“Le président philippin Rodrigo Duterte aurait dû savoir qu’il jouait avec le feu en traitant Dieu de ‘fils de p… stupide’ dans un pays dont la population est à 80 % catholique”, rappelle en préambule le quotidien de Hong-Kong South China Morning Post.
Rodrigo Duterte, au pouvoir aux Philippines depuis juin 2016, est connu pour son ton rude : Barack Obama, Ban Ki-moon ou encore Kim Jong-un ont eu droit par le passé au même qualificatif. Mais le discours prononcé le 22 juin lors d’un sommet sur les technologies de l’information et de la communication ne passe pas dans le pays : le taux de satisfaction net de la population envers son président a chuté à 45 % après ces commentaires, contre 66 % il y a un an, selon un sondage de l’institut philippin Social Weather Station, cité par le South China Morning Post.
Et le président a beau avoir été qualifié depuis par un évêque de “cas psychologique, de psychopathe, d’esprit anormal qui n’aurait pas dû être élu président de notre nation civilisée et chrétienne”, il a persisté en affirmant le 6 juillet qu’il démissionnerait sur le champ si quelqu’un pouvait lui prouver l’existence de Dieu, avant de faire volte-face le 10 juillet, date à laquelle Duterte a finalement affirmé qu’il ne s’excuserait qu’auprès de “son” Dieu :
Si c’est le même Dieu, je suis désolé. Désolé, Dieu.”
Mais ces propos et cette polémique, aussi importants soient-ils dans ce pays de 100 millions d’habitants, ne sont pas seuls en cause dans la baisse de popularité du président. Et le “phénomène de 73 ans risque de voir sa popularité partir à vau-l’eau s’il ne s’attaque pas immédiatement aux problèmes sociaux du pays”, rappelle le quotidien. L’inflation a par exemple grimpé de 5,2 % en un an et elle est à son plus haut depuis cinq ans, souligne le journal.
Pour le professeur agrégé de sciences politiques Aries Arugay, qui exerce à l’université Diliman, aux Philippines, “Duterte semble essayer de voir jusqu’où il peut aller dans ses remarques acerbes sur les institutions les plus puissantes du pays. À agir ainsi, sans qu’on le freine, et vu sa cote déclinante, les risques commencent à être très élevés pour lui. Jusqu’ici les groupes religieux réagissent calmement et sobrement, mais l’Église peut tout aussi facilement se rassembler et défier le président si on la provoque trop. Et je pense que c’est ce que Duterte est en train de faire.”
De fait, Maria Ela Atienza, rédactrice en chef du Philippine Political Science Journal, affirme dans le South China Morning Post que, bien que le président puisse encore compter sur une base solide, ses propos sont en mesure de constituer “un socle plus ferme encore sur lequel unir une opposition montante mais encore dispersée”. Si l’Église catholique et d’autres groupes chrétiens se coordonnent et s’expriment sur les abus et les erreurs du gouvernement, cela peut affecter les élections de mi-mandat de 2019, affirme-t-elle :
Les gens ne sont plus aussi satisfaits [de leur président] : la paix et l’ordre n’ont pas tant progressé que ça, ceux qui ont été touchés par le siège de Marawi se plaignent que la reconstruction traîne, les emplois promis ne viennent pas, l’économie ne s’améliore pas et beaucoup de gens, de prêtres et d’élus locaux se font tuer”
Le député Tom Villarin (Akbayan, parti de l’action citoyenne), renchérit et pointe l’absence de compétence économique du président, qui n’a par ailleurs pas tenu “ses promesses populistes, comme mettre fin à la contractualisation, augmenter les salaires des ouvriers et maîtriser les prix des denrées de base, comme le riz”.
South China Morning Post
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