Une campagne électorale à mi-chemin kidnappée par l’identitarisme ?
Québec solidaire, meilleur parti mais à côté de la plaque… verte
Dans cette campagne électorale, les Libéraux sortants traînent leur triste bilan d’austérité extrême, de favoritisme envers les « docteurs », de corruption cachée par l’UPAC et de cyniques surplus justifiant des bonbons à la pelle. La CAQ, le parti d’un seul homme d’affaire, en rajoute tout en soustrayant des revenus, contradiction à la hauteur de son économiste vedette au néolibéralisme extrême qu’elle cache et des candidats ripoux qu’elle doit congédier. Le PQ, quant à lui, attire la racaille islamophobe qu’il doit soit rabrouer soit congédier quand l’évidence meutière crève les yeux. Ne reste plus que Québec solidaire comme garanti de probité, d’accueil et d’ouverture pluraliste, de générosité populaire (et pour les PME) et de soucis écologique dont témoignent son plan de transition. C’est comme si le trio néolibéral déroulait le tapis rouge à Québec solidaire. Mais voilà qu’en mi-campagne, faute de réfugiées « envahisseurs », le thème de l’immigration se pointe du nez.
Sans plus se casser la tête, on votera donc pour les Solidaires sans hésiter. Pas le choix à moins de considérer ces partis marginaux tous fédéralistes ou s’isoler dans une abstention sans objet. Et pour les plus politisés qui ont le cœur à gauche, on fera campagne avec eux ou pour eux. Est-ce à dire que la concrète proposition Solidaire est à la hauteur des défis de notre époque dont le noyau est la rupture de l’écosystème terrestre (climat, biodiversité, pollution plastique…) qui tôt ou tard se conjuguera à un retour de la grande crise économique de 2008 dont les fondements sont restés entiers et empirent sans cesse. Cette conjugaison s’exprime dans la crise des réfugiées qu’on devrait appeler crise de l’impérialisme. Mais contrairement à l’Union européenne, aux États-unis et à l’Australie, le Canada par sa géographie loin des foyers de crise et de misère et son hypocrite pingrerie envers les réfugiées du Chemin Roxham a su pour l’instant désamorcer cette bombe politique.
L’ogre identitaire sort de sa tanière
Au fur et à mesure que l’électorat porte davantage attention aux chapelets de promesses des partis, la CAQ baisse dans les sondages tant son orientation droitière contredit le sentiment centre-gauche de l’opinion publique. Celle-ci se retrouve davantage dans les promesses clefs des Solidaires dorénavant mieux médiatisées grâce au travail assidu de sa petite députation arrachée un à une au système uninominal à un tour et au travail terrain de sa militance. La critique droitière du soit-disant irréalisme comptable des engagements Solidaires se heurtent aux surplus budgétaires du tango de la prospérité économique avec l’austérité Libéral combiné au sérieux de l’étalement détaillé de ses sources de revenus fiscaux. Au pied du mur, sans cadre financier sérieux, la CAQ abat la carte identitaire, le joker de toujours dans son jeu. À défaut d’une pseudo crise d’afflux de réfugiées et malgré un marché du travail vieillissant au sommet du cycle économique en quête de travailleuses mal rémunérées ou spécialisées, la CAQ ressuscite sa thématique préférée en invoquant à l’horizon 2100 l’anglicisation de la nation québécoise… et non pas une crise existentielle de la civilisation due à la crise climatique. Elle ne fait bien sûr aucun lien entre la possibilité de la marginalisation du français et sa promotion outrancière du néolibéralisme dont la lingua franca est l’anglais.
Ce quitte ou double l’oppose comme elle le désire aux Libéraux idéologiquement ouvert à l’immigration que souhaite plus abondante les gens d’affaires, du moins en ce qui concerne les grandes entreprises. En parallèle, la même thématique oppose le PQ, dont la position est un copie-coller édulcoré de la position caquiste, aux Solidaires dont la position s’aligne sur celle des Libéraux quant au nombre plus certains d’engagements pour faciliter l’intégration (proportionnalité des embauches dans la fonction publique, reconnaissance des diplômes plus prompte…) En un mot, si ce débat devient le fer de lance du restant de la campagne électorale, les Solidaires se retrouveront dans l’ombre des Libéraux qui attireront le vote « stratégique » des démocrates mous quant à la liberté à laisser aux forces du marché. La thématique écologique, à laquelle il est déjà difficile de faire occuper le devant de la scène, s’en trouvera davantage marginalisée. Celle de la redistribution de la richesse, plus populaire, en pâtira du fait que l’immigration, et ses relents islamophobes, aura tendance à se substituer comme ennemi à vaincre au détriment du un pourcent accapareur de richesse.
Le besoin d’immigration du Québec répond à celui d’émigration des victimes de l’impérialisme
La parade à cette contre-offensive droitière ne réside pas dans le moralisme ni dans l’internationalisme désincarné « sans frontière ». Le premier est l’arme idéologique des libéraux bien dodus contre le peuple de l’austérité qui croit voir s’envoler bons emplois, logements bon marché et accessibilité des services publics au bénéfice des nouvelles venues. Leur faire la leçon du haut de la pyramide sociale les précipite dans les bras de la droite raciste et xénophobe. Le second, arme idéologique anticapitaliste décrochée du plancher des vaches, exaspère le bon sens et ferme les cœurs. Une politique incarnée de gauche réside à démontrer que l’accueil en masse de l’immigration est une nécessité économique, politique et culturelle. Politiquement, le peuple québécois a besoin d’un renforcement démographique vis-à-vis le chauvinisme anglo-canadien, pour tenir son bout et maintenir son originalité dans la mondialement dominatrice, mer anglo-saxonne au nord du Rio Bravo / Grande, pour demeurer un adossement solide pour les minorités francophones canadiennes, pour se ragaillardir contre son rapide vieillissement. Il a besoin de l’apport de cultures nouvelles pour stimuler le brassage des idées scientifiques, technologiques et artistiques unifiées dans le creuset de la francisation comme langue commune unifiant un kaléidoscope de langues vernaculaires. Il en a besoin pour varier l’apport pertinent mais quelque peu unilatéral et souvent écrasant de ses voisins immédiats.
Côté économique, l’argument néolibéral du besoin de main d’œuvre en temps de prospérité s’effondre devant l’inévitable crise qui vient et succombe au contre-argument de l’intensité de la compétitivité du marché du travail qui abaisse les conditions de travail. L’argument social-démocrate qu’à la longue l’apport économique de l’immigration l’emporte sur le coût immédiat de l’intégration ne résiste ni à l’austérité permanente du capitalisme néolibéral ni à la peur de l’invasion des pays riches de la zone tempérée par les masses humaines fuyant les dramatiques conséquences de la crise climatique envenimant guerres et surexploitation impérialistes. Par contre, le socialisme du plein emploi écologique propose une stratégie qui atteint les cibles de température des Accords de Paris grâce à une planification démocratique subjuguant la dictature du marché sous contrôle du capital financier et de ses transnationales. Cette stratégie combinant baisse anti-consumériste et libératrice du temps de travail et création massive d’emplois verts et sociaux est un appel d’air pour l’accueil d’une immigration abondante. J’ai déjà explicité dans les grandes lignes cette stratégie comme concret projet de société [1].
Trahissant son programme par des manœuvres, Québec solidaire opte pour le capitalisme vert
Toutefois, Québec solidaire a choisi une autre voie, celle du capitalisme vert [2] qui détermine en dernière analyse sa politique d’immigration. En très résumé, le capitalisme vert ralentit la dite transition pour rentabiliser le capital déjà investi dans le complexe auto-pétrole-unifamiliale graduellement transformé en celui auto-électricité-condo et pour se donner le temps de mettre au point et déployer une gargantuesque géo-ingénierie de récupération des GES atmosphériques qui auront alors largement dépassées les cibles de température des Accords de Paris et sans se soucier des points de bascule rendant ce dépassement irréversible. Ce capitalisme se financera à même des marchés et taxes carbone dont il contrôle le niveau par son chantage sur les États grâce à la libre circulation des capitaux. L’ampleur de ce fardeau fiscal pour financer en PPP la géo-ingénierie deviendra tel qu’il contraindra la société à la super-austérité librement acceptée, espère le capital, grâce à l’idéologie de la décroissance.
La presse capitaliste accueille favorablement la priorité Solidaire donnée à la question de l’environnement pour la campagne électorale, d’autant plus que les trois autres partis la négligent presque complètement, même si elle rechigne devant l’importance des sommes engagées [3]. Normal car le capitalisme vert lui sourit. Les divergences ne sont qu’une question de degrés et non d’orientation. Le « sens commun » ou « bon sens » c’est le capitalisme vert car il ne remet pas en question les fondements capitalistes de notre structure socio-économique tout en paraissant résoudre le problème des crises climatique et de la bio-diversité. Pourtant les marchés et taxes carbone réellement existants et les plans nationaux tout aussi réellement existants liés aux Accord de Paris ont amplement démontré leurs échec et insuffisance.
S’en remettant à un comité secret d’experts chèrement payés acquis à ce capitalisme vert, la direction du parti a charcuté drastiquement l’objectif 2030 de réduction des GES qui permettait peut-être de respecter les cibles température des Accords de Paris pour franchir les deux tiers du chemin vers la cible des Libéraux. Puis à l’encontre du programme, elle a « temporairement » adhéré au marché carbone des Libéraux. Dans son cadre financier, la direction n’a même pas le courage d’appeler ce marché par son nom. Elle le nomme « Revenus prévus au plan de transition économique ». Et cette déguisée taxe régressive compte pour 1.7 G$. Pour ce faire, au Conseil national (CN) de mai dernier, la direction du parti avec une longue présentation carabinée de la présidente et de la porte-parole femme, appuyée par une documentation envoyée à l’avance, sans laisser un temps de riposte aux défenseurs du programme autre les deux minutes aux intervenant-e-s du plancher et en leur interdisant une table dans le hall d’entrée pour mettre certains textes à la disposition des délégué-e-s, ce qui est pourtant accordé aux collectifs et à certaines organisations de l’extérieur, a réussi à convaincre le CN.
Un plan de transition Solidaire dans le sillage de la politique de mobilité durable des Libéraux
Pour parachever son œuvre, la direction a repris à son compte les subventions à l’auto solo électrique de la politique de mobilité durable (PMD) des Libéraux qu’elle n’a jamais critiquée. Pourtant jamais ce soutien à l’auto solo électrique n’a été discuté ni dans les comités spécialisés statutaires du parti ni dans ses assemblées générales nationales. La seule mention de l’auto solo dans la plateforme électorale est la suivante : « des mesures pour favoriser le transport en commun et le transport actif plutôt que l’auto solo. » Pour combler la mesure, malgré qu’elle l’ait dénoncé au début 2017 [4], elle a avalé le train aérien REM, l’autre pilier du PMD des Libéraux, à la nuance près qu’il sera public et donc qu’il sera racheté de la Caisse de dépôt et de placement. Ce train aérien qui procurera de juteux contrats à « l’industrie de la corruption », ne baisse que marginalement les émanations de GES en tenant compte de sa construction, de son opération et surtout de sa contribution à l’étalement urbain car il réduira à peine la circulation automobile et cannibalisera le réseau public [5].
Dans la région de Montréal, Québec solidaire complète le REM par une orgie de métros dont le noyau est la ligne rose promue par Projet Montréal aussi favorable au REM. Somme toute, la direction Solidaire scelle une alliance avec ce parti petit-bourgeois moderniste au gouvernement de la ville de Montréal au lieu de s’allier avec la gauche écologique et syndicale autour de Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) et de Coalition climat Montréal. Où est l’alliance avec le mouvement social votée par la base du parti dans ses assemblées générales statutaires ? Cette gauche propose essentiellement des projets bon marché insérés dans la trame urbaine et surtout sur la terre ferme de sorte à tasser les « chars » tout en offrant une alternative à leurs conducteurs. Tel était le fondement du Grand virage [6] de Coalition climat Montréal, soutenu par la gauche (Groupe Réplique) du Réseau vigilance contre les hydrocarbures du Québec (RVHQ) [7], abandonné faute d’appuis et de mobilisation.
On découvre finalement que non seulement Québec solidaire est dans l’ombre des Libéraux sur la question de l’immigration mais que c’est aussi le cas pour son dit plan de transition. Le parti de gauche ne fait que rallonger la sauce de la PMD. Si on examine l’échéancier du plan Solidaire [8], on constate qu’à la fin du prochain mandat, les réalisations seront les mêmes que la PMD gouvernementale (REM, SRB Pie-IX, début de la construction de la ligne bleue) plus le début de la construction du tram-train de l’Est. Tout le reste de la phase 1 vient au second mandat et Dieu sait quand – avant 2030 dit-on – pour la phase 2. On ajoute le marché du carbone pour au moins tout un mandat et les subventions pour l’auto solo électrique et on obtient une sauce rouge… Libéral mais un peu plus foncée. Disons que Québec solidaire donne dans le capitalisme vert conséquent face à des Libéraux inconséquents.
Le débat clef est entre auto solo et transport collectif et non entre auto à essence et auto électrique. L’auto solo, électrique ou à essence, enrichit les transnationales de l’automobile et ne crée aucun emploi au Québec. Elle ne change rien à l’actuelle trame urbaine aux dépens des piétons et vélos et de l’agriculture urbaine, avec son étalement aux dépens des terres agricoles, sa congestion aux dépens des navetteurs et de la fluidité de la circulation des marchandises, sa banlieue d’unifamiliales aux dépens d’un transport collectif efficace, ses accidents aux dépens de la santé. Sans compter que l’auto-bungalow entretien l’énergivore et individualiste consommation de masse qui endette les ménages queue par-dessus tête. L’erreur Solidaire est de privilégier l’auto sur le transport collectif qui ne s’ajoute que comme une couche extra. Souvenons-nous que la France, la Grande-Bretagne et la Norvège, pays pris en exemple, sont des pays tout à fait néolibéraux. Le transport collectif, avec un complément d’auto-partage communautaire et avec interdiction par étapes d’ici 2050 de l’auto solo, doit devenir dominant. L’auto solo électrique est le couronnement du capitalisme vert qui « change tout pour que rien ne change » et qui ne permet nullement l’atteinte des Accords de Paris.
La question de l’immigration confronte les Solidaires qui n’ont pas de réponse convaincante
L’abandon de l’orientation du socialisme du plein emploi écologique contenu en germe dans la partie du programme reniée par la direction du parti (cible 2030, marché et taxe carbone, auto solo) en faveur du capitalisme vert désarme le parti pour faire face aux deux grands défis qui se présenteront tôt ou tard. De un, un flux de réfugiées qui sera jugé invasif par l’opinion publique sous contrôle médiatique comme c’est le cas aux ÉU et dans l’Union européenne au point que l’affaire est devenue une crise permanente qui hante les élections comme celles suédoises. De deux, le retour de la grande récession de 2007-08 dont tous les symptômes sont revenus en force.
Pour prendre la mesure du premier défi, il vaut la peine de comprendre le contexte politique des élections suédoises du 9 septembre où l’extrême droite progresse de presque cinq points de pourcentage, à près de 18%, mais heureusement ne parvient pas à se hisser au second rang comme les sondages le laissaient entrevoir :
"Au cours des quatre dernières années, la Suède a été gouvernée par une coalition minoritaire entre les Sociaux-démocrates et les Verts, qui a dépendu du soutien externe du Parti de gauche pour aider à faire passer ses budgets. […] ...la campagne électorale en cours […] est axée sur l’immigration, une question autrefois mineure, qui figure désormais en tête des priorités après les soins de santé et l’éducation. […] [Pourtant] la croissance est toujours bonne et la Suède a toujours un meilleur système de bien-être social que la plupart des autres pays. […] Lors des précédentes élections, les Démocrates suédois [le parti de l’extrême droite] n’avaient gagné que 5% des électeurs [...] principalement des personnes âgées du sud rural qui ont une tradition de xénophobie et de collaboration nazie. Cependant, au fur et à mesure que le parti atténuait sa rhétorique agressive sur la race, il s’est concentré sur une vision nostalgique du passé où l’État providence était plus fort et la population supposément homogène sur le plan ethnique et culturel. […] … son succès est surtout dû au fait qu’il a refondu son programme xénophobe en défense de l’État providence créé par le SAP [Parti social-démocrate] depuis des décennies. […]
Si, en 1980, les principaux chefs d’entreprise de la Suède avaient un revenu moyen 4,9 fois supérieur à celui d’un travailleur industriel moyen, en 2016, il était 54 fois plus élevé. Depuis les années 90, les services sociaux et les dépenses publiques sont devenus un pourcentage de plus en plus faible du PIB. […] Cette redistribution inverse des richesses est particulièrement notable dans les zones rurales. En effet, depuis 1980, la moitié des 290 municipalités suédoises ont vu leur population décliner au fur et à mesure que les habitants étaient obligés de s’installer dans les villes pour chercher un emploi. […]
Les alternatives de gauche au SAP sont dans une position moins prometteuse. Le Parti vert a été affaibli après avoir fait partie d’un gouvernement « rouge-vert » qui n’a pas réussi à fermer les centrales au charbon, à fermer les aéroports ou même à arrêter la construction de nouvelles autoroutes. […] La situation du Parti de la gauche, qui ne fait pas partie du gouvernement rouge-vert, est plutôt meilleure, mais il a voté en faveur de son budget. […] Le cordon sanitaire contre le parti d’extrême droite a déjà été brisé dans certaines municipalités où les coalitions de centre-droit ont passé leur budget avec l’aide des Démocrates suédois. […] Cette instabilité est dû à l’absence d’un « bloc historique » stable… qui était enraciné dans une alliance paysanne-ouvrière de longue date incluant les classes moyennes dans un vaste compromis autour du bien-être social universel. […] Cette crise de l’hégémonie sociale-démocrate est étroitement liée au rôle joué dans cette élection par le dilemme dit « progressiste » qui demande de choisir entre accepter les immigrants et assurer un bien-être social universel. […]
C’est [sa] productivité élevée qui a permis à la Suède de maintenir des niveaux de salaires et de bien-être réels décents, même avec une augmentation du chômage au cours des dernières décennies. […] La Suède doit restructurer son économie pour éliminer sa dépendance aux combustibles fossiles et elle aura également besoin de travailleurs du secteur public pour s’occuper d’une population vieillissante. Ces objectifs nécessitent des investissements importants et pourraient constituer la base d’un programme actif visant à maintenir des niveaux de migration élevés tout en compensant ses coûts à court terme. […]
Mais le fait que le Parti de gauche ait déjà acquiescé aux restrictions budgétaires nationales - qui fixent des limites au déficit public et des dépenses publiques chaque année - rend plus difficile le fait de prétendre de manière crédible qu’il pourrait débloquer les fonds pour réaliser les investissements nécessaire pour gérer ces effets. […] Le [Parti de gauche] a eu raison d’affirmer que le débat public était trop tourné vers les sentiments anti-immigration mais il tarde à mettre en évidence les problèmes stratégiques liés au maintien de l’appui du public à des niveaux élevés de migration. […] Au contraire, [le Parti de gauche] doit lutter activement contre la montée de l’extrême droite en proposant sa propre vision et des solutions pratiques à ces mêmes groupes d’électeurs. […]
Les politiques anti-immigration du parti d’extrême droite sont complétées par un vernis anti-constitutionnel et une promesse de revenir à une version mythique de l’État providence des années 50. Pourtant, cela masque le fait fondamental que le parti adopte des politiques économiques typiques de la droite, allant de la réduction des impôts aux lois du travail déréglementées et à la privatisation des services sociaux. La gauche doit présenter une alternative plus radicale. […] Il ne fait aucun doute que la gauche devrait être à l’avant-garde de la solidarité internationaliste en acceptant à la fois les réfugiés et les migrants. Mais la gauche doit également montrer que cela ne va pas à l’encontre de l’intérêt à long terme des classes ouvrières déjà établies." [9]
Cette analyse laisse voir un frappant parallèle atténué avec la situation socio-économique et politique du Québec… au flux de réfugiées près lequel flux en 2015 fut aussi important en Suède qu’en Allemagne au prorata de la population. La question de l’immigration en devient centrale et elle se pose en termes de choix faustien entre le bien-être des « de souche » – le Québec est la Suède de la zone ALÉNA – et les portes ouvertes à l’immigration. La précédente analyse très sociale-démocrate qui ne pose pas la nécessité de la rupture avec le capitalisme n’en conclut pas moins à une radicalité programmatique que malheureusement elle ramène au vieux modèle auquel elle intègre la question climatique. Pour donner l’illusion que ça marchera, l’analyse néglige d’expliquer le pourquoi de la débandade du vieux modèle social-démocrate qui date de bien avant l’arrivée massive des réfugiées. La Suède a été contrainte d’insérer son économie, si performante soit-elle, dans le marché global imposant le néolibéralisme à tous les joueurs surtout s’ils sont petits. Pour ce faire, le capital financier y a délibérément provoqué une crise financière majeure au début des années 1990.
En ce moment les partis à gauche de la gauche sociale-libérale en Union européenne, plus ou moins parents avec Québec solidaire, doivent se confronter à ce défi existentiel pour leur avenir. C’est le cas des Insoumis de Mélanchon qui en patine un coup sur le sujet [10] et aussi du Parti de la gauche allemand confronté à une fronde majeure de droite sous la houlette d’une de ses têtes d’affiche parlementaire et d’un dirigeant historique [11] :
« ...le mouvement « Aufstehen » (« Debout ») lancé, mardi 4 septembre, par Sahra Wagenknecht, qui entend pour l’heure rester coprésidente du groupe Die Linke au Bundestag, est un symptôme : celui d’une gauche allemande en pleine crise existentielle. Celle-ci est confrontée à une érosion inédite de son socle électoral, concurrencée par une extrême droite …plus conquérante que jamais et sommée d’apporter des réponses à des questions jugées longtemps secondaires, mais aujourd’hui centrales dans le débat public, celle de l’immigration au premier chef. […] En fondant Aufstehen, Sahra Wagenknecht fait donc un pari : tenter de rassembler, au-delà de Die Linke, des citoyens à la fois préoccupés par la question sociale mais sensibles à un discours de fermeté sur l’immigration. »
L’inévitable retour en pire de la grande récession de 2008 n’a aucun écho électoral
Le deuxième défi consiste à se doter d’un plan de contingence pour faire face à l’inéluctable retour de la grande récession. Non seulement marxistes et capitalistes concordent-ils sur l’existence de la théorie des cycles économiques mais les meilleurs analystes défendant la pérennité du système admettent un retour encore plus dévastateur de la la grande crise de 2008 parce que selon eux les leçons adéquates n’ont pas été retenues. Évidemment, ils ne posent pas la question à savoir que l’application des remèdes qu’ils prescrivent ne tient pas compte des contradictions fondamentales du capitalisme entre demande solvable et taux de profit et des rivalités inter-impérialistes :
"Lorsque les historiens considéreront le début du XXIiè siècle, ils identifieront deux chocs sismiques. Le premier a été les attentats terroristes du 11 septembre 2001, le second la crise financière mondiale, qui a éclaté il y a plus de dix ans avec l’effondrement de Lehman Brothers. […] Le crédit fourni à l’économie réelle a diminué, peut-être de 2 000 milliards de dollars en Amérique seulement. Pour limiter leur endettement, les gouvernements ont eu recours à l’austérité. Ayant épuisé les possibilités de réduire les taux d’intérêt, les banquiers centraux se sont tournés vers l’assouplissement quantitatif (création de monnaie pour acheter des obligations). […] [La crise] a provoqué la vague populiste d’aujourd’hui, soulevant des questions sur l’inégalité des revenus, la précarité de l’emploi et la mondialisation. Mais elle a aussi changé le système financier. [...]
La question est : est-ce que ce fut suffisant ? […] Il ne fait aucun doute que [les crises financières] se reproduiront, ne serait-ce que parce que les bons moments engendrent la complaisance. Prenons en compte que l’administration Trump déréglemente la finance pendant un boom économique et que la Réserve fédérale n’a pas encore hausser les besoins en capitaux anticycliques. […] L’État n’avait pas d’autre choix que de soutenir les banques en faillite, mais il a pris la mauvaise décision d’abandonner tous les ménages insolvables. Peut-être 9 millions d’Américains ont perdu leurs maisons pendant la récession ; le chômage a augmenté de plus de 8 millions. Alors que les ménages remboursaient leur dette, les dépenses de consommation étaient ravagées. […] Le fait que cet échec ne soit pas plus largement reconnu laisse à désirer pour la réponse politique la prochaine fois. […] La stagnation a inévitablement alimenté le populisme. Et en recherchant des boucs émissaires et des solutions simplistes qui les punissent, le populisme a rendu plus difficile la confrontation avec les véritables problèmes à long terme que la crise a exposés. […]
La forme précise de la prochaine crise financière n’est pas claire, sinon elle serait sûrement évitée [sic, NDLR]. Mais, d’une manière ou d’une autre, il est probable que cela implique la propriété. Les gouvernements des pays riches n’ont jamais réussi à concilier le désir de développer l’accession à la propriété avec la nécessité d’éviter les booms dangereux du crédit aux ménages, comme au milieu des années 2000. […] Ensuite, le dollar américain. La crise s’est propagée à travers les frontières, les banques européennes étant à court de dollars pour rembourser leurs emprunts libellés en dollars. La Fed a agi en tant que prêteur de dernier recours, offrant aux étrangers 1 000 milliards de dollars de liquidités. Depuis lors, les dettes en dollars à l’étranger ont à peu près doublé. Lors de la prochaine crise, il est peu probable que le système politique américain laisse la Fed agir comme protecteur de ce vaste système, même après le départ de Donald Trump de la Maison-Blanche. […] Et la fracturation de la géopolitique rend la gestion de la finance mondialisée encore plus difficile." [12]
Le Canada et le Québec sont confrontés à une dette hypothécaire record relativement aux revenus des ménages, seulement digestible grâce aux très bas taux d’intérêt, parce qu’il n’y a pas eu d’assainissement brutal il y a dix ans contrairement aux ÉU. Même une faible hausse des taux d’intérêt aurait un impact majeur. La fluidité des rapports commerciaux au sein de l’ALÉNA, ce à quoi le Canada et le Québec ont adapté leur structure économique, est menacé par la guerre commerciale qu’a déclenchée l’administration Trump. La stratégie de maintes transnationales et autres grandes compagnies canadiennes de desservir la zone ALÉNA à partir du Canada ou du Québec grâce à un taux de change favorable en devient non viable pour cause d’incertitude qu’une possible entente ne fera pas disparaître. Ne reste plus de solide que l’exploitation des ressources naturelles et parfois leur toute première transformation… y compris l’exploitation des travailleurs francophones de l’informatique bien formés, relativement bon marché… et peu mobiles à cause de leur spécificité culturelle.
Un parti politique sérieux en campagne électorale va expliciter à l’électorat son plan de sortie de crise et même de prévention de la crise quand elle cognera aux portes. Aucun ne le fait. Pourtant le socialisme du plein emploi écologique tourné vers le marché intérieur dans les limites du raisonnable (hydroélectricité, sortie du pétrole, liquidation de l’auto solo, production domestique de moyens de transport collectif et même de camions à électrifier, rénovation écologique de tous les bâtiments avec un maximum de bois et un minimum de plastique et de fer, souveraineté alimentaire y compris l’agriculture urbaine) est une réponse toute faite à ce second défi. Restera un espace pour promouvoir des ententes commerciales, financières et scientifiques égalitaires comme l’ALBA latino-américaine aurait voulu être si elle n’avait pas été réprimée par l’impérialisme et corrompue par l’engoncement dans l’extractivisme par ses promoteurs.
Le peuple québécois aspire à un Québec solidaire pour l’heure aux rendez-vous absents
Au bout du compte voilà le peuple québécois au milieu du gué d’une rivière électorale asséchée par une canicule ayant créé un désert de luttes sociales qui ne sont plus que lointains souvenirs. Il faut maintenant regarder par-dessus le mur de la frontière sud pour en apercevoir. La journée mondiale pour le climat du 8 septembre, où 800 évènements étaient planifiés dans 90 pays, n’a pas rencontré sur son chemin une mobilisation Solidaire interrompant momentanément les téléphones de pointage. Espérons que la caravane du FRAPRU la rencontrera. Le parti appuiera-t-il haut et fort les grèves en cours et celles qui se préparent ? Il semble que la direction Solidaire soit plus motivée par les intérêts des PME désirant avoir accès aux tablettes des magasins de la SAQ que par ses employés en grève. Y a-t-il eu un divorce entre le parti des urnes et celui de la rue ?
La campagne électorale est contextualisée par des surplus gouvernementaux combinant prospérité et austérité néolibérales. Ces surplus permettent à tous les partis de se donner une teinte de gauche à coups de torrents de promesses. Pour qui ? Citoyens de souche ou citoyennes du monde cognant désespérément à nos portes ? L’éventail des réponses couvrent tout le spectre… jusqu’à l’extrême limite de 50 000 nouveaux venus l’an soigneusement filtrés. Cette cible d’immigration annuelle, les Solidaires la partagent avec les Libéraux. Elle ne tient aucun compte de la vague de migration qui balaie le monde mais qui jusqu’ici n’a pas atteint le Canada et le Québec ou si peu.
Il n’en reste pas moins que les Solidaires sont le seul parti à prendre au sérieux la thématique écologique. Dommage que ce soit pour l’orienter résolument vers un capitalisme vert qui prolonge la PMD des Libéraux. Toutefois certaines des promesses ciblées des Solidaires sont à ce point larges que rassemblées elle commencent à ressembler à un programme social-démocrate… livrées par une structure néolibérale non contestée sauf parfois en mode rhétorique. Il est vrai qu’il est possible que le néolibéralisme prospère et austère d’aujourd’hui accouche pour un temps, d’ici le retour de la crise ou de la venue d’une vague de réfugiées facilitant l’union interclasse des « de souche » contre « l’envahisseur », d’apaisants cadeaux faisant oublier les feux de l’enfer de l’exploitation et de l’oppression capitalistes. C’est ce genre d’accalmie qui s’est produite dans la décennie 2000 en Amérique du Sud grâce à l’extractivisme de l’exportation massive de produis pétroliers, miniers et alimentaires vers la Chine et consorts. L’effondrement vénézuélien donne une idée de la suite dramatique des choses.
La situation apaisée du Québec de 2018, comme ce l’est dans l’œil de l’ouragan ou dans le moment entre le tremblement de terre et le tsunami, aurait été l’occasion de prendre ses distances des arbres qui menacent de s’effondrer pour embrasser du regard la forêt. Il est alors possible de voir que le socialisme du plein emploi écologique donne la clef stratégique du sauvetage de l’humanité irrémédiablement empêtrée dans cette civilisation de classes et de castes issue de la révolution néolithique et dont l’aboutissement capitaliste cause l’effondrement de l’écosystème terrestre. Le Québec, avantagé par sa source énergétique sans GES, sa structure manufacturière axée sur le transport collectif, ses acquis collectivistes dans le contexte nord-américain, pourrait se positionner en fer de lance pour relever ce défi de survie civilisationnelle.
Marc Bonhomme, 10 septembre 2018,
www.marcbonhomme.com ; bonmarc videotron.ca
Manifestation de 1500 personnes pour le climat dans la campagne électorale
À Québec solidaire, le parti des urnes se détache-t-il du parti de la rue ?
Lors de la manifestation citoyenne à Montréal de 1500 personnes du 15 septembre pour le climat dans la campagne électorale, l’ensemble des mouvements sociaux et des partis politiques s’est déclaré aux abonnés absents à part quelques isolées porteuses de drapeaux pour la CSN et pour Québec solidaire… et la présence de son ancien président peut-être comme témoin d’une époque révolue. Pourtant, les Solidaires, porte-étendard de la cause écologique dans cette campagne, étaient en mesure de mobiliser massivement pour cette manifestation en y convoquant membres et sympathisantes… à condition de prendre congé pour une journée des téléphones de pointage. C’eut été un moyen en or à la fois de souligner la priorité de campagne et de démontrer que Québec solidaire fait de la politique autrement. Un tract et une intervention bien sentie au moins d’un porte-parole aurait pu rappeler que la mise en œuvre du programme Solidaire n’est possible que sur la base d’une mobilisation de grande ampleur au-delà de celle, chacune pour soi, des urnes.
La mise à l’écart de la Ligue des droits et libertés
Cette indifférence au parti de la rue se manifeste malheureusement de plus en plus au point où l’on peut déceler des brèches entre le parti et la gauche des mouvements sociaux. On connaissait depuis un bon moment celle entre la position Bouchard-Taylor (BT) du parti à propos du voile islamique, même si elle n’est pas programmatique, et celle de la Ligue des droits et libertés qui proscrit toute interdiction vestimentaire à connotation religieuse comme un atteinte aux droits et libertés individuelles et le plus souvent une concession à l’islamophobie. Ceci dit, la position BT n’est en rien raciste et xénophobe même si elle ouvre la porte vers cette direction. Il faut aussi comprendre que la domination religieuse de l’époque de la Grande noirceur joue ici un rôle à distinguer de l’islamophobie quoique cet argument historique qui porte à défendre une laïcité forte puisse servir d’excuse commode à l’islamophobie. Il est bon de rappeler qu’il n’y a jamais eu de coercition pour le retrait des habits et signes religieux catholiques quelque soit la position hiérarchique du porteur, que le faire à l’encontre de religions minoritaires est encore plus suspect de discrimination.
Nous vivons une époque particulièrement islamophobe et de plus en plus autoritaire et répressive. La gauche se doit de tordre le bâton vers la lutte contre l’islamophobie et pour la plus large expression démocratique. Il faut tenir à la fois les deux bouts du bâton. D’une part la critique de toutes les religions, en particulier eu égard à la domination des femmes et à la perversion des enfants, et de leur politisation inexorablement droitière étant donné le système de pensée et l’organisation hiérarchiques des religions institutionnalisées. D’autre part le droit d’expression tant de leurs défenseurs que de leurs pourfendeurs... jusqu’à la limite de la mise en exécution de la violence soit celle djihadiste ou de l’extrême-droite chrétienne ou non.
Cette question met en lumière le cancer qui ronge l’éclaté et moribond mouvement national québécois entraîné par le fort vent de droite dure qui souffle sur le monde. Que ce soit les contradictoires nationalistes fédéralistes anti-immigration de la CAQ, ceux souverainistes de droite islamophobe du PQ quand jugé par les faits et non par leur discours, les Libéraux partisans du nationalisme de l’oppresseur canadien cachant leurs préjugés derrière un cosmopolitisme affairiste, et même les indépendantistes de gauche de Québec solidaire accrochés à l’ambiguë Bouchard-Taylor pour ne pas fâcher une bonne partie de leur électorat, la tendance est au retour au nationalisme pré Révolution tranquille empêtré dans le discours de la « race » canadienne-française de Lionel Groulx. Il y a à cette dérive un remède négatif et surtout un positif. De un, balancer BT, loi 62 et Charte de la laïcité, s’appuyer sur les chartes et loi existantes bien suffisantes et faire une véritable lutte à la discrimination surtout pour l’emploi et le logement en mobilisant médias et système scolaire. De deux, proposer un projet de société concret, libertaire et égalitaire, qui s’attaque à un problème urgent et vital reconnu par tous et toutes au-delà de toutes les identités, la crise de la rupture de l’écosystème terrestre par le capitalisme.
Le tassement du Collectif pour un Québec sans pauvreté
Le Collectif pour un Québec sans pauvreté avait sursauté qu’en accord avec le PQ, Québec solidaire, pour éviter le bâillon, ait consenti en octobre 2016, dans le cadre du projet de loi 70, à ce que les pénalités financières devant être imposées aux bénéficiaires de l’aide sociale jugés aptes au travail mais refusant de chercher un emploi et de s’inscrire au programme Objectif Emploi, ne soient appliquées qu’aux nouveaux demandeurs. Par pragmatisme, Québec solidaire avait consenti à une clause orphelin que n’importe quel progressiste trouve abjecte quand elle s’applique au mouvement syndical. C’eut pu être qu’un accident de parcours quoique non banal. Mais voilà qu’il y a récidive quand Québec solidaire annonce que son engagement de revenu de minimum garanti est reporté à un deuxième mandat pour lui substituer un projet de démonstration à la mode des Libéraux ontariens. De nouveau, le Collectif fait part de son désarroi tout en tentant de ménager le chou et la chèvre :
« En ce qui concerne les propositions de Québec solidaire, le Collectif ne peut que saluer l’engagement de donner aux personnes qui ont des contraintes sévères à l’emploi un montant leur assurant un revenu annuel d’environ 18 000 $, poursuit Serge Petitclerc. Cela équivaut à faire sauter le purgatoire de 66 mois actuellement prévu par le programme de Revenu de base, un délai inhumain qui a été décrié par le Collectif et par tous les partis d’opposition en commission parlementaire. »Toutefois, nous sommes plutôt déçus de l’engagement concernant la hausse du montant de base de l’Aide sociale pour assurer aux personnes sans contraintes à l’emploi un revenu annuel d’environ 13 000 $, souligne Serge Petitclerc. Oui, il s’agit d’une augmentation de leur revenu mais, pour le Collectif, la couverture des besoins de base reconnus est le minimum à assurer à chacun et chacune, et ce minimum correspond pour 2018 à 18 238 $ par année selon la mesure du panier de consommation." [13]
Le blogueur du Journal de Montréal attitré à promouvoir Québec solidaire, ancien membre de sa direction puis ancien permanent, est plus raide :
"Déçu de mon parti
Mais ma plus grande déception vient de mon propre parti. Québec solidaire a en effet annoncé hier vouloir mettre en place un projet-pilote de revenu minimum garanti (RMG) pour lutter contre la pauvreté. C’est déjà beaucoup plus que les autres partis.Mais un projet-pilote : come on gang ! Pourquoi manquer d’audace avec les pauvres alors que dans tous les autres domaines, vous osez foncer avec assurance, quitte à bousculer parfois ? […] Le temps n’est plus aux projets-pilotes qui servent surtout à faire amende honorable […] mais le parti pourra à tout le moins se défendre d’être « réaliste »… […]
Mais il y a quelque chose de plus qui m’agace : le maintien des catégories à l’aide sociale. Même si QS dit vouloir « en finir avec la culture du ‘bon’ et du ‘mauvais’ pauvre », le parti maintient dans un premier mandat une différence dans la prestation d’aide sociale, selon que la personne ait des contraintes sévères ou pas à l’emploi. […] Finalement, les catégories à l’aide sociale alimentent les préjugés à l’égard des personnes assistées sociales, tels que « les BS sont paresseux ». Si QS veut éliminer ces préjugés, pourquoi alors les cautionner, même si c’est « en attendant » le RMG ?"
[14]
Le REM, la gifle à la gauche écologiste et au Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP)
Pour combler la mesure, malgré qu’elle l’ait dénoncée au début 2017, elle a avalé le train aérien REM, l’autre pilier du PMD des Libéraux, à la nuance près qu’il sera public et donc qu’il sera racheté à fort prix de la Caisse de dépôt et de placement. Ce train aérien qui procurera de juteux contrats à « l’industrie de la corruption », ne baisse que marginalement les émanations de GES en tenant compte de sa construction, de son opération et surtout de sa contribution à l’étalement urbain car il réduira à peine la circulation automobile et cannibalisera le réseau public. C’est ce que confirme une nouvelle fois une étude commandée en mai 2018 par le SCFP et Climat Montréal [15].
Dans la région de Montréal, Québec solidaire complète le REM par une orgie de métros dont le noyau est la ligne rose promue par Projet Montréal aussi favorable au REM. Somme toute, la direction Solidaire scelle une alliance avec ce parti petit-bourgeois moderniste au gouvernement de la ville de Montréal au lieu de s’allier avec la gauche écologique et syndicale autour de Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) et de Coalition climat Montréal. Où est l’alliance avec le mouvement social votée par la base du parti dans ses assemblées générales statutaires ? Cette gauche propose essentiellement des projets bon marché insérés dans la trame urbaine et surtout sur la terre ferme de sorte à tasser les « chars » tout en offrant une alternative à leurs conducteurs. Tel était le fondement du Grand virage [16] de Coalition climat Montréal, soutenu par la gauche (Groupe Réplique) du Réseau vigilance contre les hydrocarbures du Québec (RVHQ) [17], abandonné faute d’appuis et de mobilisation.
Le pied de nez Solidaire à la gauche sociale lui vaut certes complaisance mais aussi mépris
La grève de la Société des alcools du Québec (SAQ) (encore deux journées de grève à venir) et la préparation de nombreuses autres (Poste Canada, TVA, Radio-Canada, The Gazette) qui ne portent pas tellement sur les salaires que les conditions de travail (conciliation famille-travail, sécurité d’emploi, sous-traitance) offre l’occasion de mettre le parti de la rue dans la campagne. La droite s’inquiète de cette possible recrudescence [18] qui traduit un mouvement syndical qui relève la tête en temps de prospérité succédant à la phase d’austérité suite à la crise de 2008. Pourquoi pas au moins une conférence de presse des porte-parole appuyant clairement les revendications de ces syndicats et, le cas échéant, leurs grèves. Il faut laisser voir que nous ne sommes pas pour la paix sociale mais pour la lutte sociale car seulement elle, dans les urnes certes mais surtout dans la rue fera reculer le néolibéralisme. S’il y avait des lignes de piquetage, j’ose espérer que nos porte-parole et candidat-e-s s’y pointeront avec l’accord préalable des grévistes car malheureusement il y a toujours cette division artificielle entre lutte sociale et lutte électorale qui justifie la pseudo-neutralité des centrales syndicales.
Certes, en appuyant le REM, la ligne rose, les subventions à l’auto solo électrique et le marché du carbone, la direction du parti se concilie l’aile modérée pro capitalisme vert du mouvement environnemental tel Équiterre et la Fondation Suzuki. Celle-ci en retour lui donne la meilleure cote eu regard à son questionnaire aux partis politiques [19]. Il faudrait cependant se souvenir qu’à vaincre sans péril on triomphe sans gloire et surtout en prenant la mauvaise direction en tant que meilleur zélateur du capitalisme vert. À renier la gauche syndicale à propos du REM et à négliger le syndicalisme combatif, on ne récolte pas pour autant l’appui des centrales syndicales mais leur mépris.
Dans leur déclaration électorale conjointe, elles ont trouvé le moyen de calomnier les Solidaires en prétendant qu’« au-delà de micromesures électoralistes ultra-ciblées, nous constatons un manque d’envergure flagrant de la part des partis. On parle très peu d’un salaire minimum qui permettrait à quelqu’un travaillant à temps plein de se sortir de la pauvreté. Pour nous, ça passe par le 15$ l’heure. […] Et que dire de la question environnementale ? Il est désolant de constater, en 2018, à quel point l’environnement est le grand absent de la présente campagne. » On ne voit pas très bien ce que Québec solidaire pourrait faire de plus pour promouvoir le salaire minimum à 15$ dès 2019, ce qui est mieux que la FTQ et compagnie, et de remettre constamment sur le tapis la question environnementale même si c’est tout de travers.
Quant à « ...pallier le manque à gagner engendré par le sous-financement des dernières années [par une] croissance de ce financement [qui soit] supérieure à celle des coûts de système... », il me semble que les 13 milliards $ de dépenses et revenus supplémentaires dûment documentés, lesquels se différencient nettement des piteux 2 à 3 milliards $ mal documentés des trois autres partis auraient mérité de la part des directions syndicales une bonne main d’applaudissement. La réduction des frais dentaires de 60% et plus, celle des tarifs de transport collectif de 50%, l’ouverture des CLSC sept jours par semaine et 24 heures par jour, la construction de 50 000 logements sociaux et davantage d’autobus seraient un bond en avant. Le problème, non soulevé par les Solidaires, reste à savoir que faire si le capitalisme néolibéral adepte de l’austérité et doté de l’arme suprême de la fuite des capitaux se refuse à jouer le jeu. Peut-être y consentira-t-il dans le cadre actuel de la prospérité mais le fera-t-il dans celui d’un retour de l’ouragan de la crise dont tous les symptômes sont réunis.
Marc Bonhomme, 16 septembre 2018
www.marcbonhomme.com ; bonmarc videotron.ca
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