Les munitions utilisées par les chasseurs et les tireurs sportifs sont à l’origine d’une contamination insoupçonnée au plomb des écosystèmes et posent un risque pour l’environnement et la santé humaine. C’est le constat majeur d’une expertise rendue publique, mercredi 12 septembre, par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA).
Basée à Helsinki, elle avait été saisie en 2015 par la Commission européenne, qui réfléchit à des mesures de restriction de l’usage des munitions au plomb dans les zones humides, les plus vulnérables. L’ECHA a répondu l’année suivante que les données disponibles justifient des restrictions de l’usage du plomb dans ces environnements fragiles. L’agence préconise désormais, après examen de nouvelles données, des mesures de restriction additionnelles.
De fait, les chiffres sont impressionnants. Chaque année, selon les données de l’industrie citées par l’ECHA, 30 000 à 40 000 tonnes de plomb sont utilisées en Europe dans des munitions de types variés. Sur ce total, précise l’ECHA, « 21 000 tonnes sont utilisées par les chasseurs, dont un maximum de 7 000 tonnes dans les zones humides et de 14 000 tonnes sur la terre ferme ». Le tir sportif disperse, de son côté, sur les champs de tir, de 10 000 à 20 000 tonnes de plomb par an.
La répartition de cette contamination dans les Etats membres de l’Union européenne n’est pas connue avec précision, mais la France s’octroie à l’évidence la part du lion : environ un quart des quelque 5,2 millions de chasseurs européens sont français.
« Un poison »
Les effets sur l’environnement concernent d’abord la faune sauvage. L’ECHA estime de manière « préliminaire » qu’entre un et deux millions d’oiseaux meurent chaque année d’intoxication au plomb. Soit en ingérant directement des grenailles de plomb, soit par contamination secondaire, dans le cas des rapaces.
Le plomb n’est pas seulement toxique pour les animaux, il l’est aussi pour les humains. C’est l’un des neurotoxiques les plus puissants et le consensus scientifique à son sujet est qu’il n’existe aucune dose d’exposition sans risque.
« Le plomb est un poison non spécifique qui affecte la plupart des fonctions de l’organisme, avec des effets négatifs sur l’état de santé général, la reproduction ou encore le comportement, pouvant conduire à la mort, explique l’ECHA dans son rapport. Le plomb affecte tous les animaux sur lesquels il a été étudié, des oiseaux migrateurs aux humains. Il diffère de bien des contaminants en ce sens qu’il n’existe aucun seuil de toxicité pour de nombreux effets, en particulier sur le développement du cerveau ou sur le rein. »
La toxicité considérable de ce poison réserve toujours des surprises aux chercheurs : une récente étude vient de conclure que l’exposition à bas bruit de la population générale américaine pourrait être responsable d’environ 18 % de la mortalité aux Etats-Unis.
Contamination des nappes phréatiques
Or, note l’ECHA, l’accumulation de plomb dans l’environnement présente un risque de contamination des ressources en eau. Le tiers des champs de tir sportif de Finlande sont par exemple situés à moins de 100 mètres d’un aquifère, illustre l’agence, ajoutant que des chercheurs finlandais ont identifié au moins trois cas de contamination au plomb de ces nappes phréatiques – les concentrations du métal lourd étaient alors environ dix fois supérieures aux valeurs réglementaires en vigueur.
Outre ce risque, la consommation du gibier abattu est aussi problématique. Et ce même en retirant la grenaille de l’animal. « De récentes recherches suggèrent que des fragments de plomb se dispersent largement dans les tissus, sous forme de particules microscopiques, potentiellement de taille nanométrique, écrit l’ECHA. Enlever la chair autour de la blessure ne suffit pas à ôter tout le plomb qui pourrait être absorbé par le consommateur. »
A l’heure actuelle, vingt-quatre des vingt-huit Etats membres réglementent, chacun à sa manière, l’utilisation de munitions en plomb dans certaines zones. Mais la pusillanimité de ces restrictions ne semble pas en mesure de réduire la contamination environnementale issue de la chasse et du tir récréatif.
« Les coûts de remplacement des grenailles de plomb sont limités, dans la mesure où des alternatives en acier sont disponibles et peuvent être utilisées dans la plupart des fusils, précise l’ECHA. Ainsi, le surcoût pour les chasseurs serait faible. »
Stéphane Foucart