Ala permanence Solidarność de la mine Pokąj (« paix »), à Ruda Sląska, en Silésie, M. Adam Kalabis, 46 ans, physique de catcheur et cheveux ras, nous propose un thé. Ses énormes pognes sont encore un peu noires de charbon : voilà une demi-heure, il se trouvait encore à huit cents mètres sous terre. « Ici, il y a quatre mille salariés, dont une moitié de mineurs, détaille-t-il. J’y travaille depuis l’âge de 18 ans. J’ai commencé par porter des sacs de charbon. Là, je suis à la maintenance. » Ce géant se dit « usé par la mine » : « J’espère ne pas finir comme mon père : retraité à 45 ans, décédé un an plus tard. » La retraite, M. Kalabis, lui, n’est pas près de la voir : « Dans son calcul, le gouvernement précédent a invalidé les jours de congé maladie et ceux où je donnais mon sang. » Certains mineurs ont pris l’habitude de donner leur sang afin de se voir octroyer une journée de repos... « Les libéraux ont même cessé d’inclure les années passées sous les drapeaux des gars qui avaient fait leur service militaire du temps des communistes ! »
M. Kalabis travaille pour la compagnie publique KW « sept heures et demie par jour, cinq jours par semaine, pour 2 900 złotys », soit moins de 700 euros. « Mon salaire a augmenté de 150 złotys[34 euros] en quinze ans. Et encore, je ne suis pas à plaindre. La veuve d’un ami, tué par le coup de grisou de Halemba [23 morts en novembre 2006], a touché six mois d’indemnités, et puis plus rien ! »Il serre ses poings de lutteur : « Dans ma famille, tout le monde était mineur, depuis des générations. Mais je suis le dernier. Ma femme nettoie les WC publics. Un “contrat-poubelle”, 800 złotys[180 euros] par mois à plein temps ! » Les « contrats flexibles » sont en effet surnommés « contrats-poubelle » par ceux qui les subissent.
Contre « un monde de cyclistes et de végétariens »
« C’est dur de trouver un travail fixe, soupire le mineur. Voilà pourquoi les jeunes filent à l’étranger. » Depuis l’entrée du pays dans l’Union européenne, en 2004, au moins deux millions de Polonais ont émigré, notamment au Royaume-Uni. « Mon fils et ma fille rêvent de vivre en Angleterre. Le capitalisme, c’est bien pour ceux qui savent faire du business, pas pour les autres », conclut M. Kalabis en haussant les épaules. Une décoration hétéroclite est punaisée au mur du local syndical : la bannière de Solidarność, les armoiries de la Pologne — un aigle blanc couronné sur fond rouge —, l’inévitable portrait du pape Jean Paul II, la photographie — dédicacée — d’un champion de boxe local et... le calendrier 2016 du parti Droit et justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS).
Mineur et délégué syndical Solidarność, M. Kalabis milite aussi pour ce parti situé à la droite de la droite. D’ailleurs, Solidarność a appelé à voter pour le candidat du PiS, M. Andrzej Duda, à l’élection présidentielle de mai 2015. Lors des élections parlementaires qui ont suivi, le syndicat n’a pas donné de consigne, mais tout le monde a compris le message... « Je suis catholique, mais ce n’est pas la raison de mon engagement. Le PiS, ce sont les seuls qui nous soutiennent, ils sont proches des gens. Après le coup de grisou de Halemba, le président Kaczyński [1] était venu nous voir ; ça m’avait touché. » A l’inverse, M. Kalabis exècre les libéraux de la Plate-forme civique (Platforma Obywatelska, PO), parti de centre droit au pouvoir de 2007 à 2015. Le mineur dit avoir été « choqué » par la présence du président Bronisław Komorowski aux funérailles du général Wojciech Jaruzelski, le dirigeant communiste de la République (1981-1989) qui avait réprimé Solidarność. Et il n’a pas digéré que le gouvernement PO envisage sans concertation, en janvier 2015, la fermeture de mines : « J’ai appris la fin prochaine de mon puits à la télévision ! », enrage-t-il. Il en est persuadé : l’ancien premier ministre PO Donald Tusk, devenu président du Conseil européen, « veut fermer toutes les mines, alors que le PiS a juré de les préserver ». « La plupart des collègues votent pour le PiS », conclut-il.
Le 25 octobre 2015, le PiS remportait les élections parlementaires (Diète et Sénat) avec 37,6 % des suffrages, contre 24,1 % pour les libéraux et 8,8 % pour les populistes de Kukiz’15. N’ayant pas franchi les seuils requis (5 % pour un parti, 8 % pour une coalition), le camp progressiste n’a eu aucun élu [2]. La gauche, divisée entre Gauche unie et Ensemble (Razem), mais aussi victime du phagocytage de ses idées sociales par la droite réactionnaire, est absente du Parlement. Quelques mois auparavant, en mai 2015, l’élection présidentielle avait donné un avant-goût de cette lame de fond conservatrice : le président sortant, le libéral Komorowski, avait été battu au second tour par M. Duda, un quasi-inconnu.
Malgré nos demandes répétées, aucun responsable du PiS n’a accepté de nous rencontrer [3]. Un savoureux entretien avec le ministre des affaires étrangères Witold Waszczykowski paru dans le tabloïd allemand Bild (3 janvier 2016) donne cependant un aperçu de l’idéologie de ce parti : « Comme si le monde devait évoluer, selon un modèle marxiste, dans une seule direction : vers un mélange des cultures et des races ; un monde de cyclistes et de végétariens, qui n’aurait recours qu’à des énergies renouvelables et combattrait toute forme de religion. Tout cela n’a rien de commun avec les valeurs traditionnelles polonaises. Cela va à l’encontre de ce que la plupart des Polonais ont à cœur : tradition, conscience historique, amour de leur pays, foi en Dieu et vie de famille normale, avec un homme et une femme [4]. »
Le choix entre un emploi précaire et l’émigration
Cependant, le conservatisme n’est pas la seule motivation des électeurs du PiS. Ils se recrutent dans la Pologne du déclassement et de la précarité, celle qui se cache derrière les bons indices macro-économiques (voir les « Repères »). La Pologne des petites gens qui, comme M. Kalabis et sa famille, ont pâti des réformes ultralibérales et n’ont souvent de choix qu’entre un « contrat-poubelle » à 200 euros et l’émigration. La Pologne spécialisée dans la sous-traitance de produits bas de gamme pour les grands groupes européens, notamment allemands. La Pologne des retraites à moins de 300 euros par mois. Nationaliste, clérical, protectionniste et xénophobe (lire « Xénophobie réelle, immigrés fantômes »), le PiS a su attirer tous ces déçus par un ambitieux programme social : une allocation mensuelle de 500 złotys (115 euros) par enfant, financée par la taxation des banques et des grandes surfaces ; un salaire minimum horaire ; et même le retour à la retraite à 60 ans pour les femmes et à 65 ans pour les hommes, alors que les libéraux comptaient la porter à 67 ans.
Politiste, professeur à l’université de Varsovie, Radosław Markowski a étudié l’évolution du PiS : « Lorsqu’ils étaient au pouvoir entre 2005 et 2007, ils étaient conservateurs, mais libéraux sur le plan économique. Ils sont devenus de plus en plus populistes, xénophobes et eurosceptiques ; un nationalisme catholique, agrémenté d’un programme socialisant. » Il range les électeurs du parti en trois catégories : « D’abord, ceux que j’appelle “la secte de Smolensk” : des gens convaincus que le crash d’avril 2010 [5] était le fruit d’un complot de Donald Tusk et de Vladimir Poutine. Ensuite, les catholiques pratiquants, dont la connaissance du monde se résume souvent à ce que leur raconte le curé — un tiers des Polonais pratiquants ont fait l’expérience de la propagande politique à l’église. » Et enfin, les gens modestes attirés par le programme social du parti : « Le PiS a su déceler les attentes des ouvriers, des paysans... » L’abstention — près de 50 % — a fait le reste.
Sociologue au think tank de gauche Krytyka Polityczna (« La critique politique »), Jakub Majmurek analyse les facteurs qui ont conduit au rejet des libéraux : « La PO est restée aux commandes huit ans. C’est long pour une jeune démocratie. La première ministre Ewa Kopacz, qui a succédé en 2014 à Donald Tusk, parti pour Bruxelles, manquait de charisme. » Surtout, les libéraux ne se sont jamais relevés de l’« affaire des écoutes ». En juin 2014, l’hebdomadaire conservateur Wprost publie des conversations privées de proches du pouvoir enregistrées par des serveurs d’un grand restaurant de Varsovie. Le vocabulaire graveleux des convives, leur connivence et leur suffisance ont anéanti l’image de la supposée plate-forme « civique » : « Après cela, ils ont été perçus comme des élites coupées des réalités », raconte Majmurek.
Il souligne aussi l’« autosatisfaction » des libéraux : « Les leaders de la PO sont relativement âgés ; ils ont vécu le communisme, les pénuries. Leur discours récurrent était : “Regardez quel bond a fait la Pologne !” Un discours inaudible pour les jeunes : ils n’ont pas connu cette époque. Et lorsqu’ils vont travailler en Europe de l’Ouest, ils constatent que les salaires y sont bien meilleurs. A Berlin, les loyers sont un peu plus élevés qu’à Varsovie, mais les gens gagnent trois fois plus. Les aspirations de la jeunesse polonaise sont très fortes. » Et ses frustrations, à l’avenant.
Chef d’entreprise âgé de 34 ans, M. Paweł Michalski nous reçoit à Bytom, une ville de Silésie sinistrée depuis la fermeture des puits de mine. Rideaux de fer baissés, retraitées qui font la manche... « Ici, il y a 20 % de chômage », soupire le jeune entrepreneur. Il milite au mouvement Kukiz’15, un parti iconoclaste, populiste, « antisystème », fondé sur son nom par M. Paweł Kukiz, un ancien rocker, et infiltré par l’extrême droite ultranationaliste. M. Kukiz a réuni pas moins de 20 % des électeurs au premier tour de l’élection présidentielle de mai 2015, et son mouvement constitue désormais la troisième force politique du pays, devant la gauche. Candidat de Kukiz’15 aux législatives, M. Michalski a récolté 15 % des voix à Bytom. « Les jeunes émigrent, soupire-t-il. En Angleterre ou en Allemagne, c’est facile de travailler. Ici, une amie infirmière gagnait 1 700 złotys [moins de 400 euros] par mois : impossible de vivre avec ça ! C’est une honte. Alors, elle est partie en Allemagne. »M. Michalski se dit « favorable au libre marché », mais soutient le projet du PiS d’octroyer 500 złotys par enfant : « Les gens sont trop pauvres, il faut les aider. » Quant à la présence d’ultranationalistes au sein de son parti, il préfère la minorer : « Vous savez, il y a de tout, à Kukiz... »
Grand ménage à la tête des médias publics
M. Robert Piaty, 33 ans, a beau avoir étudié la science politique, il enchaîne les « contrats-poubelle ». Actuellement, il travaille à Katowice dans un centre d’appels pour 1 400 złotys par mois, soit 320 euros. « La moitié de mes amis sont partis en Angleterre. Moi-même, j’y ai vécu six mois ; je gagnais 1 200 euros par mois. » Il appartient au syndicat Sierpien 80 (« Août 1980 », en référence à la grève de Solidarność) et vote pour le parti de gauche Ensemble (3,6 % des suffrages), qui se veut le Podemos polonais. Mais il comprend que de jeunes précaires votent pour le PiS, dans l’espoir de bénéficier de son programme social : « Ils ont promis un salaire minimum horaire dès juillet 2016. » En attendant de tenir ses promesses sociales, le PiS donne un tour de vis aux institutions : entre Noël et la Saint-Sylvestre, le nouveau gouvernement a nommé cinq juges au sein de la plus haute instance judiciaire, le Tribunal constitutionnel, fait voter une loi modifiant son fonctionnement et licencié les directions des médias publics. Ce n’est pas tout : en mars, une loi devrait faire du ministre de la justice le nouveau procureur général. Depuis la mi-décembre 2015, plusieurs dizaines de milliers de Polonais ont manifesté à l’appel du Comité de défense de la démocratie (KOD). Et, fait sans précédent dans l’histoire de l’Union européenne, la Commission de Bruxelles a lancé le 13 janvier à l’encontre de Varsovie une « procédure de sauvegarde de l’Etat de droit » : une enquête préliminaire afin de déterminer si la Pologne contrevient aux principes démocratiques.
« La démocratie polonaise se porte très bien », estime Aleksańdra Rybinska, journaliste à wSieci. A la mi-janvier, la couverture de cet hebdomadaire de droite présentait sous le titre « Conspiration contre la Pologne » un photomontage associant la chancelière Angela Merkel et le président du Parlement européen Martin Schulz au partage de la Pologne en 1772. Rybinska justifie la politique du PiS : « La PO avait nommé ses propres juges peu avant de perdre les élections. Le PiS n’aurait donc pu passer aucune loi. Quant aux nominations dans les médias, c’est l’usage ici : en 2008, des confrères de droite ont été licenciés sur ordre de la PO. Cela n’avait alors pas offusqué les Occidentaux... La vérité, c’est que le PiS représente tout ce que les soixante-huitards au pouvoir en Europe détestent. L’Occident pensait que la Hongrie de Viktor Orbán serait une exception ; et maintenant, c’est à la Pologne de se tourner vers les valeurs traditionnelles. Bruxelles a peur des forces conservatrices. »
Peu de jeunes parmi les défenseurs de la démocratie
« Les partisans du PiS estiment qu’ils ont été méprisés, persécutés par les élites libérales, analyse Majmurek. Leurs leaders étaient un peu plus jeunes que les libéraux, alors ils ont été moqués, surnommés “les Pampers” ! D’où leur ressentiment envers la classe politique. Après leur traversée du désert, ils estiment que leur temps est venu. Ils veulent leur revanche. »
Veste mauve, boucles d’oreilles et catogan, le décontracté Mateusz Kijowski, 47 ans, personnifie tout ce que le PiS rejette. Ce spécialiste des technologies de l’information a fondé le KOD sur le réseau social Facebook, en novembre dernier. « En quelques jours, nous étions 55 000 inscrits », dit-il en souriant. Il revient de Strasbourg, où, raconte-t-il, la délégation du KOD a reçu « un très bon accueil des eurodéputés libéraux, socialistes et Verts ». En cette mi-janvier, il s’apprête à organiser une seconde vague de manifestations « dans 46 villes, et auprès de la diaspora polonaise en Europe ». Nous lui montrons une vidéo d’extrême droite circulant sur Internet qui accuse le KOD d’être financé par le milliardaire américain George Soros : « Malheureusement, non ! s’esclaffe-t-il. Sérieusement, personne ne s’attendait à ces atteintes aux libertés. Au cours de la campagne, le PiS n’en a pas parlé. Il agit comme si un mandat lui donnait tous les droits, comme si la démocratie signifiait le pouvoir absolu de la majorité électorale. Il s’en prend au principe fondamental de l’Union européenne qu’est la séparation des pouvoirs. Nous voulons défendre nos libertés. »
Le samedi suivant, à Gdańsk, environ deux mille sympathisants du KOD se sont rassemblés place Solidarność, devant les chantiers navals. Ils piétinent dans la neige pour se réchauffer. Leurs pancartes appellent à la défense de la démocratie. Une caricature compare le nouveau patron de la télévision publique TVP, M. Jacek Kurski — un natif de Gdańsk, surnommé « le pitbull du PiS » —, à M. Jerzy Urban, porte-parole honni de l’ancien régime communiste. Les manifestants agitent des drapeaux polonais, européens et même quelques étendards LGBT [6] arc-en-ciel. Certains arborent le masque blanc adopté par les Anonymous. Un drone survole la place et filme les manifestants. Narquoise, la foule salue le mouchard volant.
« C’est notre devoir d’être ici, expliquent deux retraitées alors que le cortège se dirige vers le centre-ville. On a manifesté en 1980 ; on ne veut plus de dictature ! Nous sommes venus pour les jeunes, qui ignorent ce qu’ils peuvent perdre. » En effet, la moyenne d’âge de cette manifestation est élevée : la plupart des participants ont plus de 40 ans. « Je suis ici de ma propre initiative, se moque cette jeune fille, je ne suis pas payée par George Soros. » Comment explique-t-elle que les jeunes se mobilisent si peu ? « Ils sont apathiques, ils n’ont pas de conscience politique et ne se sentent pas concernés. Mon petit frère, qui a 18 ans, voulait voter Kukiz ; j’ai réussi à le convaincre de voter PO. » Arrivés rue Dluga, dans la vieille ville, les manifestants scandent « Nous voulons être nous-mêmes », un slogan de Solidarność en 1980. M. Alexander Hall, ancien dissident, s’empare du mégaphone et dénonce le fait que le chef du PiS, M. Kaczyński, soit le véritable homme fort du pays, sans assumer de fonction officielle. Une banderole le montre d’ailleurs en marionnettiste manipulant à sa guise le président Duda et la première ministre Beata Szydło. A 13 h 30, après avoir chanté l’hymne national et écouté l’hymne européen, les manifestants se dispersent, ignorant les quelques jeunes qui les traitent de « porcs sortis de leur mangeoire », insulte des partisans du PiS à l’encontre de ceux de la PO.
« Que l’Europe s’occupe de son million de migrants ! »
Le KOD a cependant un autre souci que l’apathie des jeunes ou leur vote en faveur de la droite et des populistes : sa difficulté à séduire hors des milieux libéraux. Aucun des électeurs de gauche rencontrés ne souhaite participer à ses manifestations. « Les libéraux sont des gens aisés, la partie de la société qui a bénéficié des réformes économiques », raille M. Piaty, le jeune précaire de Katowice. Militante féministe de Varsovie, Mme Ania Zawadzka bat le pavé lors de la Gay Pride et de la contre-manifestation antifasciste qui, chaque 11 novembre, s’oppose à la marche des ultranationalistes. Pourtant, elle refuse de rallier le KOD : « L’intelligentsia libérale est responsable de la situation, tranche-t-elle. Ils ont refusé d’assouplir le droit à l’avortement pour ne pas froisser l’Eglise [7]. Ils ont fait de la Pologne un pays ultralibéral, multiplié les lois contre les travailleurs, méprisé et marginalisé les pauvres. A cause d’eux, le peuple a basculé à droite. »
M. Karol Guzikiewicz avait 16 ans lorsque, apprenti mécanicien, il a participé à la grève historique de Gdańsk aux côtés de Lech Wałęsa en 1980. Devenu vice-président de Solidarność aux chantiers navals, il milite désormais au PiS : « Les chantiers sont en friche : une centaine d’hectares en 1990, vingt aujourd’hui », résume-t-il en nous faisant traverser les ateliers où s’affairent les soudeurs. « Dix-sept mille ouvriers en 1990, un millier aujourd’hui. Désormais, on fabrique surtout des éoliennes. » Il assène : « Tout cela, c’est la faute de Donald Tusk et de l’Europe. A cause des libéraux, les lois du travail en Pologne sont les pires d’Europe. Alors, oui, je milite au PiS depuis 2008. J’ai rejoint ce parti parce que son programme social était proche de celui de Solidarność. » Et tant pis si son ancien mentor, le Prix Nobel de la paix Wałęsa, a déclaré le 23 décembre, dans une interview à Radio ZET, que le nouveau gouvernement agissait « contre la démocratie, la liberté » et « ridiculisait la Pologne dans le monde ». Quant aux critiques de Bruxelles, le syndicaliste les balaie d’un revers de main : « Que l’Europe s’occupe de son million de migrants et laisse la Pologne tranquille ! »
Le même jour, à Gdańsk, nous rencontrons l’ancien dissident Stefan Adamski, qui rédigeait en 1980 le bulletin clandestin de Solidarność : « Les gens de Solidarność ont été trahis par les libéraux. Une transition brutale vers un capitalisme darwinien ! Pas étonnant qu’ils se tournent vers un parti qui affiche un programme social, même s’il est irresponsable. » M. Adamski, l’un des fondateurs d’Attac [8] Pologne, milite au parti de gauche Ensemble. « Solidarność n’était pas partisan du capitalisme, précise-t-il. Le syndicat demandait au régime communiste le respect des droits des travailleurs. Le PiS ne remet pas en cause le capitalisme : il promet seulement de le rendre plus solidaire. » Et il ajoute : « Le plus désolant, c’est que Kaczyński ne sera pas stoppé par les défenseurs de la démocratie. Il sera discipliné par les marchés financiers, qui s’opposeront à la mise en œuvre de ses mesures sociales et protectionnistes. »
Cédric Gouverneur
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