En Septembre 2018 Claudie Weill nous a quittés, victime d’un cancer agressif. Une grande perte, non seulement pour nous, ses amis, mais pour l’historiographie du socialisme international, et pour tous les lecteurs de Rosa Luxemburg.
Claudie a toujours été attirée par la figure de Rosa Luxemburg, et a pris l’initiative, en 1971, de traduire en français et présenter ses écrits politiques des deux dernières années : ce fut le volume Oeuvres II. Oeuvres politiques (1917-18), Editions Maspero, qui a permis a beaucoup de « soixante-huitards » de connaitre les écrits de la fondatrice de la Ligue Spartakus. J’ai rencontré Claudie Weill pour la première fois vers 1972, à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, où elle travaillait comme assistante du grand historien du socialisme international, Georges Haupt, et nous sommes bientôt devenus amis. Elle m’a raconté qu’elle a été un des enfants juifs sauvés par les familles protestantes du village de Chambon-sur-Lignon.
Georges Haupt nous a proposés de travailler ensemble à une anthologie des textes marxistes classiques sur la question nationale : Marx, Engels, Rosa Luxemburg, Otto Bauer, Lenine, etc. Claudie Weill a contribué avec des précieuses introductions biographiques pour chaque auteur. Le livre, Les marxistes et la question nationale 1848-1914 (Paris, Editions Maspero), a été publié en 1974 et re-édité par les Editions L’Harmattan en 1997. Claudie a continué à travailler avec Haupt, et l’a aidé à publier une merveilleuse sélection de lettres de Rosa Luxemburg, en deux volumes : Vive la lutte ! Correspondance 1891-1914 et J’étais, je suis, je serai ! Correspondance 1914-1919 (Paris, Editions Maspero, 1975, 1977). J’ai encore ma copie du deuxième volume, avec des amicaux messages des quatre éditeurs et traducteurs : Georges Haupt, Claudie Weill, Irène Petit et Gilbert Badia. C’est dans la collection dirigée chez Maspero par Haupt, « Bibliothèque Socialiste », qu’elle publiéra, en 1977, un de ses premiers ouvrages : Marxistes russes et social-démocratie allemande 1899-1904, une étude pionnière et remarquablement documentée.
In 1983 elle a co-organisé à Paris, avec Markus Bürgi et Gilbert Badia, une des premières conférences du Groupe d’Etudes International sur Rosa Luxemburg, crée par initiative du chercheur japonais Narihiko Ito. Les travaux presentés à cette occasion ont été publiés par Claudie Weill et Gilbert Badia : Rosa Luxemburg aujourd’hui, Paris, Presses Universitaires de Vincennes, 1986. Profondément internationaliste, Claudie a rédigé un travail, tout aussi pionnier, sur les relations inter-ethniques dans la IIe Internationale : L’Internationale et l’autre, Paris, Arcantère Editions, 1987, qu’elle m’a dedié avec l’inscription « à nos vieilles amours communes ».
Quelques années plus tard, elle a traduit - avec l’aide de Bruno Drweski - et présenté le texte le plus important de Rosa Luxemburg sur les conflits nationaux, écrit en polonais en1908-1909 : La question nationale et l’autonomie (Paris, Le Temps des Cerises, 2001). Dans son introduction, Claudie Weill écrivait : ce texte majeur n’est connu pour la plupart des gens que par les critiques de Lénine. Or, « il permet de corriger singulièrement la vision de Rosa Luxemburg comme internationaliste intransigeante - ce qu’elle était incontestablement - qui aurait sous-estimé, voire méconnu, le facteur national ».
Pendant toutes ces années, Claudie n’a cessé de participer à différentes rencontres internationales sur Rosa Luxemburg. J’ai insisté, pendant plusieurs années, pour qu’elle réunisse ses essais sur la révolutionnaire juive/polonaise/allemande. Finalement, en 2008, elle a décidé de le faire, en publiant un petit recueil qui frappe par son originalité : Rosa Luxemburg. Ombre et lumière (Paris, Le Temps des Cérises). Il contient des remarquables essais sur Rosa Luxemburg et la culture, sa relation avec les Mencheviks, son attitude envers les conseils ouvriers, etc.
Notre dernier projet commun, maintenant interrompu par sa mort, était une édition et présentation des écrits de Rosa Luxemburg sur la question nationale, pour la collection de ses œuvres complètes en français par les Editions Agone.
Nous avons perdu une amie très chère, et les études sur le socialisme international un chercheur engagé et plein de sensibilité humaine.
Michael Löwy