Contrairement à une idée reçue, le drame nucléaire de Tchernobyl a des effets qui ne s’estompent pas au fil du temps : vingt ans après le 26 avril 1986, la situation ne fait que s’aggraver, en particulier dans les zones les plus contaminées d’ex-URSS...
Aujourd’hui encore, des millions de gens consomment quotidiennement des produits contaminés, en particulier par le césium 137. Un courageux scientifique, le Pr Bandazhevsky, a été condamné à 8 ans de prison par la dictature biélorusse pour une affaire de corruption totalement inventée : en réalité, Bandazhevsky s’est révélé gênant parce qu’il a montré que le césium, même consommé en faible quantité, s’accumule au fil du temps dans les organes et cause de terribles maladies, en particulier chez les enfants.
Le régime biélorusse, pour s’éviter de coûteuses mesures sanitaires, rejette les travaux de Bandazhevsky et prétend que tout danger est écarté. Pour asseoir ce mensonge, il a passé alliance avec le lobby nucléaire… français. Ce dernier est en effet présent sur place par l’intermédiaire d’une association écran, le CEPN, qui regroupe tout simplement EDF, Areva, l’IRSN (1) et le CEA, qui animent des programmes nommés Ethos (2) et Core. Leurs études « scientifiques » aboutissent comme par hasard à la conclusion que l’on peut vivre sans danger en zones contaminées.
Le lobby de l’agriculture productiviste finance massivement les programmes Ethos et Core mais aussi d’autres programmes appelés Sage ou Farming (3), dont l’objet est d’appliquer à la France les « enseignements » tirés des zones contaminées par Tchernobyl.
En effet, la perspective d’une catastrophe nucléaire est hélas de plus en plus probable, en particulier en France où les réacteurs nucléaires sont vieillissants et soumis à d’importantes restrictions budgétaires. Si le pire se produit, il s’agira de ne pas détruire les productions agricoles contaminées et, pour ce faire, de décréter que la plus grande part est consommable sans risque.
La préparation d’un tel mensonge d’Etat, en cas d’accident nucléaire en France, nous renvoie à l’affaire du nuage de Tchernobyl. 20 ans après, la vérité n’est toujours pas établie et les coupables n’ont toujours pas été inquiétés. Mais l’enjeu n’est pas seulement la vérité sur cette catastrophe : il s’agit aussi de l’acceptabilité des projets actuels de nouveaux réacteurs nucléaires. Si les tenants de l’atome arrivent à faire croire que même Tchernobyl n’a pas eu de graves conséquences, que ce soit en France ou dans les zones les plus contaminées d’ex-URSS, ils auront beau jeu de prétendre que l’on peut sans risque relancer l’atome.
Ce sombre projet est d’ailleurs appuyé par une autre mystification : le nucléaire, émettant peu de gaz à effet de serre, permettrait de lutter contre le réchauffement climatique. Même si c’était le cas - nous allons voir que non -, l’atome ne saurait représenter une option acceptable. En effet, quelle absurdité de vouloir « sauver » la planète… en la contaminant pour des millions d’années avec le nucléaire.
De toute façon, ce dernier ne représente que 6% de l’énergie consommée dans le monde : une part bien trop marginale pour avoir une quelconque chance d’influer sur le climat. Qui plus est, c’est une part sur le déclin : l’Agence internationale pour l’énergie (AIE), pourtant favorable à l’atome, a reconnu dernièrement (World Energy Outlook) qu’il descendrait à 4% vers 2030. C’est que, d’ici là, au moins 250 des 440 réacteurs actuellement en fonction sur Terre seront fermés car arrivés en fin de vie.
On entend pourtant dire partout que c’est « le grand retour du nucléaire », par exemple en Inde et en Chine, pays qui envisagent de construire respectivement 15 et 40 réacteurs. Mais, même si de tels projets se réalisent, le nucléaire couvrira à peine 0,5% de leur énergie.
Autre exemple : les USA envisagent de construire de nouveaux réacteurs. Certes. Mais les projets annoncés, s’ils se concrétisent, ne parviendront même pas à compenser la fermeture programmée dans les 20 ans de la moitié des 104 réacteurs actuels. On le voit, on est bien loin d’un quelconque « grand retour de l’atome »…
Par ailleurs, les réserves mondiales d’uranium - le combustible des centrales nucléaires - sont estimées à environ 80 ans au rythme actuel de consommation. Imaginons que l’on multiplie par 10 le nombre de réacteurs : en 8 ans, l’humanité se retrouverait à la tête d’un gigantesque parc nucléaire… définitivement arrêté.
Alors on nous promet des réacteurs, abusivement dits de « 4e génération », censés produire « plus de matière fissile qu’ils n’en consomment » : un véritable miracle qui, s’il se réalisait, perpétuerait effectivement l’industrie nucléaire pour des millénaires. Mais c’est une supercherie : divers exemplaires de ces réacteurs ont été construits depuis 40 ans et n’ont (bien sûr) jamais réalisé les miracles attendus.
Ce fut le cas en France des réacteurs Phénix et Superphénix (lequel aura seulement réussi… à désintégrer 10 milliards d’euros !) Citons aussi les échecs des Etats-Unis (réacteur Enrico Fermi en 1963), de la Russie (réacteurs BOR 60 en 1968, BN 350 en 1972 et BN 600 en 1980), du Japon (réacteurs Joyo en 1978 et Monju en 1994). On le voit, la « 4e génération » n’est qu’un bel emballage publicitaire pour de vieux réacteurs qu’on ressort du formol en les estampillant « du futur »’ et en promettant que, cette fois-ci, le miracle aura lieu.
Notons au passage que le même mauvais feuilleton nous est joué depuis 50 ans avec la fusion nucléaire qui devait être au point « dans 50 ans » et qui, aujourd’hui, est annoncé pour…dans 100 ans. D’ailleurs, de nombreux experts dont deux prix Nobel de physique - le français Pierre-Gilles de Gennes et le japonais Matatoshi Koshiba - ont pris position contre la construction du réacteur Iter, annoncé à Cadarache (Bouches-du-Rhône).
C’est une évidence, le nucléaire restera une énergie marginale, déclinante, et disparaîtra avant la fin du siècle. Alors… pourquoi s’inquiéter ? Parce que le risque d’un nouveau Tchernobyl existera tant que fonctionnera ne serait-ce qu’un seul réacteur. Parce qu’à chaque instant sont produits des déchets radioactifs qui vont durer des millions d’années. Et parce que le lobby nucléaire rassemble ses dernières forces pour essayer de construire quelques réacteurs supplémentaires, comme l’EPR annoncé en France à Flamanville (Manche).
De toute évidence, pour véritablement laisser aux générations futures une Terre habitable, il faut simultanément lutter contre le réchauffement climatique ET sortir du nucléaire. Pas facile, nous dit-on. Effectivement… mais c’est pourtant la seule option d’avenir. Il faut un développement à grande échelle des économies d’énergie - principalement dans les pays riches - et des énergies renouvelables. Il est peut-être encore temps de préserver l’avenir.
Stéphane Lhomme
Porte-parole du Réseau « Sortir du nucléaire »
Notes
(1) Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.