Ana travaille depuis cinq ans dans l’entreprise ; c’est une mère célibataire et sa deuxième grève. Après les coups de la police, elle pleure de rage : « ils attaquent des femmes et des personnes non armées, nous n’avons que nos mains pour travailler ». L’un des travailleurs arrêtés a dû recevoir des soins à l’hôpital, on lui a fait sept points de suture à la mâchoire. Son t-shirt était taché de sang.
Suite aux charges policières, les travailleurs se sont réunis en assemblée : « nous sommes désormais plus unis que jamais », assurait Luis Miguel Ruiz, délégué de la CGT auprès du comité d’entreprise.« Vive la lutte de la classe ouvrière », ont répondu ses camarades, applaudissant.
« Les unités antiémeutes sont venues ici contre les travailleurs, pour défendre les patrons », ajoute le délégué syndical. « Nous recevons des coups comme nos grands-parents, mais nous sommes ici, debout. Ce qui s’est passé aujourd’hui ne me fait pas reculer, je suis fier de ce qu’ont fait mes camarades et nous allons continuer ». Fierté de classe, détermination dans la poursuite de la lutte contre le capitaliste le plus riche de l’histoire moderne.
Travailleurs de tous les pays… unissez-vous !
Les grévistes du dépôt de Madrid ont été rejoints par des grèves dans sept centres logistiques en Allemagne : Bad Hersfeld (FRA1 et FRA3 dans le Land de Hesse), Graben, Leipzig, Rheinberg, Werne et Coblenz, auxquels se sont ajoutées des actions en solidarité en Pologne. Les protestations, internationalisées ont été amplifiées par leur écho sur les réseaux sociaux : des milliers de personnes ont appelé au boycott et condamné la répression policière. Les travailleurs ont réussi à gâcher la fête du « Prime Day » de Jeff Bezos [le patron d’Amazon, Forbes estime sa fortune à 151 milliards de dollars, après le Prime Day.
La multinationale du commerce en ligne est l’une des plus importantes au monde, avec 80 dépôts dans divers pays. On peut y acheter de l’électroménager, des diamants, de la nourriture pour chats, des accessoires pour moto ou des romans policiers. Presque tout ce qui est imaginable. Avec un stock constitué à grande échelle, la firme promet une livraison rapide des commandes à n’importe quel point de la planète. Le secret d’Amazon ne réside pas seulement dans son réseau logistique sans précédents, mais aussi dans la précarisation énorme du statut de ses travailleuses et travailleurs. En même temps, l’entreprise utilise cette structure globale pour tenter de limiter l’impact des grèves.
Christian Krähling, délégué à Amazon Bad Hersfeld du syndicat Ver.di, explique le mécanisme. Lors de conflits du travail en Allemagne, « l’entreprise peut rediriger certaines commandes vers différents dépôts qui ne participent pas à la grève, surtout en Pologne ». Pour contrer la grève de San Fernando de Henares, Amazon a fait de même, transférer les commandes vers Barcelone ou la France.
Dans chaque centre, Amazon emploie une proportion importante de main-d’œuvre temporaire pour diviser le personnel et rogner leurs droits. Chose que l’on a pu voir lors de la grève à Madrid, où de nombreux temporaires sont allés travailler de crainte d’être licenciés. « Autant Amazon que les agences d’emploi temporaire ont dit aux travailleurs dont le contrat s’achevait dans une semaine, que s’ils faisaient grève, le contrat ne serait pas renouvelé. C’est une tentative « d’esquirolaje » [de briser la grève, de remplacer les grévistes], d’infraction au droit de grève ; une plainte sera déposée auprès de l’inspection du travail », avertit Luis Miguel Ruiz.
Comment mettre en échec un géant comme Amazon ? Krähling est convaincu de la nécessité de gagner le plus grand nombre de collègues à la grève et d’élargir la coordination internationale. « Nous avons besoin d’une stratégie à l’échelle de l’Europe afin d’aboutir à des actions syndicales unitaires. Nous travaillons en ce sens et avons progressé dans cette voie. Nous devons être conscients qu’il s’agit d’une longue bataille. »
Douglas Harper, délégué des Commissions ouvrières (CC.OO) auprès du Comité d’entreprise d’Amazon San Fernando, souligne le fait qu’il y a « 1200 travailleurs qui sont partis en grève en Allemagne, ce à quoi s’ajoute le soutien venu de Pologne. C’est très important car ces jours-ci les centres tournent à plein régime, et chaque centre en grève représente une perte directe pour Amazon. »
Les grèves ont pour objectif l’unification de la classe laborieuse, ajoute Harper. Elle est nécessaire pour dépasser « la concurrence des uns contre les autres imposée par le capitalisme. » Les travailleurs « ont en moyenne 24 ans, ils n’ont pas de conscience syndicale enracinée, mais ils comprennent la lutte et la nécessité de la solidarité, l’individualisme nous mène nulle part. » En Allemagne, Krähling va dans le même sens : « Le monde est toujours plus petit. Le capital franchit les frontières facilement. Nous devons faire de même ! Il ne s’agit pas seulement d’envoyer des messages de soutien à d’autres grévistes à travers le monde ou même de coordonner quelques grèves. Lorsque je rencontre des travailleurs d’Amazon à Leipzig, Poznan, Madrid ou de Canton en Chine, je me retrouve avec des frères et des sœurs. Cela touche au cœur et donne de l’énergie pour les luttes au quotidien, car tu sais que d’autres se battent dans les mêmes batailles. C’est très motivant et maintient la flamme de la lutte ! »
Adieux au prolétariat ? Non, bienvenue classe ouvrière !
Josefina L. Martínez
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