuration du conflit régional. Washington veut aujourd’hui poursuivre sur son avantage. Pour Jim Mattis, secrétaire d’Etat à la Défense, le conflit se cristallise autour de trois questions : Taïwan, la mer de Chine du Sud et le commerce. En évoquant le commerce, il adresse un message aux pays de la région (des Philippines à la Thaïlande) : Washington ne va pas laisser sans réponse la volonté d’hégémonie régionale, économique et financière de Pékin ; mais avec quels moyens peut-il « refouler » cette hégémonie-là ? Les Etats-Unis n’ont eu de cesse de répéter que la mer de Chine du Sud était une voie de navigation internationale, envoyant le VIIe Flotte naviguer au plus près de zones considérées par Pékin particulièrement sensibles ; mais que peuvent-ils faire de plus, dans le contexte présent ?
L’ambassadeur de Pékin au Royaume-Uni, Liu Xiaoming, vient de rappeler la position de son gouvernement [1]. Pénétrer en mer de Chine du Sud, c’est, sauf à la marge, pénétrer dans des eaux territoriales chinoises. Les navires qui le font doivent suivre les Lois de la Mer (convention de l’ONU) et les lois chinoises correspondantes – à savoir annoncer à l’avance son passage « innocent » ou obtenir une permission. Sur le plan international cependant, la mer de Chine du Sud n’est pas considérée telle. Le passage est libre et ne dépend pas de la bonne volonté de Xi Jinping.
Outre cette question, il semble probable que la prochaine partie du match Chine/Etats-Unis en Asie orientale va se jouer sur la question de Taïwan.
Pourquoi Taïwan ?
La diplomatie internationale est toujours régie par le principe « Une seule Chine ». Quand Taipei (capitale de la République de Chine, Taïwan) siégeait au conseil de sécurité de l’ONU, elle représentait toute la Chine (y compris continentale). Quand elle fut remplacée par Pékin, en 1971, ce principe fut maintenu. Taïwan n’est censé être qu’une province chinoise.
En réalité, la question taïwanaise est complexe. Le repli sur Taïwan (ancien nom : Formose) des troupes du Guomindang (GMD) fuyant l’armée rouge en 1949 a été vécu comme une invasion par la population insulaire (qui avait subi la colonisation japonaise). La dictature de Chiang Kai-check s’est exercée à son encontre, au bénéfice des continentaux. Et puis, beaucoup d’eau a passé sous les ponts.
Le régime de la République populaire est devenu une forme particulière de capitalisme bureaucratique, ce qui était déjà le cas de la République de Chine. Le PCC et le GMD (Mao et Chiang étant décédés) ont commencé à collaborer étroitement, ce qui a permis à Pékin d’influencer profondément le jeu politique à Taïwan – et a mis le feu aux poudres, déclenchant le mouvement étudiant et civique « Tournesol » et débouchant sur l’élection, en janvier 2016, d’une présidente aux convictions indépendantistes connues, Tsai Ing-wen. Pour Pékin, le principe « Une seule Chine » est remis en cause, malgré la prudence de la nouvelle présidente.
Trump a immédiatement téléphoné à Tsai pour la féliciter de son élection – ce que la Chine a dénoncé comme une provocation. Washington avait rompu au début des années 70 les relations diplomatiques officielles avec Taipei, mais a néanmoins développé des rapports officieux, avalisés dès 1979 dans le Taiwan Relations Act. Or, à la fureur de Pékin, après adoption par le Congrès américain, une nouvelle loi est entrée en application le 16 mars 2018 : le Taiwan Travel Act. Elle autorise des échanges d’un niveau sans précédent entre les membres des deux gouvernements et contient des obligations, dont un soutien militaire US à l’île. Pincée de sel supplémentaire sur les plaies de Xi Jinping, le faucon Mike Pompeo, ancien directeur de la CIA, très favorable à Taiwan, a été nommé secrétaire d’Etat des Etats-Unis (l’équivalent d’un ministre des Affaires étrangères).
Le gouvernement mène une campagne soutenue pour isoler diplomatiquement Taipeh, usant de la carotte (promesse d’investissements) et du bâton (menaces de rétorsions économiques). Dernièrement, le Burkina et la République dominicaine ont annoncé la rupture de leurs relations diplomatiques avec Taïwan. Le Swaziland reste l’unique pays africain à les maintenir – ils ne sont plus au monde que 18 Etats à le faire, parmi lesquels le Vatican, des nations du Pacifique et d’Amérique latine (Honduras, Guatemala ou Kiribati). Par ailleurs 31 mesures ont été annoncées par Pékin, en mars, pour donner aux Taïwanais s’installant en Chine un statut et des avantages similaires aux Chinois du continent. Cette initiative a provoqué de vives réactions à Taipei, où le gouvernement étudie ses propres contre-mesures pour limiter la fuite des cerveaux.
Xi Jinping prend aujourd’hui des mesures sans précédent contre Taipeh. Par exemple, les compagnies aériennes qui indiquent Taïwan comme s’il s’agissait d’un pays dans la carte de leurs destinations sont menacées de se voir interdire l’espace chinois (l’australienne Quantas s’est inclinée). Le 23 avril, la Chine a mené les plus grandes manœuvres navales de son histoire [2] avec le Liaoning, son second porte-avion (le premier de fabrication chinoise) dans le détroit de Taiwan, un geste spectaculaire « pour protéger la souveraineté et l’intégrité territoriale » de la patrie.
Taïwan a également procédé à ses propres exercices militaires sur sa côte est durant lesquels la présidente Tsai Ing-wen était présente : « Nous avons toute confiance et détermination pour défendre notre pays et notre démocratie », a-t-elle twitté, tout en prenant le soin de préciser aux journalistes qu’il ne fallait pas y voir une réponse aux manœuvres de la RPC.
Washington envisage de faire de même, assurant ainsi la République de Chine de sa protection. Si elle passe à l’acte, cette zone deviendra un foyer de tension militaire permanent entre les deux puissances, lourd de tous les dérapages. A la différence de la crise coréenne, le face-à-face est ici direct. Or, Xi Jinping ne peut accepter de compromis sur cette question. Le ciment idéologique de son pouvoir est le nationalisme de grande puissance, inclue l’invocation du caractère sacré de l’intégrité territoriale de la « seule Chine » – sans oublier que l’île est située au cœur de l’espace stratégique maritime dont le contrôle lui apparaît vital.
Hong Kong
Taïwan est un pays de fait indépendant, pas Hong Kong – et pourtant le principe « Une seule Chine » est l’un des aspects de la crise que traverse le territoire. Ancienne colonie britannique, il a été « rétrocédé » par le Royaume-Uni à la Chine en 1997. Elle est devenue (comme Macao) une Région administrative spéciale (RAS). La déclaration conjointe prévoyait alors que pendant 50 ans au moins, le il bénéficierait d’un statut spécial sous la formule « un pays, deux systèmes ».
Selon la déclaration commune, Hong Kong ne pouvait avoir une politique indépendante en matière de Défense et de diplomatie, mais le système économique et juridique devait rester inchangé, ainsi que mille particularités : conduite à gauche, équipe sportive internationale, domaine internet, etc. Deng Xiaoping pensait probablement qu’en 50 ans « au moins » les « deux systèmes » se fonderaient en douceur, la République populaire ayant achevé sa mutation capitaliste. Problème : le capitalisme « à la Xi » n’est pas celui imaginé par Deng.
A l’occasion du XXe anniversaire de la rétrocession, Xi Jinping a fait savoir, via ministère chinois des Affaires étrangères, que la déclaration sino-britannique de 1984, posant les bases de la rétrocession de 1997, n’était « plus pertinente ». Pékin n’y voyant qu’un « document historique » qui « n’a plus aucune signification concrète » et « pas du tout de force obligatoire » [3]. Selon le bon vouloir de Xi, ce sont des lois chinoises qui à l’avenir s’appliqueront à Hong Kong.
Une perspective qui se heurte à beaucoup de résistances dans la population de Hong Kong dont les droits civiques et politiques (pluripartisme, liberté de liens internationaux, indépendance de la justice ou des syndicats…) sont menacés. Ces résistances peuvent être connotées à gauche, mais aussi à droite (xénophobie contre les « l’immigration chinoise » venue du continent).
Xi Jinping a mis en garde contre toute atteinte « inadmissible » à son autorité et en appel à la sécurité nationale : « Toute tentative visant à compromettre la souveraineté et la sécurité de la Chine, à défier le pouvoir du gouvernement central et l’autorité de la loi fondamentale de la région administrative spéciale de Hong Kong ou à se servir de Hong Kong pour mener des activités d’infiltration et de sabotage contre le continent constitue un acte franchissant la ligne rouge », des termes tranchants qu’il n’avait jusqu’à alors jamais utilisés [4]. Les accusations d’« infiltrations » et de « sabotage » sont aussi brandies à l’encontre de Taïwan.
Se trouvent à Hong Kong des associations de défense de la condition ouvrière et des droits des travailleur.e.s – sur place, de même que sur le continent –, ainsi que le siège de réseaux qui déploient des activités de solidarité régionale. Or, la répression politique se fait sentir. Edward Leung, 27 ans, figure de proue des indépendantistes (un positionnement très contesté à gauche), vient d’être condamné à six ans de prisons. « Une seule Chine » signifie ici que ni l’idée d’indépendance ni l’état d’autonomie antérieur ne seront tolérés. Nombre de libertés sont en sursis – sans que le monde des affaires et les multinationales établies dans le territoire ne se sentent concernés, bien entendu.
Pékin et la crise coréenne
D’un point de vue général, la Corée du Sud est beaucoup plus importante que le Nord pour la Chine, sur le plan économique évidemment, mais au-delà. Pour autant, le sort du régime nord-coréen aura des implications considérables. S’il s’effondrait, l’armée US pourrait camper à la frontière chinoise – une perspective évidemment inacceptable pour Pékin. L’issue des négociations engagées le 12 juin 2018 à Singapour aura des implications stratégiques pour Pékin. Au plus fort de la crise, en 2016-2017, la direction Xi n’a pas été en mesure de prendre des initiatives significatives, même si elle a toujours pu « moduler » en fonction de ses intérêts les sanctions onusiennes à l’encontre de Pyongyang (qu’elle a votées), ce qui n’est pas rien.
La partie s’est jouée à trois : les deux Corées et les Etats-Unis – sans la Chine, la Russie et le Japon. Depuis janvier 2018, Pyongyang et Séoul ont été à l’initiative, plus que Washington. Le contenu du communiqué commun Kim-Trump du12 juin 2018 en témoigne. Les faucons du gouvernement US voulaient une reddition rapide en rase campagne. Le processus de négociation initié à Singapour s’annonce long, ce que voulait Pyongyang, avec à l’horizon un accord de paix et non plus un « changement de régime », brutal.
L’avenir des pourparlers dépend d’une multitude de facteurs et s’avère aléatoire, mais il ne s’agit pas d’un remake des négociations antérieures [5]. Au Nord, une élite sociale est née avec le développement toléré d’une économie de marché ; l’engagement d’une transition capitaliste « à la chinoise » devient concevable. Au Sud, l’extrême droite a été marginalisée. Les deux régimes s’accordent pour un processus de rapprochement progressif, rejetant la brutalité du « modèle allemand ». Ce n’est plus le tout (réunification) ou rien (état de guerre). Pour sa part, Washington peut négocier, car l’hégémonie militaire US dans le Pacifique Nord a été réaffirmée.
Cette situation permet à la Chine de rentrer dans le jeu diplomatique coréen ; c’est une bonne nouvelle pour Xi Jinping. Détente dans la péninsule, tension sur Taïwan ? Combien de temps Washington et Pékin pourront-elles souffler simultanément le chaud et le froid dans la région ?
II. La marche à l’Ouest
Le projet de « nouvelles routes de la soie » a été dévoilé en 2005, mais il n’a commencé à être mis en œuvre que récemment – il est encore trop tôt pour évaluer jusqu’à quel point il va être effectivement réalisé. L’ambition est gigantesque. La voie terrestre (la Route) doit relier la Chine à l’Europe en traversant l’Asie continentale. La voie maritime (la Ceinture) part de l’Asie du Sud-Est pour aller jusqu’en Afrique de l’Est et au Maghreb. Six « corridors régionaux » doivent permettre de greffer un plus grand nombre de pays sur les deux axes principaux [6].
Il s’agit en premier lieu de développer de façon cohérente un ensemble d’infrastructures, de multiplier les investissements, d’offrir des débouchés à des secteurs industriels souffrant sur le plan national de surproduction (ciment, acier) et d’employer une main-d’œuvre en « surplus » (utilisée sur les chantiers du monde entier), d’ouvrir et améliorer des voies de communication, mais aussi de renforcer l’influence politique et culturelle du pouvoir chinois (y compris en faisant dans le social : construction d’hôpitaux ou d’écoles). Au bout du compte, l’ambition est de contribuer à faire de la Chine un pôle de référence « civilisationnel » mondial alternatif aux Etats-Unis.
Les considérations géoéconomiques et géostratégiques sont au cœur de cette politique d’expansion multidimensionnelle. Il s’agit pour Pékin de sécuriser ses approvisionnements en matières premières et de réduire les coûts des transports, comme l’illustre pour les produits pétroliers moyen-orientaux la construction du port sino-pakistanais géant de Gwadar ; de mieux pénétrer des marchés dominés suivant les lieux par le Japon ou la Corée du Sud, par la Russie ou les Etats-Unis ; de multiplier les passerelles permettant de contourner le détroit de Malacca, susceptible d’être bloqué en situation de crise aiguë avec Washington, en passant par le Bangladesh, la Birmanie ou le Pakistan…
Les investissements concernent tous les secteurs (du tourisme aux mines, de l’électronique au solaire), la création de sites industriels et de zones portuaires, les grands travaux (voies ferroviaires, ponts, tunnels, barrages) ou l’énergie (oléoducs et gazoducs, centrales électriques, champs éoliens…).
Financièrement, le projet exigerait 800 milliards d’euros réunis grâce à la création de la Nouvelle Banque de développement, du Fonds de la route de la soie et de la Banque asiatique d’investissement dans l’infrastructure (BAII). La Chine met la main à la poche pour contribuer au projet, mais d’autres pays sont invités à investir dans le projet. Malgré l’opposition déclarée des Etats-Unis, l’Allemagne, l’Australie, la France et le Royaume-Uni ont notamment répondu à l’appel. Les pays riches ne veulent pas se retrouver hors d’un tel coup – et les pays pauvres ne le peuvent, y voyant une occasion unique d’initier leur développement (fusse au risque de subordination).
Les « corridors » aidant, quelque 70 pays en tout sont concernés par ce projet ! Après avoir investi tous azimuts, vu notamment la montée des tensions avec les Etats-Unis, Pékin cherche aujourd’hui à consolider en priorité son emprise dans sa périphérie asiatique, y consacrant la moitié de ses prêts octroyés dans le cadre des nouvelles routes de la soie. La Chine est le premier partenaire commercial de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean). Son influence est dominante au Laos et au Cambodge, considérable dans le bassin du Mékong, dont la Thaïlande, renforcée par la construction du chemin de fer reliant Kunming (au Yunan) à Singapour. Elle contrôle effectivement un nombre croissant de ports en Birmanie, Bangladesh, Sri Lanka, Pakistan, Maldives, Oman…
Au-delà, les nouvelles routes de la soie doivent atteindre en Europe occidentale Venise et Rotterdam ; les acquisitions et implantations opèrent jusqu’à la France, la Grande-Bretagne, la Suisse, l’Italie, le Portugal ou la Grèce (le port du Pirée !)... Un train de fret, au départ d’Yiwu, située au sud de Shanghai, court sur plus de 12.000 kilomètres pour relier directement la Chine à 32 villes européennes, dont Londres, Madrid, Kouvola (Finlande), Duisbourg (Allemagne), Lyon (France). Il est moins cher que l’avion et plus rapide que le bateau…
De gros investissements sont déjà réalisés ou en négociation dans la plupart des pays d’Europe de l’Est. En Asie centrale, la route terrestre passe par le Kazakhstan, le Turkménistan, l’Ouzbékistan et l’Azerbaïdjan. Un « partenariat », initié en 2012, ne cesse de se renforcer, le Format « 16 + 1 » entre la Chine et 16 pays d’Europe centrale et orientale : Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Slovénie, Croatie, Serbie, Bosnie et Herzégovine, Monténégro, Albanie et Macédoine.
Au Moyen-Orient et Afrique du Nord, la Ceinture débouche sur Djibouti, l’Ethiopie, l’Egypte, l’Algérie ou le Maroc ; des accords renforcés sont actuellement négociés avec l’Iran confronté à l’embargo US.
En novembre 2017, un accord a été signé entre la Chine et le Panama, ce dernier adhérant au projet des Routes de la soie, devenant formellement la troisième branche maritime de cette initiative.
Un tel effort d’expansion mondial concentré sur une période de temps aussi limitée est sans précédent. Son coût social, culturel et écologique sera, on peut le craindre, considérable – de même que les risques économiques et financiers, renforcés par les aléas politiques : possibles renversements d’alliances de gouvernements nationaux, opérations engagées dans des zones de conflits tels la bordure himalayenne (du Cachemire à l’Arunachal Pradesh) ou le Moyen-Orient, contre-offensive de puissances concurrentes (comme en Birmanie). Le cas du port de Gwadar est emblématique. Il est situé sur la côte du Baloutchistan, au sud-ouest du Pakistan, où se poursuit une lutte indépendantiste et où nombre d’Etats interfèrent (Inde, Afghanistan…). L’armée pakistanaise est incapable de protéger efficacement ses propres casernes des attaques talibanes ; même si son influence devient prépondérante au Pakistan, Pékin ne peut s’en remettre à un Etat failli pour garantir la sécurité de ses investissements stratégiques…
III. La puissance mondiale
L’armée chinoise est considérée comme la deuxième au monde, même si ce jugement est largement quantitatif. L’expérience au feu de son personnel et de son matériel reste très limitée. Des impérialismes mineurs, comme la France, peuvent posséder un savoir-faire (opérations d’infiltration et de commandos) ou des technologies de pointe (comme le bâtiment de projection et de commandement – BPC – de classe Mistral) qu’elle n’a pas. Elle est largement supplantée par la Russie en matière de flotte océanique de sous-marins stratégique (qu’il n’est pas aisé de constituer)…
Le déploiement militaire
Néanmoins, parti de rien, le dispositif militaire international de la Chine progresse rapidement. Sa capacité navale se renforce de façon continue. Pékin multiplie les accords autorisant ses navires de guerre à mouiller dans des ports étrangers (pour ravitaillement, réparation…). Elle participe de façon majeure aux opérations de « maintien de la paix » de l’ONU à hauteur de 35 000 soldats (chiffre de 2015), une façon soft de se déployer. Elle mène ses propres manœuvres d’extraction de ses nationaux en zone de crise (comme au Yémen).
Flotte de haute mer | 2011 | 2018 |
---|---|---|
Porte avion | 0 | 1 + (1) + [1] |
Destroyers avancé | 0 | (4) |
Destroyers | 0 | 6 |
Frégate furtive | 7 | 25 |
Sousmarin stratégique | 2 | 4 |
Sousmarin tactique | 0 | 9 |
Pétrolier ravitailleur | 2 | 8 |
Corvette | 0 | 37 |
Amphibie | 1 | 4 |
Entre parenthèses : mis à l’eau mais pas encore opérationnel.
Entre crochets : en construction.
Source : Le Monde.
Le fleuron de cette expansion militaire est évidemment la base de Djibouti, conçue pour accueillir 10.000 soldats. Pékin a obtenu ce contrat en finançant la construction d’une zone franche industrielle et d’une ligne ferroviaire reliant le port international de Doraleh à Addis-Adeba, la capitale éthiopienne.
L’importance stratégique de Djibouti est considérable (c’est bien pour cela que ce territoire abrite aussi des bases états-unienne ou française). Elle borde l’une des routes maritimes les plus fréquentées au monde. Elle constitue un hub commercial pour favoriser la pénétration par les produits chinois en Afrique subsahélienne, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
L’implantation sur le plan international de dix-huit bases militaires serait planifiée.
Conflits d’influence
L’expansion mondiale de la Chine la place en concurrence directe, dans leurs zones d’influence traditionnelles, avec toutes les puissances existantes : la Russie en Asie centrale et en Bélarussie, l’Inde en Asie du Sud, les Etats-Unis en Amérique latine, les Européens chez eux, tout le monde en Afrique.
Arctique. La Chine cherche les moyens de participer à l’ouverture des voies polaires, rendue possible par le réchauffement climatique, et à l’exploitation de ressources jusque-là inaccessible.
Afrique. La Chine a pris la tête de la compétition générale engagée pour le contrôle des richesses africaines (notamment au Congo) au point que l’on parle aujourd’hui de la Chinafrique comme de la Françafrique – mais avec une différence de taille : son influence n’est pas limitée à une zone d’influence traditionnelle, comme c’est le cas pour la France.
Asie centrale. Moscou et Pékin peuvent faire front commun face aux Etats-Unis ou à l’Union européenne. L’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), fondée en 2001, offre un cadre permanent d’alliance en matière de sécurité, influent en Asie centrale, en Afghanistan, au Moyen-Orient. Un sommet s’est ainsi récemment réuni, le 8 juin, entre Moscou, Pékin et Téhéran. Cependant, plus la pénétration chinoise se développera à la périphérie russe, et plus le conflit latent deviendra structurel. Il se cristallise notamment aujourd’hui sur la construction d’oléoducs et de gazoducs – et donc sur le contrôle des richesses pétrolières de la région.
Région indo-pacifique. De nouvelles alliances se font jour pour contrer la montée en puissance de la Chine, tel le Quad (pour Quadrilateral Security Dialogue) initié en novembre 2017 par les Etats-Unis, l’Australie, le Japon et l’Inde sur un théâtre d’opération indo-pacifique (en sus du théâtre d’opérations Pacifique nord).
Amérique latine. La Chine ne vise probablement pas à gagner en Amérique latine une hégémonie similaire à celle qu’elle ambitionne en Afrique ou dans une grande partie de l’Asie. Elle poursuit néanmoins, depuis le milieu des années 2000, des objectifs très importants d’ordre :
• Politiques : consolider son influence globale, être une voie de recours (offre de financements) face à l’hégémonisme US, isoler diplomatiquement Taïwan, s’intégrer aux organismes multilatéraux – la Chine a (comme beaucoup d’autres pays) un statut d’observateur à l’Organisation des Etats américains (OEA) et elle est membre de Banque interaméricaine de développement (BID)...
• Géoéconomiques : étendre mondialement son contrôle des ressources minérales, énergétiques ou agricoles, trouver de nouveaux débouchés pour ses produits manufacturés, investir dans les infrastructures… Le cas de la Bolivie est à ce titre illustratif : la Chine a récemment installé une centrale hydroélectrique dans la province de Cochabamba. Elle participe à la construction d’usines de sucre, de potassium, d’acier, de routes, ainsi qu’à une mise à niveau du système de sécurité publique et des télécommunications. Elle lorgne sur l’une des plus grandes réserves de lithium au monde.
• Géostratégiques : Quand l’occasion s’en présente, la Chine « montre le drapeau » dans ce continent aussi, comme en envoyant un contingent en Haïti dans le cadre des opérations onusiennes. Elle a acquis une base extraterritorialisée en Patagonie (Argentine) qui a pour but officiel (et réel) de préparer l’envoi d’un engin se poser sur la face cachée de la lune – gérée par l’armée, elle permet surtout à Pékin de surveiller l’hémisphère sud, une précieuse première.
La Chine est maintenant le principal partenaire commercial des plus grandes économies d’Amérique du Sud : Argentine, Brésil, Chili, Pérou, et du Venezuela. Ces pays exportent principalement des matières premières vers la Chine telles que cuivre, minerai fer, huile et soja, pétrole. Elle leur accorde souvent un crédit quasi illimité pour l’importation de marchandises chinoises.
L’un des plus gros projet en cours (50 milliards de dollars US) concerne la construction au Nicaragua, par une entreprise chinoise, d’un nouveau canal interocéanique qui entre en concurrence directe avec celui du Panama – autour duquel bien des compagnies US ont investi (infrastructures portuaires etc.).
Signe des temps, le secrétaire d’Etat américain Rex Tillerson a conseillé en février 2018 aux pays d’Amérique latine de ne pas trop dépendre des relations commerciales avec la Chine, affirmant que la région n’avait pas besoin de se jeter dans les bras d’un nouvel empire (comme si l’empire US était en revanche un « allant de soi » !).
Atouts chinois dans la guerre économique
Trump préfère le bilatéralisme (qui, espère-t-il donne à chaque fois l’avantage aux Etats-Unis) au multilatéralisme (qui implique la négociation de règles communes entre puissants). Il peut vider de leur contenu des cadres de collectivisation interimpérialistes ou réduire leur efficacité. Il peut engager des bras de fer, voire des guerres commerciales, prendre des mesures protectionnistes et en susciter d’autres en retour (de la part de l’Union européenne ou de la Chine). Il se heurte néanmoins à un problème de taille : la mondialisation capitaliste, l’organisation mondiale de chaines de production et de valeur, la financiarisation sont un état de fait, pas simplement une politique. Un état de fait auquel est intégrée une grande partie de l’économie US.
La Chine a ses propres contradictions, mais dans ce contexte, elle bénéficie notamment de deux atouts : son mode d’expansion international « à l’ancienne », piloté par l’Etat, et l’importance majeure pour les autres de son économie. Voir se refermer les portes du nouvel Empire du Milieu a des conséquences implacables – et Xi Jinping peut les effectivement les fermer.
La Chine n’en est pas moins immergée dans le monde capitaliste tel qu’il est et les fortunes chinoises ont allègrement goûté aux délices de la spéculation et des paradis fiscaux, de nombreuses familles de haut standing s’établissant dans des pays occidentaux (y compris en y acquérant la nationalité – légère entorse au patriotisme !). Xi Jinping répond à ces « dérives » en renforçant son contrôle sur tous les leviers dont il peut disposer, y compris la détermination du taux de change du yuan ou la mise en place d’un système de surveillance et de contrôle social de masse qui concerne les entreprises étrangères et pas seulement les nationaux… Pékin a donc de sérieux moyens de ripostes dans les conflits commerciaux en cours.
La première manche du match commercial Trump / Xi semble avoir tourné, en mai, à l’avantage de la Chine [7], les concessions chinoises restant fort modestes. Depuis, Pékin ne fait ostensiblement que répondre à montant égal aux mesures prises par Washington – et fait jouer ses relations jusque dans les arrières électoraux du président des Etats-Unis. Xi a, notamment, tissé des liens personnels avec les producteurs de soja de l’Iowa dont les exportations sont frappées par les mesures de rétorsions chinoises.
L’Union européenne cherche elle aussi à déterminer des « instruments de défense commerciale » lui permettant de faire pièce au dumping des produits chinois.
La Chine reste dépendante de ses importations massives de composants électroniques. L’entreprise de téléphonie ZTE a dû suspendre la fabrication de lignes de produits après avoir été sanctionnée par Washington pour détournement des embargos contre l’Iran et la Corée du Nord. Cependant Pékin se pourvoit en « puces » au Japon, à Taïwan, en Corée du Sud, et pas seulement aux Etats-Unis. La direction Xi prévoit de mettre le paquet pour rattraper son retard persistant en matière de haute technologie (avec quel succès ?). Une vingtaine de secteurs de pointe ont été décrétés stratégiques, à commencer par l’intelligence artificielle et les semi-conducteurs, mais comprenant aussi la robotique, les matériaux avancés et la pharmacie. Le nombre de brevets internationaux déposés par le Chine ne cesse de croître. La compétition sur ce terrain sera probablement plus décisive que la manipulation des droits de douane.
Incertitudes, risques financiers et politiques : une phase de « consolidation » ?
Après une période de déploiement phénoménal, tous azimuts, du capitalisme chinois, la direction Xi Jinping semble éprouver le besoin de faire le point et de redéfinir des priorités. L’acquisition boulimique d’entreprises étrangères a couvert des opérations de spéculation financière. Pour s’assurer de prêts préférentiels, des investisseurs se sont inscrits de façon indue dans le programme des routes de la soie (un parc à thème en Indonésie, une brasserie en République tchèque…). Des centres administratifs de décision se sont autonomisés. Les risques financiers n’ont trop souvent pas été sérieusement évalués. Or, la situation internationale évolue rapidement – et le « facteur Trump » augmente les incertitudes. Face à la mainmise chinoise, les résistances sociales et politiques se manifestent dans un nombre croissant de pays.
Le Venezuela offre un exemple des dangers auxquels Pékin peut être confronté [8]. Les rapports entre les deux pays se sont rapidement développés à l’époque de Chavez, les investissements et prêts chinois devant les plus importants en Amérique latine. Ces accords ont largement été centrés et garantis sur la production pétrolière. Tout en se libérant de l’emprise US, le Venezuela s’est massivement endetté à l’égard de la Chine. Puis sont venues la chute du prix du pétrole, la crise du régime vénézuélien, la menace de défaut de paiement de la dette.
Les accords sino-vénézuéliens n’ont jamais été « gagnant-gagnant », en revanche ils peuvent devenir « perdant-perdant ». Pékin a interrompu d’importants investissements, réduits ses prêts, et nombre de travailleurs chinois retournent dans leur pays (ils étaient 400.000). Principal créditeur, loin devant la Russie, la Chine pourrait un jour exiger de prendre le contrôle de la production pétrolière. Si elle ne l’a pas fait, c’est probablement pour des raisons politiques. Elle risque très gros en cas de renversement du régime. Elle a été moins patiente envers d’autres pays.
Au Sri Lanka, en 2017, la Chine a obtenu un bail, d’exploitation de 99 ans du port de Hambantota, après le défaut de paiement du pays débiteur sur un emprunt contracté d’un milliard de dollars – ce qui est perçu par la population comme une véritable érosion de la souveraineté nationale.
Les baux de 99 ans deviennent une question politique très sensible.
C’est le cas au Nicaragua où la concession accordée à la Chine pour la construction du canal interocéanique à un coût économique et social exorbitant nourrit la vaste mobilisation populaire contre le régime Ortega. Ce projet annonce la destruction de très nombreuses communautés rurales ; il est ici aussi perçu comme un abandon de souveraineté territoriale.
Les 9-10 juin, de très importantes manifestations se sont déroulées au Vietnam contre deux projets gouvernementaux [9] : une loi liberticide sur la cybersécurité et la création d’une zone économique spéciale au profit de la Chine. Parmi les principaux mots d’ordre : “Pas de terre louée à la Chine, ne serait-ce que pour un jour.”
Il y a déjà eu beaucoup de mobilisations populaires en Asie contre le dumping des produits chinois (Thaïlande, etc.), l’achat de terres et de mines, l’expropriation de paysans au profit de zones industrielles ou de populations montagnardes au profit de lobbies forestiers et miniers (Philippines, etc.). Quel sera l’impact politique de ces mobilisations, face à des régimes favorables à Pékin (la junte militaire thaïe, le président Duterte, la dictature Hun Sen au Cambodge…) ?
Pékin ne s’en inquiète probablement pas trop aujourd’hui (sauf peut-être au Nicaragua où l’avenir du régime est en question). Il en va différemment de l’incertitude géopolitique ou des failles de l’économie nationale, tels l’incroyable bulle immobilière, un marché boursier en montagnes russes et un secteur bancaire parallèle en croissance rapide. La situation sociale en Chine reste sous contrôle, malgré le développement de conflits salariaux et locaux. Le mode de gouvernance hypercentralisé de la direction Xi est aujourd’hui un atout, mais peut devenir demain un handicap.
L’accession de la Chine au rang de deuxième puissance mondiale est un fait accompli. On ne peut cependant se contenter de projeter les tendances récentes dans l’avenir. La géopolitique chinoise est dans une phase incertaine d’adaptation et pas simplement de consolidation et d’expansion linéaire.
Pierre Rousset