À Blanquefort, en Gironde, l’usine Ford va fermer. C’est du moins ce que la multinationale a annoncé hier, lundi 15 octobre. Ford fait des bénéfices, y compris en Europe. Mais le groupe refuse que l’usine soit reprise par un autre industriel. Qu’importent les 850 emplois. Qu’importent les 2000-3000 emplois induits dans la région. Pour faire le point sur la situation, Regards a rencontré l’ouvrier et syndicaliste Philippe Poutou.
Regards (Loïc Le Clerc). Comment avez-vous réagi à l’annonce de Ford de vouloir fermer purement et simplement l’usine ?
Philippe Poutou. On a appris ça hier matin et ça ne nous surprend pas. Ça fait des années que Ford veut fermer l’usine. Il y a dix ans, il y avait eu une grosse mobilisation, on avait réussi à avoir un repreneur, bidon, mais qui avait permis de continuer l’aventure. Ford était revenu pour racheter son usine un an après parce que le repreneur s’était planté de suite. Depuis le retour de Ford, on sentait qu’ils étaient revenus juste sous la pression et qu’ils reprofiteraient d’une période avantageuse pour partir.
Malheureusement, on n’a pas pu empêcher ça. Donc en février dernier, Ford a annoncé son désengagement, dans le sens où ils nous disaient : « On n’a plus rien pour vous. Vous êtes une belle usine, vous bossez bien, c’est productif, etc. ». Aucun argument économique en notre défaveur. C’est juste qu’ils redistribuaient la production à l’échelle mondiale, sur d’autres gros sites. Nous, étant un petit site, on était handicapé.
En juin, ils lancent le PSE de fermeture d’usine totale et définitive avec licenciement de tout le personnel. Ils décident de fermer avant d’avoir discuté ou fait la recherche du repreneur. Dès le départ on savait que Ford voulait liquider le site. Ils veulent s’en débarrasser, nous effacer complètement.
Il y a pourtant une proposition de reprise, amenée par le gouvernement…
Oui, la nouveauté c’est qu’en face d’un plan officiel de reprise, ils osent dire « non, on veut fermer l’usine ». C’est pour ça que le gouvernement a mis dans les pattes de Ford un repreneur qui s’appelle Punch – qui est un proche de Macron. Mais Ford ne s’est pas laissé séduire et n’accepte pas la reprise. Leur détermination est quand même assez dingue.
Une reprise, pour que ça marche, il faut être deux. Il faut que celui qui lâche l’entreprise laisse un peu de production pour assurer la transition. Une reprise, c’est pas juste une usine avec des ouvriers et celui qui s’en va donne les clés. Ça fonctionne quand le repreneur a de l’activité dès le départ, sinon, une activité industrielle ça met deux ans à se mettre en place et pendant ce temps on se retrouverait sans travail. Or, Ford ne veut pas laisser d’activité, parce que ça voudrait dire que, quelque part, ils sont encore liés à l’usine pendant un ou deux ans. Et certainement que, financièrement, ce sont des contraintes. Sauf que c’est du devoir, de la responsabilité de Ford que l’usine fonctionne après son départ.
C’est surprenant de voir une multinationale tout faire pour qu’il n’y ait pas de reprise. Et une fois qu’elle décide de fermer, c’est beaucoup plus compliqué. On l’a vu avec Goodyear. Des reprises, il n’y en a pas. On s’aperçoit que Ford se comporte comme des sagouins. Ils ont pris une décision, ils ne s’en expliquent pas et ils ne changent pas d’avis. Ça fait un peu caprice.
« L’usine est prévue d’être fermée en août. On veut perturber le calendrier de Ford. L’objectif, c’est que ça ne se passe pas comme prévu. »
Le tout malgré les bénéfices de Ford…
Ford est en meilleure posture qu’après la crise de 2008. Tout est au vert. Il y a largement les moyens pour que Ford reste et apporte de l’activité, mais on n’est pas assez fort pour le leur imposer. Par contre, on peut peut-être avoir assez de forces pour imposer à Ford de lâcher son usine à un repreneur. C’est l’enjeu du moment. Le PSE court jusqu’au 18 décembre. L’usine est prévue d’être fermée en août. On veut perturber le calendrier de Ford. L’objectif, c’est que ça ne se passe pas comme prévu.
Et la surprise c’est qu’on a le gouvernement, Juppé et Rousset avec nous pour soutenir les salariés et les syndicats. C’est un peu inédit. Pour nous, c’est toujours de bons appuis, ça légitimise notre lutte, ça donne raison à des ouvriers qui se battent contre une fermeture d’usine. Il faut dire qu’ils ont mis beaucoup d’argents dans l’histoire. De plus, la disparition d’une usine comme Ford aurait des conséquences très graves pour la région bordelaise. L’Etat a aussi cette pression-là.
Justement, le ministre de l’Économie et le maire de Bordeaux ont exprimé leur mécontentement vis-à-vis de l’attitude de Ford. Qu’en pensez-vous ?
Visiblement, le gouvernement a eu l’illusion qu’en discutant entre « grands », ils arriveraient à convaincre Ford. En février, il fallait les convaincre de rester, ils ont échoué. Depuis juin, il fallait convaincre Ford d’accepter un repreneur… Le tout malgré les aides de l’Etat ! [Les collectivités se disent prêtes à investir, encore, 12,5 millions d’euros, NDLR] Du coup, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, Alain Juppé ou encore Alain Rousset [président de la région Nouvelle-Aquitaine, NDLR], sont en colère. Hier, ils ont redit « on s’est fait mener en bateau ». Ça montre que si Ford dit « non », le politique, il est comme un con. Mais on le dit depuis des années ! On a attaqué Ford en justice il y a trois ans pour leur politique qui allait vers la liquidation du site. On avait gagné là-dessus et les politiques réalisent maintenant que Ford les « mène en bateau » ? Il y a une volonté de se laisser endormir.