Lors du déjeuner annuel des Amis conservateurs d’Israël, la Première ministre britannique, Theresa May, a déclaré : “le 2 novembre 1917, Arthur James Balfour, qui était alors ministre des Affaires étrangères, écrivit ceci :
Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif et fera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif”.
La Première ministre britannique a lu l’intégralité de la lettre ouverte de Balfour. “C’est l’un des textes les plus importants de l’histoire, a-t-elle ajouté. Il montre le rôle crucial de la Grande-Bretagne dans la création d’une patrie pour le peuple juif.”
Relents antisémites
En 1917, Edwin Samuel Montagu était le seul membre juif du gouvernement britannique de David Lloyd George, dont Balfour faisait partie. Après avoir pris connaissance de l’ébauche de la déclaration Balfour, il adresse un mémorandum au gouvernement britannique, dans lequel il déclare : “Je tiens à exprimer officiellement mon opinion selon laquelle la politique du gouvernement de Sa Majesté est antisémite et, par conséquent, fera le jeu des antisémites dans tous les pays du monde.”
“Il est inconcevable que le gouvernement britannique reconnaisse officiellement le sionisme et permette à M. Balfour de dire que la Palestine doit être transformée en ‘foyer national du peuple juif’, poursuit-il. J’ignore ce que cela implique exactement, mais je suppose que cela signifie que les mahométans et les chrétiens devront céder leur place aux juifs, que ces derniers devront avoir la préférence en toutes choses et devront être assimilés à la Palestine comme les Anglais le sont à l’Angleterre ou les Français à la France, que les Turcs et les autres mahométans seront considérés comme des étrangers en Palestine de la même façon que les Juifs seront traités comme des étrangers dans tous les pays.”
“Peut-être faudra-t-il aussi n’accorder la citoyenneté qu’après un examen de religion”, ajoute-t-il avec ironie (car il n’y croyait très certainement pas). Cette dernière phrase s’est néanmoins révélée prémonitoire, puisque l’octroi de la citoyenneté israélienne est devenu indissociable de l’identité religieuse juive [aujourd’hui environ 22 % des citoyens israéliens ne sont pas juifs].
“Sionisme chrétien”
Vous comprendrez peut-être l’inquiétude d’Edwin Montagu pour les musulmans et les chrétiens vivant en Palestine – ils représentaient à l’époque plus de 90 % de la population du pays –, mais vous vous demanderez pourquoi il considérait “la politique du gouvernement de Sa Majesté” comme “antisémite”. Cela devient clair lorsqu’on lit en entier son mémorandum.
Citant deux journaux de l’époque, le quotidien conservateur The Morning Post, qui se distinguera en 1920 en publiant un chapitre des Protocoles des sages de Sion, le célèbre faux littéraire fabriqué pour discréditer les Juifs, et un hebdomadaire notoirement antisémite appelé The New Witness, Montagu écrit : “Je peux facilement comprendre que les rédacteurs du Morning Post et du New Witness soient des sionistes, et je ne suis pas du tout surpris que les non-Juifs d’Angleterre puissent se réjouir de cette politique.”
Il attirait ainsi l’attention sur le lien entre le désir antisémite de se débarrasser des Juifs et le projet sioniste d’envoyer tous les Juifs en Palestine. Il savait très bien une chose que la Première ministre Theresa May semble ignorer : le ministre britannique des Affaires étrangères Arthur Balfour lui-même était influencé par le courant antisémite connu sous le nom de “sionisme chrétien”, qui soutient le “retour” des Juifs en Palestine. Le véritable but derrière ce soutien – la plupart du temps non déclaré mais parfois clairement avoué – est de se débarrasser de la présence juive dans les pays à majorité chrétienne.
Pour les sionistes chrétiens, le “retour” des Juifs en Palestine remplit la condition de la seconde venue du Christ. Et celle-ci sera suivie du Jugement dernier, où tous les Juifs seront condamnés pour l’éternité aux souffrances de l’enfer s’ils ne se convertissent pas au christianisme.
D’ailleurs, lorsqu’il était lui-même Premier ministre, entre 1902 et 1905, Arthur Balfour a promulgué la loi sur les étrangers de 1905, dont l’objectif était d’empêcher l’immigration en Grande-Bretagne des réfugiés juifs fuyant l’antisémitisme meurtrier qui sévissait dans l’Empire russe.
Gilbert Achcar
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