Les autorités mozambicaines ont pris la décision de taxer lourdement les correspondants étrangers en leur imposant des frais d’accréditation exorbitants (2 500 dollars – environ 2 200 euros – la mission).
“Avec cette hausse, la presse indépendante ne pourra pratiquement plus continuer à travailler”, a protesté le Comité pour la protection des journalistes [une organisation établie à New York]. [La décision des autorités mozambicaines, prise fin juillet et qui devait entrer en application le 22 août, n’est toujours pas effective].
Mais pour les journalistes mozambicains, cette tentative de musellement de la presse étrangère n’a rien d’étonnant. Ils sont déjà les victimes de la répression gouvernementale. Ils travaillent depuis des années dans des conditions dangereuses, et la situation ne fait qu’empirer.
Des articles critiquant le parti au pouvoir
Et les journalistes ne sont pas les seuls visés. Universitaires, magistrats, politiciens, artistes et militants de la société civile, tous travaillent dans un climat de peur. Et ceux qui osent faire entendre leur voix le payent parfois de leur vie.
Le début de cette guerre contre la liberté d’expression remonte à 2000, quand le journaliste d’investigation Carlos Cardoso a été assassiné à Maputo, la capitale. Il enquêtait alors sur la corruption d’une des plus grandes banques du pays. L’un des hommes chargés de l’exécuter a déclaré devant le tribunal que le commanditaire de l’assassinat n’était autre que Nyimpine Chissano, le fils du président de l’époque [1986-2005], Joaquim Chissano.
Parmi les victimes plus récentes, on peut citer :
• Paulo Machava, fondateur et éditeur du journal en ligne Diario de Noticias, abattu [en août 2015] par des tireurs postés dans un pick-up blanc alors qu’il faisait son jogging à Maputo.
• José Macuane, professeur d’université et commentateur politique, enlevé et blessé aux jambes [en mai 2016].
• Gilles Cistac, avocat [franco-mozambicain] de droit constitutionnel, abattu en plein jour [en mars 2015] dans un café de Maputo après avoir critiqué le parti au pouvoir dans la presse.
• Jeremias Pondeca, conseiller de l’opposition, tué par balles pendant sa promenade matinale [en octobre 2016].
• Mahamudo Amurane, maire de Nampula, assassiné à son domicile [en octobre 2017].
• Ericino de Salema, journaliste et avocat des droits de l’homme, enlevé dans le centre de Maputo et roué de coups [en mars 2018].
Toutes ces victimes avaient en commun d’avoir publié des articles critiques sur le gouvernement ou le parti au pouvoir, le Frelimo, ou d’avoir fait des commentaires à charge dans la presse.
Un climat de peur
“Les gens vont penser que c’est la façon dont on procède ici, au Mozambique”, observe Jeremias Langa, journaliste et administrateur du groupe de médias privé Soico.
Ils auront davantage peur de parler.”
Quand la liberté d’expression n’est pas visée par des agressions, elle l’est par des menaces judiciaires. Cette année, le rédacteur en chef du journal Canal de Moçambique, Matias Guente, a été accusé de diffamation et de calomnie après avoir publié une caricature de l’ancienne gouverneure de la Banque du Mozambique, Joana Matsombe.
L’État a commencé par requérir une peine de dix-huit mois de prison et une amende de 2 millions de meticais (28 000 d’euros) avant de revenir à plus de bon sens et de demander au tribunal d’abandonner les charges. C’est le procureur Carlos Banze qui, paradoxalement, a le mieux formulé le problème en disant aux magistrats :
Quiconque exerce un mandat public s’expose à une surveillance étroite, et il n’est pas convenable de se servir du droit pénal pour incriminer un point de vue, ce qui ne peut qu’effrayer les citoyens.”
Le sentiment des journalistes d’être victimes de répressions a été confirmé par des preuves empiriques. Entre 2016 et 2017, les atteintes à la liberté de la presse ont augmenté de 80 %, selon la section mozambicaine de l’Institut des médias de l’Afrique australe (Misa). Et 21 cas de menaces et d’agressions contre des journalistes, ainsi que de nombreuses accusations inventées de toutes pièces ont été enregistrés.
Les publications locales également visées
C’est dans ce contexte que le gouvernement a annoncé la mise en place de frais exorbitants pour les correspondants étrangers. “Je pense que ces frais sont vraiment excessifs et qu’ils vont nuire à la liberté d’opinion ainsi qu’à la diversité des points de vue”, a regretté Tom Bowker, le rédacteur en chef de Zitamar News basé au Mozambique. Avec les nouvelles règles, il devra débourser plus de 8 000 dollars [6 900 euros] pour une accréditation annuelle.
Les médias locaux pâtiront, eux aussi, des nouveaux tarifs proposés par le gouvernement, qui s’élèvent à 3 300 dollars [2 800 euros] pour l’enregistrement d’une nouvelle publication et à 800 dollars [680 euros] pour celui d’une nouvelle station de radio communautaire.
Ce dernier chiffre dépasse largement les moyens dont disposent la plupart de ces stations, qui constituent souvent la seule source d’information dans les zones reculées.
“C’est un montant inadmissible, qui compromet le travail des premiers médias à traiter directement des problèmes des régions, où l’information est rare”, a souligné Dércio Tsandzana, journaliste et militant social.
Au Mozambique, les élections municipales sont prévues pour le mois d’octobre, et la présidentielle pour l’an prochain. C’est dans ces moments-là que les politiciens redoutent le plus le pouvoir d’une presse indépendante crédible, ce qui rend le métier de journaliste d’autant plus dangereux.
L’auteur de cet article est un journaliste mozambicain, qui écrit avec un pseudonyme pour préserver sa sécurité.
JOHANNESBURG
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