L’Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités (USTKE) a été reconnue officiellement, en 2006, comme étant la première organisation syndicale de Nouvelle-Calédonie. Elle a pu gagner cette place parce qu’elle est intransigeante dans la défense des intérêts de tous les travailleurs, qu’ils soient kanaks, immigrés des îles voisines (Wallis, Futuna, Tahiti...), caldoches ou métropolitains. Quatre thèmes étaient à l’ordre du jour de son XIIe Congrès, du 4 au 6 décembre : le combat social, l’emploi local et le rééquilibrage en faveur des Kanaks, les projets miniers et, enfin, l’alternative politique à construire pour accéder à l’indépendance.
Les luttes sociales menées par le syndicat ont permis des avancées non négligeables, comme la mise en place de retraites complémentaires ou d’un fonds social pour l’habitat. Mais, dans un contexte colonial, beaucoup de revendications se heurtent au pouvoir politique, qui refuse une répartition des richesses plus favorable aux travailleurs du pays et au développement durable. Le financement de la protection sociale ne peut être assuré que par une redéfinition de la fiscalité, notamment celle s’appliquant à l’exploitation du nickel.
Dans cette colonie, le dialogue social est tellement inexistant que les conflits sociaux ne se résolvent que par l’instauration d’un rapport de force : les prud’hommes, par exemple, n’existent pas dans ce prétendu bout de France. La contestation d’un licenciement nécessite souvent le blocage, parfois pendant des semaines ou même des mois, de l’entreprise ou de l’administration responsable pour obtenir gain de cause.
Dérogation constitutionnelle
Les conflits concernant la discrimination au travail débouchent sur des problèmes politiques parce qu’ils touchent à la sacro-sainte liberté d’entreprendre des patrons. L’accord de Nouméa prévoit bien une priorité à l’embauche de la main-d’œuvre locale par rapport aux immigrants venus récemment d’Europe et un rééquilibrage en faveur des Kanaks. Mais les administrations et les patrons, prétextant le manque de qualification ou d’expérience, refusent généralement d’appliquer ces principes, ce qui est généralement fallacieux par rapport au travail à effectuer. L’USTKE a fait de la lutte pour le rééquilibrage l’une de ses priorités. Elle engage, à chaque fois qu’elle le peut, des conflits pour imposer que les embauches répondent aux critères définis dans l’accord de Nouméa.
Lorsque l’entreprise est dirigée par des Européens, seul le rapport de force peut permettre de gagner. Pour le construire, la lutte ne peut se cantonner au sein de l’entreprise mais doit se développer au niveau de son environnement, cela entraîne des conflits durs qui dépassent le cadre strict à l’origine du problème. Mais lorsque le même type de conflit se développe avec des dirigeants kanaks, le syndicat est alors accusé de faire de la politique et de sortir de son champ d’intervention. L’USTKE revendique haut et fort son droit à faire appliquer ce point de l’accord de Nouméa, et donc à intervenir sur le champ politique. Si les représentants politiques kanaks ont aujourd’hui abandonné une partie de leurs convictions d’hier, ils ne peuvent obliger les militants de l’USTKE à faire de même.
Ce terrain de lutte est ancien pour l’USTKE : dès 1991, le syndicat a mis en avant les revendications d’emploi local et de rééquilibrage. Il est, en partie, à l’origine de leur intégration dans l’accord et dans la dérogation constitutionnelle, la loi organique de 1999, qui lui donne sa légalité pour les fonctions publiques. Mais, depuis, aucune « loi de pays » (loi votée par le congrès du territoire et validée par l’État français) n’a été votée concernant son application dans le secteur privé. C’est l’une des raisons qui poussent les militants de l’USTKE à chercher des relais politiques au niveau du territoire afin que ce point essentiel ne soit pas bradé pour d’autres intérêts.
Indépendance
Le débat sur la politique minière du pays a abordé les problèmes sociaux et environnementaux. La Nouvelle-Calédonie possède l’un des plus gros gisements de nickel au monde. Il en est aujourd’hui le troisième producteur. Les secteurs miniers et métallurgiques représentent 80 % des exportations calédoniennes. La logique libérale actuelle entraîne que la majorité des bénéfices de cette industrie va dans les poches des multinationales et est distribuée ou réinvestie hors du territoire. L’USTKE revendique « la réappropriation de toutes nos ressources minières dans le cadre d’une territorialisation préfigurant la nationalisation que nous voulons pour le pays indépendant demain. Cela aura pour effet de permettre que les profits générés à partir de l’exploitation minière et industrielle reviennent au pays et à sa population ».
Les autres aspects de l’extraction et du traitement du minerai de nickel sont les ravages durables causés à l’environnement. Il a fallu environ 80 millions d’années pour qu’un processus géologique rare aboutisse à ce que la grande terre, l’île principale du territoire, recèle du nickel dans 90 % de son sous-sol. Une exploitation envisageable actuellement sur 50 ou 100 ans seulement doit donc être soumise aux contraintes du développement durable. Il faut que les bénéfices d’aujourd’hui ne mènent pas à une terre défigurée et un écosystème détruit. L’USTKE exige donc l’élaboration d’un cahier des charges précis pour les mineurs et exploitants dans le cadre d’un code minier et d’un code de l’environnement. Ces contraintes existent en métropole et dans les pays développés, il faut les imposer en Kanaky. De même, l’USTKE demande la mise en place d’un fonds patrimoine pour les générations futures à l’image de ce qui existe au Canada pour les Indiens inuits et crees.
Que ce soit sur la protection sociale, sur la politique de formation et d’emploi, ou sur la maîtrise et l’exploitation des ressources minières, les revendications se heurtent au pouvoir politique actuel. Les trois premiers débats ont naturellement débouché sur le quatrième thème : l’USTKE et l’alternative politique. La démission des partis indépendantistes conduit donc l’USTKE à investir le champ politique institutionnel à travers les prochaines élections municipales et provinciales de 2009.
Encarts
25 ans de lutte
L’Union des syndicats des travailleurs kanaks et des exploités (USTKE) a été fondée le 5 décembre 1981 par des militants d’origines diverses (Usoenc, liée à la CFDT, Fédération des fonctionnaires, plutôt corporatiste, etc.), qui dressaient le constat que la dimension kanak de leur lutte n’était pas prise en compte dans le combat syndicaliste. Les origines politiques aussi étaient multiples, de l’Union calédonienne, première organisation politique du territoire à avoir organisé des Kanaks et ayant évolué de la revendication autonomiste à celle pour l’indépendance, aux Foulards rouges, force créée par des étudiants kanaks revenus de métropole après Mai 68.
Le préambule des statuts du syndicat indique : « L’USTKE se prononce pour le droit à l’autodétermination du peuple kanak et au libre exercice de sa souveraineté nationale, et pour la suppression de l’exploitation capitaliste. L’USTKE se détermine en conséquence pour l’accession à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie et pour la socialisation des moyens de production et d’échange. Elle s’engage donc dans la lutte pour l’indépendance kanak socialiste. »
En 1984, l’USTKE est l’un des éléments moteur de la création du Front de libération nationale kanak socialiste (FLNKS), qui fédère partis et organisations sociales (syndicats, comités de lutte, associations de femmes) pour la lutte vers l’indépendance de Kanaky. En 1988, le FLNKS signe les accords Matignon-Oudinot, qui mettent fin à quatre ans « d’événements ».
Le gouvernement Rocard fait croire aux indépendantistes que, par ces accords, l’État français s’engage à organiser un processus de dix ans en vue de l’autodétermination et de l’indépendance, alors qu’il s’agit de désamorcer la revendication indépendantiste et d’assurer la pérennité de la domination française sur le pays. En 1989, l’USTKE est écartée de la direction du FLNKS au prétexte qu’un syndicat ne doit pas s’occuper de politique. Les partis indépendantistes, eux, se coulent dans le moule institutionnel inventé par Rocard et gèrent loyalement les provinces qui leur ont été allouées.
En 1998, à l’échéance prévue pour le référendum d’autodétermination, la composition du corps électoral aurait nécessairement abouti au rejet de l’indépendance. Face à la perspective d’une crise aussi violente que celle de 1984-1988, le FLNKS signe l’accord de Nouméa, repoussant de vingt ans encore la date du référendum.
Le piège mis en place par Rocard fonctionne, les luttes fratricides pour la quête de postes de pouvoir aveuglent les partis indépendantistes et leurs dirigeants. La division est totale et les militants déboussolés s’éparpillent, laissant le champ libre à une droite coloniale toujours présente et arrogante. Les timides avancées vers le rééquilibrage économique et politique en faveur des Kanaks ne suffisent pas à leur rendre leur juste place dans la société. Beaucoup de militants indépendantistes ne se retrouvent pas dans la nouvelle donne politique. Le décalage entre militants et dirigeants des partis du FLNKS est total. Pour autant, de nombreux militants ne se résignent pas à capituler et à abandonner une lutte qui a coûté des centaines de vies au cours du siècle dernier.
Fort de ce constat, l’USTKE est décidée à tout mettre en œuvre pour la création d’une nouvelle force politique qui soit en mesure, à l’échéance de 2018, de gagner l’indépendance dans le cadre d’un nouvel État « solidaire, démocratique et fraternel ».
Sarkozy, danger
Au lendemain du vote, par l’Assemblé nationale, de la proposition de modification de la Constitution pour inscrire la définition du corps électoral « figé » en Nouvelle-Calédonie (lire Rouge n° 2186) [1], le député RPCR-UMP Pierre Frogier a déclaré qu’il se sentait « délié de l’accord de Nouméa », que l’État français a cosigné et fait ratifier par référendum en 1998... C’est pourtant Frogier que Sarkozy a choisi, la semaine suivante, pour porter les couleurs officielles de l’UMP aux prochaines législatives. Que vaut pour lui un accord signé il y a huit ans, et qui devait engager la France pour vingt ans ? Pas grand-chose, puisque les partenaires sont kanaks sans doute.
Si danger il y a du côté de Sarkozy, le PS n’en est toujours pas à l’heure de la décolonisation : il propose une large autonomie aux Calédoniens.
[1] Sur le site d’ESSF : Kanaky : respecter les engagements