Rappel des faits
Le magazine Imagine demain le monde avait déjà abordé cette situation en mai 2015, rappelant l’historique des dégâts causés par Texaco, racheté par Chevron depuis lors :
L’histoire de Texaco en Equateur, c’est le récit d’un gâchis qui dépasse l’entendement, le fruit malheureux d’un mélange de cupidité aveugle, d’incompétence criminelle et de mépris de la forêt et des hommes.
En 1964, Texaco creuse son premier puits au cœur de la forêt amazonienne d’Equateur. Le territoire autour du puits n’est habité que par quelques familles indiennes, l’entreprise ne prend donc aucune précaution particulière. Les boues toxiques dégagées par les forages sont simplement stockées dans des bassins non couverts. Une solution normalement provisoire mais qui dure. Aussi, lorsqu’il pleut, les bassins débordent et rejettent leur mortel contenu dans la forêt et ses cours d’eau. Au total, la firme creusera 356 puits et quatre fois plus de bassins. Elle ouvrira également des routes pour évacuer le pétrole. Sa technique ? Raser les arbres, puis arroser le sol de pétrole et étaler une sorte de macadam qui doit être régulièrement renouvelé.
Résultat, en 26 ans d’activité, Texaco déversera au cœur de l’Amazonie pas moins de... 100 millions de litres de pétrole, ainsi que 64 milliards de litres d’eau toxique, anéantissant 450 000 hectares de forêts. C’est 30 fois la marée noire provoquée par l’Exxon Valdez qui s’échoua en Alaska en 1986 !
Cette catastrophe va pousser des milliers de riverains à l’exil... du moins quand ils le peuvent. Plusieurs milliers d’autres personnes continueront à vivre dans la forêt malgré l’air vicié, l’eau impropre et les sols stériles. Des centaines d’entre elles mourront de cancer, de maladies pulmonaires. Deux peuples indigènes, les Tetetes et les Sahsahuaris, disparaîtront totalement. Anéantis par la maladie et dispersés par l’exode...
David contre Goliath devant les tribunaux
C’est en 1993 que 30.000 personnes affectées décident d’initier une procédure judiciaire vis-à-vis de Texaco devant la justice des Etats-Unis. Texaco a récolté 14 déclarations d’experts qui affirmaient que la justice équatorienne était compétente et a ainsi obtenu au bout de 9 ans que l’affaire soit renvoyée vers les tribunaux équatoriens, pour ensuite accuser la justice équatorienne d’être corrompue. En bref, 20 ans de procédure ont mené les victimes depuis un tribunal américain, via un tribunal local équatorien, jusqu’à la plus haute juridiction d’Equateur qui en novembre 2013 a confirmé la condamnation de Chevron à payer 9,5 milliards de dollars US, une somme bien nécessaire pour nettoyer les immenses zones polluées et soutenir les soins de santé des personnes lourdement touchées. Chevron a refusé de payer et vigoureusement combattu les tentatives d’obtenir paiement auprès de diverses juridictions dans le monde.
L’arbitrage « ISDS » donne Goliath vainqueur …
En parallèle, Chevron a initié dès 2009 une procédure d’arbitrage basée sur le traité bilatéral de protection des investissements liant l’Equateur aux USA. Contrairement à de nombreux différends qui s’appuient sur la clause interdisant les « expropriations indirectes », ce cas-ci se base sur les dispositions du traité garantissant un « traitement juste et équitable » pour les investisseurs transnationaux – arguant que les tribunaux équatoriens corrompus auraient traité Chevron injustement – ainsi que sur la clause dite « parapluie », qui permet d’invoquer toute disposition contractuelle entre une entreprise et un Etat devant le tribunal d’arbitrage. En effet, Chevron affirme qu’un accord signé en 1995 avec le gouvernement équatorien le libère de toute obligation d’indemnisation des victimes. Pourtant, ces victimes elles-mêmes n’ont pas signé cet accord et n’ont donc jamais renoncé à obtenir justice.
Quoiqu’il en soit, la sentence arbitrale du 30 août publiée ce 7 septembre retient les arguments de Chevron et condamne l’Equateur à ne pas réclamer l’application du jugement, ainsi qu’à supporter tout coût lié à ce jugement. Les organisations soutenant les victimes en Equateur ont dénoncé vigoureusement cette décision. Elles rappellent également l’initiative prise par l’Equateur, répondant à l’appel d’organisations de la société civile des quatre coins du monde, visant à mettre en place à l’ONU un traité qui mettrait fin à l’impunité des firmes transnationales qui engendrent ce type de dégâts humains.
… on continue ?
Le combat des citoyens affectés en Equateur ne s’arrêtera pas là, mais il subit un sérieux revers à cause de ce système d’arbitrage qui place de facto les profits de Chevron – 21 milliards USD en 2013 – avant la santé des populations touchées par ses activités.
Face à ce nouveau cas, comment comprendre que les autorités belges persévèrent dans l’adoption de traités qui contiennent un dispositif d’arbitrage entre investisseurs et Etats du même type ? Pas plus tard qu’en juillet 2018, le Parlement fédéral a ratifié le CETA ainsi qu’un accord Belgique-Barbade. Parallèlement, le Parlement wallon a adopté l’accord Belgique-Panama qui comporte une telle clause d’arbitrage, tandis que le Ministre Reynders annonce de nouvelles négociations de traités du même type « prochainement ». En outre, la Belgique aura à se prononcer en septembre ou octobre prochain sur l’adoption par l’UE d’accords avec Singapour et le Vietnam comportant une telle clause (les premiers depuis le CETA).
Michel Cermak
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