La plus célèbre des prisonniers politiques du pays reste sans conteste Aung San Suu Kyi, qui a passé quinze ans en résidence surveillée. Il ne faut pas oublier pour autant les 10 000 autres prisonniers de conscience emprisonnés [avant la révolte populaire de 1988] depuis le coup d’État de Ne Win en 1962, selon les chiffres de l’Association of Assistance to Political Prisonners (AAPP), qui vient en aide aux prisonniers politiques. Selon l’AAPP, environ 240 d’entre eux seraient morts en prison ou pendant un interrogatoire.
Mais, bien qu’il y ait eu de nombreuses amnisties depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement de Thein Sein, en 2011, il reste encore des prisonniers politiques dans les prisons birmanes [200 selon l’AAPP].
À l’approche du 30e anniversaire du soulèvement contre l’ancienne junte, le 8 août prochain, rien ou presque n’a encore été fait pour les milliers de personnes qui ont souffert dans les geôles du pays, tristement célèbres pour leur manque d’hygiène et leurs conditions de vie déplorables.
Pas de procès du passé
Quelques jours après la victoire du parti d’Aung San Suu Kyi, La Ligue nationale pour la démocratie (LND), aux élections de novembre 2015, les journalistes lui ont demandé comment elle comptait réconcilier le pays avec son passé douloureux. Elle a répondu qu’elle ne comptait pas organiser “un nouveau Nuremberg”, en référence au procès des responsables nazis après la Seconde Guerre mondiale.
Pour les tenants de cette position, le pays doit aller de l’avant. Saisir la justice pour des faits qui ont eu lieu alors que le pays était sous la coupe des militaires ne ferait que rouvrir de vieilles blessures et pourrait nuire aux relations déjà tendues entre la LND et l’armée.
Mais le gouvernement pourrait aller plus loin. La LND est issue du mouvement en faveur de la démocratie, et une bonne partie de ses membres ont passé des années en prison.
Essentiel pour construire l’avenir
Apparemment certaines personnalités au sein du parti sont sensibles à ce sujet, mais, vu la manière dont le parti fonctionne, ils n’ont pas leur mot à dire.
Le gouvernement a beaucoup de défis à relever, et certains sujets comme la remise à plat de l’économie, le processus de paix [avec les minorités ethniques] et la crise dans l’État d’Arakan [où la répression militaire contre les musulmans rohingyas a poussé 700 000 d’entre eux à fuir vers le Bangladesh] sont jugés plus important que des faits qui ont eu lieu sous la junte militaire.
Pourtant, la façon dont la Birmanie se penchera sur son passé est cruciale pour dessiner son avenir.
Le gouvernement doit agir
Dans l’ensemble, les problèmes de santé mentale des anciens prisonniers sont désormais plus facilement abordés. Les prisonniers politiques, dont un grand nombre ont été soumis à la torture et ont passé des mois, voire des années, loin de leur famille, sont ceux qui ont le plus souffert.
Des années après leur libération, les anciens opposants subissent encore les séquelles de leur incarcération. C’est un domaine dans lequel le gouvernement peut encore faire des progrès. En l’absence de soutien du gouvernement, ce sont principalement les petites associations qui travaillent avec ces anciens prisonniers.
Elles les aident à recouvrer une meilleure santé mentale et à retrouver du travail. Le gouvernement devrait soutenir ces organisations, et les aider à se développer.
Réformer la justice pour avancer
En outre, l’urgence serait de faire libérer tous les prisonniers politiques, mais il faudrait pour cela entamer des réformes judiciaires importantes. Les manquements de la justice en Birmanie ont été très médiatisés.
La justice est corrompue et manque d’indépendance, alors que la formation des avocats et des juges laisse à désirer. Si la Birmanie veut devenir un pays vraiment démocratique, elle doit s’assurer de ne plus laisser un seul prisonnier politique dans ses prisons.
Frontier Myanmar
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