Dimanche 14 octobre au soir, l’affaire semblait pliée. À Ninove, petite ville flamande à l’ouest de Bruxelles, les élections communales se sont conclues sur la percée spectaculaire de Forza Ninove – une liste apparentée au parti d’extrême droite flamand Vlaams Belang (VB) –, qui a bondi de 13,4 points par rapport au scrutin précédent, atteignant 40 % des voix. Les images de liesse de certains de ses militants faisant le salut nazi ont largement circulé.
En Belgique, pas de deuxième tour : après les élections vient le temps des coalitions. Et, comme le souligne De Standaard, il suffirait à Forza Ninove de s’allier aux nationalistes flamands (N-VA, premier parti de Flandre) pour parvenir à une majorité et faire de son leader, Guy D’haeseleer, le premier bourgmestre (maire) d’extrême droite depuis la fin de la guerre. Verra-t-on la fin du “cordon sanitaire”, qui consiste traditionnellement à faire barrage à l’extrême droite ? interroge le journal.
D’haeseleer est-il suffisamment policé ?
“Le président de la N-VA, Bart De Wever, a d’abord envoyé des signaux contradictoires” à ce sujet, note De Standaard. Puis, un ancien post Facebook de Guy D’haeseleer a été déterré, et De Wever a éliminé tout doute, assurant que la probabilité d’une alliance avec Forza Ninove était “en dessous de zéro”.Dans ce message, D’haeseleer annonçait la préparation d’“une mousse au chocolat” pour la fête annuelle de son parti. Il y accolait la photo d’un groupe d’enfants noirs.
“Après délibération interne et consultation des responsables nationaux de notre parti, nous avons décidé de ne pas donner suite à l’invitation de Forza Ninove”, a confirmé la section locale de la N-VA, annonçant qu’elle siégerait dans l’opposition. “Résultat, explique le quotidien de référence flamand, la formation d’une coalition est dans l’impasse. ‘Sans nous, aucune majorité n’est possible’, affirme Guy D’haeseleer. Certes, mais aucune majorité n’est possible avec lui, puisque aucun parti ne veut s’y allier. Il reste deux mois et demi pour négocier, mais si tout le monde campe sur ses positions, le blocage est complet.”
Pour De Standaard, la question est de savoir si “D’haeseleer est suffisamment policé pour la N-VA”. Et la réponse semble, pour l’heure, très claire.
“Priorité aux Ninovois”
Le journal dresse le portrait de cet homme de 49 ans, qui dit venir d’un milieu qui n’est “ni très politisé ni, encore moins, nationaliste flamand”. Élu au conseil communal de Ninove en 1994 sur la liste Vlaams Blok (l’ancien nom du Vlaams Belang), il siège au Parlement flamand depuis 1999.
“Quand je le vois marcher dans les rues de Ninove, sa popularité me fait penser à celle de Matteo Salvini, rien de moins”, déclare fièrement un cadre du Vlaams Belang, pour qui D’haeseleer “n’est pas un grand idéologue, mais un vrai politicien populaire”. De leur côté, ses adversaires politiques, cités par le journal, le décrivent comme “un manipulateur”, coutumier des “contre-vérités” et des “attaques personnelles”.
Si “l’immigration est sans aucun doute le cœur de son existence politique”, D’haeseleer affirme qu’il n’est “pas un extrémiste”. “Quoi qu’il en soit, tranche De Standaard, D’haseleer sait très bien sur quels sentiments il joue. Dans son programme, il propose de donner priorité aux Ninovois lors de l’attribution d’un logement social. Cette proposition est associée à un dessin, qui indique clairement que les Ninovois sont blancs, tandis que les ‘étrangers’ ne le sont pas.”
Un bouleversement dans le camp nationaliste flamand
Dans les colonnes du même journal, le politologue Bart Maddens observe, plus généralement, un renforcement de l’extrême droite au sein du courant nationaliste flamand. Aux élections communales de ce 14 octobre, la N-VA – toujours premier parti de Flandre – perd près de 4 points, tandis que le Vlaams Belang en gagne 4, atteignant 13 %.
Quand elle est arrivée au gouvernement fédéral en 2014, rappelle Maddens, la N-VA pensait avoir récupéré le monopole du nationalisme flamand et relégué le Vlaams Belang “au rang de parti marginal”. En réalité, estime-t-il, elle lui a en ouvert la voie.
En insistant constamment sur les thèmes des migrations et de l’identité, le parti a préparé le terrain pour le Vlaams Belang. Il n’est pas parvenu à reprendre ces questions à l’extrême droite. Ce n’est pas la N-VA, mais bien le Vlaams Belang qui a pu surfer sur la vague européenne anti-immigration.”
Dès lors, conclut le politologue, un dilemme se pose à la N-VA pour les législatives du printemps prochain : “Doit-elle baisser le ton sur les questions d’asile et de migration pour se concentrer sur l’économie ? Ou bien virer encore plus à droite, pour tenter de reprendre du terrain à l’extrême droite ?"
Courrier International
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