INTRODUCTION
Les 22 hectares du site des Beaumonts sont situés au bord d’un plateau surplombant le centre ville de Montreuil, à l’Ouest, et le bois de Vincennes, au Sud. Ilot de nature au milieu de l’océan parisien, aéré par les cimetières voisins et le quartier des Murs à pêches, il accueille une riche avifaune, rare en milieu urbain : nicheurs « campagnards », migrateurs en goguette, hivernants à la recherche d’un havre... (1)
L’aménagement « doux » de la moitié sud-est du parc des Beaumonts a commencé en 1998. Il concerne une zone longtemps laissée à l’abandon, les travaux préalablement engagés sur l’ensemble du site ayant été interrompus à mi-course faute de financements. Une végétation spontanée s’est ainsi maintenue ou reconstituée, sur quelque 11 ha, avec une friche, des buissons et arbustes, des arbres isolés et des bosquets. Cette zone est maintenant appelée « l’Espace naturel des Beaumonts », pour la différentier des parties nord et ouest, le « Parc urbain » - un parc de facture traditionnelle qui comprend des aires de jeux et des pelouses artificielles saupoudrées de conifères ou feuillus (une vaste esplanade bétonnée était aussi prévue, mais n’a pas pu être réalisée avant l’épuisement des crédits). Cependant, la zone du parc urbain offre aussi d’intéressants boisements spontanés sur ses flancs, là où les coteaux sont trop raides pour être l’objet d’un aménagement « lourd ».
BREF RAPPEL HISTORIQUE
C’est en 1993 que l’intérêt ornithologique des Beaumonts a été signalé à la mairie de Montreuil et à la Diren Ile-de-France, puis ultérieurement inscrit dans une Charte pour l’environnement signée entre ces deux organismes. Une nouvelle conception d’aménagement du site a été élaborée, en vue de préserver et d’accroître sa biodiversité tout en offrant aux habitants des environs un bel espace d’allure naturelle, de facture « rurale ». Dans cette optique, un premier rapport a été présenté à la Diren, au conseil local de l’environnement et à la mairie. (2) Après un temps de latence, la mairie l’a effectivement pris en compte, sous l’impulsion de la maire ajointe Eliane Robin et de Nathalie Cadiou, ingénieur-conseil en environnement. (3) Elle a tout d’abord commandé une étude anthropologique , puis une étude de faisabilité, réalisée en 1997 par une équipe d’écologues professionnels, intégrant pleinement dimensions naturalistes et humaines. (4)
Le conseil municipal a adopté cette proposition d’aménagement écologique. Sa réalisation a commencé après la tenue sur le site, en juillet 1998, d’un chantier « environnement » de jeunes européens organisé par Solidarités jeunesses Ile-de-France en collaboration avec la mairie. Deux des écologues qui avaient réalisé l’étude de faisabilité, Philippe Rossier et Florian Meier (lui-même un ornithologue), se sont vus confier la direction et le suivi des travaux engagés sur l’espace naturel des Beaumonts. Concernant notamment le « reprofilage » d’une partie du site, ils ont été menés pendant environs six semaines de manière intensive, et puis de façon plus ponctuelle jusqu’en décembre. (5)
Il était temps d’intervenir. L’évolution spontanée de la couverture végétale commence à « fermer » le site et à réduire sa diversité : disparition des zones de végétation rase, expansion des boisements, impérialisme de quelques espèces exotiques devenues en Ile-de-France dominatrices... La pression humaine augmente d’année en année, de plus en plus de personnes découvrant les charmes de ce coin sauvage (bien qu’un peu dépotoir), qui pour faire griller des saucisses, qui pour mettre en jambes son chien.
CONTRAINTES
Il a fallu, dans le projet d’aménagement final, tenir compte d’importantes contraintes.
– En matière de budget, tout d’abord. L’un des atouts maîtres du projet alternatif est qu’il coûte près de dix fois moins cher que le précédent. De plus, grâce à son contenu novateur, écologique et pédagogique, il a bénéficié de subventions particulièrement importantes. (6) Il devait respecter d’étroites limites budgétaires.
– Du fait de ces limites, un certain nombre de possibilités ont dû être laissées de côté. Ainsi, les boisements, et en particulier les lisières dont on connaît l’intérêt ornithologique, n’ont pu être intégrés aux interventions financées pour 1998-1999. Espérons qu’il sera possible de revenir ultérieurement sur ces aspects pour l’instant négligés par la force des choses.
– Initialement, la création d’un étang d’assez grande taille était envisagée. Mais les Beaumonts constituent le point le plus haut de Montreuil. Acheminer de l’eau en quantité aurait coûté trop cher. Une autre solution, élégante, a été choisie : la constitution d’une zone humide avec quatre mares, dont trois reliées par un ru plus ou moins temporaire ; alimenté surtout par l’eau de pluie, avec un apport artificiel réduit. Pour cela, les « bassins versants » ont été élargis et, si nécessaire, le sol a été discrètement imperméabilisé par une membrane.
– Un dépôt de voirie empiète sur l’espace du parc. Il ne sera malheureusement pas déplacé. Dans cette partie de la friche, le cheminement humain est donc moins excentré que nous l’avions un temps espéré. Il longe ainsi le ru et le chapelet des trois mares. La présence humaine s’avère donc notable en bordure de la zone humide.
– Enfin, discutable dans son principe, une protection artificielle de la friche n’avait en pratique aucune chance de tenir ; les grillages auraient immédiatement été percés, puis démontés et efficacement recyclés au profit de jardins privés, comme l’expérience locale l’a déjà prouvé... L’idée de base est donc d’orienter le cheminement humain sur un parcours périphérique en offrant une promenade agréable de plus d’un kilomètre, de protéger le centre de la friche en multipliant les obstacles naturels (fossés et abruptes, zones humides et boueuses, barrières de végétation...), d’assurer la présence de trois emplois-jeunes, des « gardiens-animateurs » à même d’expliquer les nécessités de la protection. Deux de ces emplois-jeunes sont d’ores et déjà à pieds d’œuvre : François Carrez et Emmanuel « Manu » N’Dongo (qui avaient tous deux animés le chantier jeunes de juillet 1998).
REALISATIONS EN COURS
Malgré ces contraintes, l’étude de faisabilité n’a pas seulement permis de préciser et de donner chair aux suggestions initiales, elle les a aussi considérablement enrichies. Dans l’architecture d’ensemble, avec la zone humide conçue comme un système circulaire reliant trois mares via une petite cascade, et encore avec le reprofilage complet d’un long talus rectiligne et monotone. Dans mille détails aussi : accidents de terrains, pierriers, etc. Des détails qui ont une fonction paysagère évidente, mais qui servent de même à multiplier les refuges propices à la faune. De plus, cette étude, très fouillée, ne s’arrête pas à l’aménagement ponctuel du site mais présente des lignes directrices pour sa gestion dans la durée, sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir dans de prochains rapports.
La première phase des travaux a été réalisée en août-octobre 1998 avec le remodelage physique d’une partie du site (création du cheminement circulaire et de la zone humide, reprofilage du talus...). Elle a porté sur environ deux hectares, soit le cinquième seulement de la zone concernée. Elle a débuté plus tôt qu’il n’était originellement prévu, avant que la nidification ne soit complètement terminée. Cela s’est avéré indispensable pour profiter des beaux jours (les interventions les plus lourdes ne pouvant avoir lieu par mauvais temps, quand le sol est gorgé d’eau) et pour initier la repousse de la végétation avant l’hiver (afin de limiter les ravinements dus aux précipitations).
Les deux écologues auteurs du projet et responsables du chantier ont constamment suivi les travaux pour limiter au maximum les dérangements, préserver certaines plantes (églantiers, etc.), ne pas négliger la réalisation des importants « détails » (répartition des remblais importés en fonction de leur composition, création des pierriers, etc.), en un mot, guider précisément les engins de terrassement afin de tirer à chaque étape de ces travaux le meilleur parti en terme de valorisation écologique.
Des herbes à semences typiquement franciliennes ont été recherchées sur les coteaux calcaires de la Seine (77) et fauchées pour être répandues sur la zone de travaux (avec leurs insectes...), de façon à enrichir la biodiversité de la friche. Des blocs de grès, rejetés par les paysans, ont été à cette occasion découverts dans l’Essonne (91) et utilement recyclés aux Beaumonts. Des plantes palustres ont été collectées dans la région du parc régional du Vexin français et dans le bassin de rétention de la Bièvre (environs d’Anthony). Quelques plants ont été aussi offerts par le Lycée départemental d’Horticulture, à Montreuil.
Un mobilier rustique (petits ponts et bancs en troncs) a été installé, ainsi qu’une fontaine d’eau potable. D’ici au printemps, plusieurs interventions auront encore lieu pour travailler le détail du remodelage, harmoniser (bien qu’avec des moyens forts réduits) la transition entre l’Espace naturel et le Parc urbain aux Beaumonts, réaliser des plantations (ligneux, hélo- et hydrophytes), renforcer les protections naturelles de la friche. Ces interventions n’ont pas seulement pour objectif d’améliorer la qualité paysagère du site, de mieux le protéger face aux pressions humaines et d’enrichir la végétation francilienne. Elles visent aussi a (re) constituer et localiser des milieux naturels variés (humides, semi-humides, secs), qui, dans leur mosaïque, sont les véritables supports de la biodiversité.
EN PERSPECTIVE
Il faudra attendre encore au moins neuf mois pour tirer un premier bilan des interventions réalisées l’automne 1998 et l’hiver suivant ; le temps, notamment, de vérifier le succès des ensemencements et des plantations (et aussi de mesurer l’évolution des usages humains). Des problèmes sont évidemment apparus : piétinement des zones proches des chemins, pouvant faire avorter la pousse initiale de la pelouse naturelle en certains endroits ; attrait considérable exercés par les milieux humides, au moins de provoquer des dommages... Mais les choses commençaient néanmoins à prendre forme, fin 1998 début 1999. Que voit-on se dessiner ?
– En ce qui concerne végétaux, insectes et araignées, l’accroissement notable de la diversité du site apparaît assurée.
– Avec la multiplication des abris (pierriers...), des conditions favorables ont été créées pour une augmentation numérique des populations de micro-mammifères déjà existantes sur le site, pour le plus grand bonheur des Crécerelles. Une diversification des espèces semble aussi possible. Il en va de même en ce qui concerne les reptiles (qui utilisent les abris secs) et batraciens (mares et trous d’eau temporaires).
– La zone humide devrait attirer diverses espèces d’oiseaux auparavant absentes du site, ou du moins très rarement présentes. (7) Une fois que la végétation ad hoc aura poussé, certains passereaux (telles les fauvettes des marais) devraient pouvoir stationner sur le site ; mais cela risque de ne pas être le cas pour les oiseaux d’eau tels les canards ou les limicoles, vu la proximité de la présence humaine. Cependant, même ces dernières espèces pourraient utiliser le site quand les humains n’y sont pas : la nuit (canards...), par temps de pluie, à l’aube...
– Quelques espaces buissonnants, utilisés par des fauvettes notamment, ont été réduits sur le pourtour sud de la friche, mais des plantations sont effectuées en d’autres endroits et les principaux lieux de nidification n’ont pas été touchés. Une fois le nouvel équilibre végétal atteint, les nicheurs ruraux fréquentant les buissons et arbustes devraient bénéficier d’un environnement encore meilleur qu’auparavant, dans la mesure du moins où la pression humaine restera effectivement limitée.
– Il apparaît aussi possible, mais pas certains, que les nicheurs à terre (alouettes, pipits) retrouvent des conditions assurant à nouveau leur présence et leur nidification régulière.
Beaucoup va évidemment dépendre du contrôle de la pression humaine, canine et féline exercée sur le site. De premières indications peuvent déjà être tirées, en ce domaine
La fréquentation humaine a beaucoup augmenté à la périphérie de la friche, c’est-à-dire sur le cheminement circulaire long d’un gros kilomètre. Le site réaménagé est immédiatement devenu un lieu de promenade familial. Il remplit ainsi, comme prévu, une fonction différente des autres parties du parc (aires de jeux, pelouses...) - une fonction propre qui correspond bien à sa facture « rurale ». Il attire aussi aujourd’hui moult joggers, chefs de meutes et cyclistes... Des règlements assez stricts doivent en conséquence être adoptés à ce sujet d’ici au printemps.
En revanche, la pénétration au centre de la friche a diminué à la suite des incitations positives (un agréable chemin circulaire), de la création d’obstacles naturels (fossés, talus, végétation), des contacts établis avec la population avoisinante et des explications fournies sur le terrain par les gardiens-animateurs... Bien entendu, cette pénétration n’a pas disparu et risque encore de menacer les nidifications (avec, en particulier, la pression canine). Mais une partie des « transgressants » n’est simplement pas au courant du projet en voie de réalisation sur le site.
L’objectif que nous nous sommes assignés apparaît donc, à première vue, réalisable : répondre effectivement à un besoin social tout en assurant une protection suffisante de l’avifaune. Mais le succès n’est toujours pas garanti. Avec la venue des beaux jours (et alors que bien des défenses végétales n’auront pas encore eu le temps de pousser), la pression humaine sur la zone protégée peut brutalement exploser. Des aires de repos ont été dégagées sur le pourtour du cheminement circulaire, mais la tentation du pique-nique « sauvage » au cœur de la friche sera grande ! Et ce d’autant plus que certaines parties de cette friche ont été fauchées pour reconstituer des zones de végétation rase, offrant ainsi des espaces bien attirants pour qui veut jouer avec son chien ou prendre le soleil en famille...
Sur l’ensemble des Beaumonts, il faut renforcer la spécificité et la complémentarité des différentes parties du site ; y compris pour mieux répartir son utilisation, éviter une pression humaine trop concentrée sur l’Espace naturel et améliorer l’« environnement » de ce dernier.(8) Notons ici trois points. Un secteur du coteau a subit un nouveau glissement de terrain, suite à l’abondance des pluies ; il offre actuellement un « profil » intéressant qu’il pourrait convenir, dans la mesure du possible, de stabiliser quasiment « en l’état » grâce notamment à une végétalisation (si cela convient : des bouleaux et aulnes dans la partie basse, en harmonie avec ce qui existe déjà, et des buissons dans la partie haute pour ne pas bloquer la vue panoramique). Les zones de pique-niques en dehors de la friche peuvent être valorisées. Ainsi d’ailleurs que la partie nord du Parc naturel qui pourrait, par exemple, offrir plus d’ombre (quand le soleil tape...), d’espaces jeux pour les petits enfants, un coin spécifique pour les chiens, voire elle aussi de l’eau...
En ce qui concerne plus précisément l’Espace naturel, il faut maintenant placer rapidement des panneaux explicatifs aux entrées du parc. Quelques interventions supplémentaires sur le terrain pourraient permettre de limiter encore les toujours trop nombreuses voies d’accès à la friche et de consolider les défenses naturelles. Ces interventions étaient d’ailleurs généralement prévues dans le plan de travail initial, mais n’ont pu être réalisées dans le cadre du budget (la fréquence des pluies durant la période de travaux a, en effet, réduit l’efficacité et la rentabilité des jours de location des engins de terrassement). L’embauche prévue du troisième emploi-jeune devrait permettre aux gardes-animateurs d’être présent durant les week-ends (les jours de pression maximale !). Enfin, il est très important que la population locale fasse sienne le projet d’ensemble. C’est probablement l’élément déterminant du succès.
Nous sommes entrés dans une étape prometteuse mais délicate pour le projet Beaumonts. Il faut donc, en l’état, éviter tout ce qui peut augmenter la fréquentation d’ensemble et, en particulier, la pénétration de la friche.
Notes
(1). Ce chapitre reprend, en l’adaptant et en l’augmentant, un article écrit initialement pour l’Epeichette, le bulletin du Corif. Un article qu’un lecteur avait trouvé particulièrement « amusant » car il y était question « d’un « rut » chargé d’alimenter une zone humide » - « érogène ? » se demandait-il. Le « ru » a retrouvé ici son orthographe propre. Le texte gagne ainsi en clarté, mais perd peut-être un peu de son sel.
(2) Pierre Rousset, Montreuil-sous-Bois (93). « Le site du Parc des Beaumonts. Rapport sur l’avifaune du site, propositions pour son aménagement : espace champêtre et réserve ornithologique (6 février 1996) », document.
(3) Arlindo Stephani, « Le Parc des Beaumonts à Montreuil-sous-Bois. Etude anthropologique appliquée au projet d’aménagement, octobre 1996 ».
(4) Commune de Montreuil-sous-Bois (93), Service Environnement, Projet d’aménagement de l’espace naturel des Beaumonts. Un espace vert public pour l’Homme et les Oiseaux. Etude de faisabilité. Rapport final, étude réalisée par Dominique Feuillas, Florian Meier et Philippe Rossier, octobre 1997.
(5) Florian Meier et Philippe Rossier conduisent de même la seconde phase des travaux, consacrée pour l’essentiel à la revégétalisation ; mais comme celle-ci se réalise en 1999, elle ne sera présentée que dans mon prochain rapport annuel...
(6) Les travaux de 2 322.OOO F TTC ont été supportés par la ville de Montreuil à hauteur de 20 % HT, par l’AREV (40 % HT), par le conseil général (30 % HT) et par la Diren : 10 % HT et 22 % TTC avec notamment les études préliminaires inclues.
(7) Les premiers signes, concernant l’attrait des nouveaux milieux humides, ne se sont pas fait attendre. Dès novembre 1998, des traces de Héron cendré ont été notées au bord de la mare située près de la butte sud (l’espèce n’avait auparavant été notée qu’en survol). En mars 1999, trois Tadornes casarcas (mais probablement hybrides) sont restées une bonne demi-heure près de l’étang en contrebas de la cascade et deux limicoles (non identifiés) ont été vues s’envolant des parages. Enfin, des colverts fréquentent le site beaucoup plus fréquemment que par le passé.
(8) Comme dans le reste de ce texte, j’ai librement introduit ici des observations formulées par d’autres, à commencer par Philippe Rossier, Florian Meier et Nathalie Cadiou.