Le pouvoir chinois avait d’abord nié son programme d’internement de près d’un million de musulmans dans la région du Xinjiang, dénoncé par un groupe d’experts de l’Organisation des Nations unies. Face aux preuves accablantes qui l’accusent, Pékin tente d’imposer sa version des faits.
Mardi 16 octobre, le président de la région autonome du Xinjiang, Shohrat Zakir, a assuré dans un entretien publié par l’agence de presse officielle Chine nouvelle que ces camps d’internement étaient en réalité des centres de « formation professionnelle » visant à améliorer les aptitudes et le niveau de mandarin des membres de minorités ethniques.
Près de la moitié des 24 millions d’habitants du Xinjiang sont de confession musulmane. Appartenant à la minorité ouïgoure ou à d’autres communautés turcophones, ils sont visés par des politiques sécuritaires très sévères de la part des autorités chinoises. Des attentats attribués par Pékin à des séparatistes ou des extrémistes ouïgours ont fait des centaines de morts ces dernières années. Les autorités disent s’inquiéter d’une poussée de l’islamisme radical dans la région.
La Chine de plus en plus critiquée
« Ils ont souvent des difficultés à trouver un emploi en raison de compétences professionnelles limitées. Cela entraîne des conditions de vie et de travail difficiles dans la région. Et ils sont plus facilement attirés ou forcés de s’engager dans le terrorisme et l’extrémisme », a expliqué Shohrat Zakir, lui-même d’origine ouïgoure. Le président du Xinjiang a assuré que les « stagiaires » signaient un contrat de formation avec les centres et étaient payés. La région autonome a publié la semaine dernière de nouvelles règles codifiant explicitement ces centres.
Après la publication d’images satellites et la présence sur Internet de documents officiels émis par les autorités locales, le programme d’internement des musulmans du nord-ouest de la Chine est de plus en plus critiqué, notamment par les Etats-Unis et le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale.
La contre-offensive médiatique menée par Pékin qu’intègre la déclaration de Shohrat Zakir s’est déjà traduite par la publication ces dernières semaines de tribunes dans de nombreux journaux étrangers de diplomates chinois dans le but de défendre ces centres, qui sont, selon eux, de bons moyens de lutter contre l’extrémisme religieux.
Le Monde.fr avec AFP
• Le Monde.fr | 16.10.2018 à 11h27 • Mis à jour le 17.10.2018 à 08h42 :
https://abonnes.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/10/16/musulmans-internes-la-chine-contre-attaque-dans-les-medias_5370079_3216.html
La Chine détiendrait un million de Ouïgours dans « des camps d’internement »
L’ONU s’inquiète du sort de ces musulmans chinois détenus en secret pour de longues durées, sans poursuites ou jugements. Ce que le régime dément.
Internement dans des « camps de déradicalisation », torture, lavage de cerveau… Depuis plusieurs mois, la Chine est accusée d’avoir arrêté et interné plusieurs centaines de milliers de Ouïgours, minorité musulmane de la région du Xinjiang, à l’extrême nord-ouest du pays.
Pour les Nations unies (ONU), pas moins d’un million de Ouïgours seraient détenus dans des camps en Chine, ce que nie le régime du président Xi Jinping. Des témoignages de rescapés et d’ONG font état de torture et d’endoctrinement dans ces camps. Face à cette situation, des élus américains réclament des sanctions envers des responsables chinois et l’Allemagne a décidé de mettre fin aux expulsions des Ouïgours vers la Chine.
La Chine détiendrait un million de Ouïgours
Carte de la région autonome ouïgoure du Xinjiang, en Chine.
Début août, le comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination raciale a affirmé disposer de nombreuses informations crédibles selon lesquelles un million de Ouïgours sont détenus dans « des camps d’internement géants placés sous le sceau du secret ».
Dans ses conclusions, ce comité s’est alarmé des « nombreux cas d’internement d’un grand nombre d’Ouïgours et d’autres minorités musulmanes, détenus en secret et souvent pour de longues durées, sans être inculpés ou jugés, sous prétexte de la lutte contre le terrorisme ou l’extrémisme religieux ».
Ces centres se trouveraient dans le Xinjiang, qui compte environ 22 millions d’habitants dont près de la moitié de Ouïgours d’origine turque, parmi lesquels beaucoup se plaignent de discriminations de la part de la majorité han. Les « élèves », selon l’expression du gouvernement désignant les personnes internées, sont regroupés par sections selon leur exposition supposée aux « idées extrémistes ». Ils sont contraints de suivre des sessions « internes » ou « externes » de quelques jours, plusieurs semaines ou plusieurs mois lors desquelles ils se font enseigner le mandarin, ainsi que les lois et l’idéologie communiste. De véritables cours de « lavage de cerveau », selon des Ouïgours en exil, contactés par Le Monde, qui en ont suivi à l’époque.
Des témoignages d’ancien rescapés de ces camps font également apparaître que la torture y est fréquente. Dans une enquête sur le sujet publiée jeudi, Libération a recueilli le témoignage d’Omurbel Eli [1], qui a été interné une vingtaine de jours dans « un centre de transformation par l’éducation ». Il y « décrit sa cellule où s’entassaient une quarantaine de détenus, tous musulmans, les deux caméras de surveillance, le sommeil à tour de rôle, l’unique douche mensuelle, les heures passées alignés en rangs, les punitions corporelles et les tentatives de suicide », énumère le quotidien.
La province du Xinjiang, où vivent la majorité des Ouïgours à l’extrême nord-ouest de la Chine, vit ainsi sous une forte présence policière. Les checkpoints des forces de l’ordre et les caméras de surveillance sont omniprésents dans la région. En 2017, le gouvernement chinois a interdit « les barbes anormalement longues » et le hijab dans cette région frontalière de l’Afghanistan et du Pakistan, et a ordonné à tous les conducteurs d’installer des dispositifs de localisation GPS dans leur véhicule.
Pékin dément et affirme qu’elle a évité « une nouvelle Syrie »
Face à ces accusations, la Chine a vigoureusement démenti à la mi-août la détention dans des centres de rééducation d’un million de Ouïgours. Lors d’une audition devant un comité des droits de l’homme de l’ONU, Ma Youqing, directeur du département du travail du Front uni, agence du Parti communiste chinois (PCC), a affirmé que « les citoyens du Xinjiang, y compris les Ouïgours, jouissent des mêmes libertés et des mêmes droits ».
Et selon lui, « l’argument d’un million de Ouïgours détenus dans des centres de rééducation est totalement faux ». Il affirme au contraire :
« Il n’y a aucune politique visant une minorité ethnique en particulier, ni limitant les droits et la liberté de religion du peuple ouïgour. »
Le parti au pouvoir en Chine justifie la surveillance de la population par les menaces posées par l’extrémisme islamiste, le terrorisme et le séparatisme. Des attentats imputés à des « séparatistes » ou à des musulmans radicalisés ont ainsi fait des centaines de morts ces dernières années dans la région ainsi qu’ailleurs dans le pays.
Dans un long éditorial, le Global Times, un influent quotidien proche du PCC, a défendu la politique sécuritaire qui a permis « d’éviter » que le Xinjiang devienne une nouvelle Syrie.
« Des politiciens et médias des Etats-Unis et d’autres pays occidentaux ont intensément critiqué la gouvernance du Xinjiang, parlant de massives violations des droits de l’homme et qualifiant la région de prison à ciel ouvert. Leur objectif est de semer le trouble au Xinjiang, et de détruire la stabilité si péniblement accomplie dans la région. »
Grâce au durcissement sécuritaire, « le Xinjiang a été sauvé alors qu’il était au bord du chaos, évitant le sort d’une nouvelle Syrie ou d’une nouvelle Libye », insiste l’éditorial.
Des élus américains demandent des sanctions, Berlin arrête les expulsions d’Ouïgours
Face à cette situation, des membres du Congrès américains – républicains et démocrates – ont adressé une lettre au secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, et à celui du Trésor, Steve Mnuchin, leur demandant de sanctionner sept responsables chinois et deux sociétés productrices d’équipements de surveillance. Une initiative dénoncée par la Chine.
« Les Etats-Unis n’ont aucun droit de critiquer la Chine et de s’ériger en juge dans ce domaine », a déclaré devant la presse la porte-parole de la diplomatie chinoise, Hua Chunying, évoquant les problèmes de discrimination raciale dans ce pays.
« Ces parlementaires, payés par le contribuable américain, devraient s’occuper de leur travail (…) au lieu de mettre leur nez dans les affaires des autres pays. »
De son côté, l’Allemagne a décidé, jeudi, de mettre fin à toutes les expulsions de demandeurs d’asile ouïgours vers la Chine en raison des risques encourus. Cette annonce du ministère de l’intérieur survient après que Berlin a reconnu avoir expulsé par erreur début avril un demandeur d’asile ouïgour, alors que son dossier devait encore faire l’objet d’un examen par l’Office de l’immigration.
La parlementaire écologiste à l’origine de la clarification du gouvernement, Margarete Bause, a qualifié l’expulsion de « scandaleuse », affirmant que la vie des Ouïgours était « en danger » une fois expulsés vers la Chine. L’avocat du jeune homme, Leo Borgmann, a fait savoir qu’il n’avait plus eu de nouvelles de l’intéressé depuis : « Il n’a donné aucun signe de vie, nous craignons qu’il ait été arrêté. »
• LE MONDE | 31.08.2018 à 12h38 • Mis à jour le 11.09.2018 à 16h01 :
https://abonnes.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/08/31/la-chine-detiendrait-un-million-d-ouigours-dans-des-camps-d-internement_5348573_3216.html
Nouvelles révélations sur les camps d’internement pour les minorités ethniques en Chine
Sayragul Sauytbay, jugée au Kazakhstan pour avoir franchi illégalement la frontière, était cadre dans un camp où sont détenus des membres des minorités ouïgoure et kazakhe.
Le procès de Sayragul Sauytbay, une citoyenne chinoise d’ethnie kazakhe du Xinjiang, la région autonome du grand Ouest chinois, embarrasse Pékin – mais aussi Astana – en raison des révélations de la prévenue sur les camps d’internement pour les minorités ethniques musulmanes en Chine.
Sayragul Sauytbay, 41 ans, est jugée au Kazakhstan pour avoir franchi illégalement la frontière entre les deux pays. Arrêtée en mai par la police kazakhe après que la Chine a donné l’alerte, elle a déjà comparu plusieurs fois depuis juillet, et devrait s’y plier encore le 1er août.
Son procès se tient à Jarkent, dans l’est du Kazakhstan, non loin de la frontière avec la Chine. Elle risque, en sus d’une amende ou de plusieurs mois de prison, d’être expulsée vers la Chine en raison des accords de sécurité qui lient le Kazakhstan et son puissant voisin.
Or, son procès public, suivi par les médias et les organisations des droits de l’homme au Kazakhstan, constitue un nouveau témoignage sur le réseau secret de camps d’endoctrinement dans lesquels sont détenus de manière extrajudiciaire des milliers de Ouïgours, la principale minorité ethnique du Xinjiang, mais aussi de Chinois d’ethnie kazakhe, un motif d’indignation croissante pour les citoyens du Kazakhstan voisin.
« Secrets d’Etat »
Les Ouïgours constituent 46 % de la population de la région autonome du Xinjiang, et les Kazakhs environ 6,5 %, soit 1,5 million de personnes. Les deux groupes sont de religion musulmane. Les Han, l’ethnie majoritaire chinoise, y représentent 40 % de la population. Pékin est jusqu’à ce jour resté très discret sur l’affaire.
Sayragul Sauytbay a raconté, lors de sa comparution le 13 juillet, avoir fui illégalement la Chine pour rejoindre son mari et ses deux enfants installés au Kazakhstan depuis 2016. Elle subissait des pressions pour les inciter à revenir en Chine – où elle estime qu’ils auraient été internés – mais aussi pour servir d’informatrice après des autorités chinoises.
Elle était retenue de son côté en Chine en raison de ses engagements auprès de l’administration chinoise : « J’étais la directrice d’une crèche, c’est-à-dire fonctionnaire, et me retirer du Parti communiste aurait été considéré comme une trahison, a-t-elle expliqué au tribunal. En 2018, on m’a transféré dans l’administration d’un camp de rééducation politique dans les montagnes, et j’ai dû signer un accord de non-divulgation sur tout ce qui concernait le camp. On m’a prévenu que si j’en parlais, cela revenait à révéler des secrets d’Etat et que je serais punie de la peine de mort. »
Aussi était-elle obligée de passer illégalement la frontière pour « sauver [sa] vie » et « trouver refuge dans la terre de [ses] ancêtres ». Son avocat s’efforce de mettre en avant les risques qu’elle encourt si elle est renvoyée en Chine, en puisant dans la documentation disponible désormais accablante sur les pratiques chinoises liberticides au Xinjiang.
Séances d’endoctrinement
Le camp où elle travaillait était destiné à 2 500 détenus kazakhs, a-t-elle précisé. Deux autres camps similaires existeraient dans la région frontalière du Kazakhstan avec le Xinjiang. L’ancienne cadre du camp devrait pouvoir révéler d’autres détails au cours de son procès.
Mme Sauytbay n’est pas la première à parler des camps d’internement chinois au Kazakhstan : la détention de ressortissants kazakhs ou de membres de leurs familles au Xinjiang depuis 2017 préoccupe Astana, qui a fait libérer plusieurs d’entre eux au printemps 2017.
Certains ressortissants kazakhs rentrés au Kazakhstan ont ainsi pu témoigner de leur passage dans des camps, décrivant de longues séances d’endoctrinement au sujet de la personne du président chinois Xi Jinping et des succès du Parti communiste, mais aussi de la dénégation de l’islam, dont la pratique est interdite au sein des camps. L’un de ces témoins, Omurbek Eli, né en Chine mais naturalisé kazakh, a témoigné à visage découvert début 2018.
Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)
• LE MONDE | 27.07.2018 à 14h30 • Mis à jour le 31.08.2018 à 12h44 :
https://abonnes.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/07/27/les-revelations-sur-les-camps-d-internement-embarrassent-pekin_5336728_3216.html
En Chine, l’internement massif de Ouïgours pour « rééducation » confirmé par une étude
Une multitude de sources officielles montre l’existence, dans la province du Xinjiang, de camps chargés d’une mission de « déradicalisation ».
L’existence de camps d’internement pour la population ouïgoure du Xinjiang, révélée depuis septembre 2017 au gré de témoignages recueillis d’abord par la radio américaine en ouïgour Radio Free Asia puis par les médias occidentaux, est corroborée par une multitude d’informations officielles chinoises. C’est ce que montre une étude du chercheur allemand Adrian Zenz, spécialiste des politiques ethniques chinoises, publiée mi-mai par la Jamestown Foundation.
En auscultant les marchés publics, les offres de recrutement, les comptes rendus de presse locale et les déclarations officielles, M. Zenz dévoile l’ampleur du réseau de camps de rééducation sorti de terre il y a un peu plus d’un an dans la Région autonome ouïgoure, dans l’extrême ouest de la Chine. Celle-ci fut le théâtre d’une rébellion larvée de 2012 à 2014 et d’attentats djihadistes. Les Ouïgours, qui ont des racines turques, sont musulmans sunnites.
Ces camps sont chargés d’une mission de « déradicalisation » et de « transformation par l’éducation » largement assumée dans nombre de documents officiels et publics, mais au sujet de laquelle le gouvernement chinois reste évasif quand il est confronté à la question. Et pour cause : l’arbitraire des critères d’envoi en camp, l’absence de processus légal et le caractère forcé de la détention rendent difficile toute transparence. « Les éléments que l’on apporte indiquent clairement qu’il s’agit de rééducation, et que celle-ci a évolué dans le temps et s’est institutionnalisée pour avoir lieu dans un environnement fermé et sécurisé », explique Adrian Zenz dans un entretien téléphonique.
Nombre des appels d’offres pour la construction des centres de rééducation sont lancés par les départements de justice locaux. Or, ces annonces « rendent obligatoire l’installation de systèmes de sécurité intégraux » avec « murs d’enceinte, barrières de sécurité, barbelés, portes et fenêtres renforcées, systèmes de surveillance, miradors », révèle le rapport, qui liste 68 appels d’offres entre 2016 et 2018.
« Classes d’étude »
De même, la plupart des offres de recrutement pour ces camps, appelés parfois « centres de formation et d’acquisition de compétences », recherchent du personnel non qualifié, si possible avec des expériences dans la police ou l’armée. Certains appels d’offres divulguent les coordonnées GPS des chantiers. Trois d’entre eux ont ainsi été géolocalisés en mai par un étudiant chinois basé au Canada, qui retrace leur construction dans une minibase de données.
Le nombre de personnes actuellement en cours de « rééducation » varie, selon les estimations d’Adrian Zenz, entre plusieurs centaines de milliers et un peu plus d’un million (les Ouïgours sont 10,5 millions). Son hypothèse est que de 5 % à 10 % de la population ouïgoure des villes et de 10 % à 20 % de celle des campagnes est envoyée en rééducation.
Or, ces proportions, selon le chercheur, « présentent une ressemblance frappante » avec les estimations de la population ouïgoure jugée problématique, car « influencée par les idées religieuses extrémistes » faites par de hauts responsables des organes judiciaires de la Région autonome ces deux dernières années. Une « logique de quotas », soupçonne-t-il, nourrit les décisions de placement en camp.
La « transformation par l’éducation », credo de la Chine maoïste, a une longue histoire en Chine, des camps de « rééducation par le travail », abolis en 2013, aux sessions spéciales de « déradicalisation » réservées aux membres du mouvement religieux falun gong, en passant par les « classes d’étude » où les moines tibétains étudient le « patriotisme » et les pétitionnaires endurcis les « lois et législations ».
« Lavage de cerveau »
Au Xinjiang, différentes « classes d’étude » sont lancées dans les années 2014-2015 lors d’efforts ciblés de « déradicalisation ». Les « élèves » sont regroupés par sections selon leur exposition supposée aux « idées extrémistes », pour des sessions comme « internes » ou « externes » de quelques jours, plusieurs semaines ou plusieurs mois. Ils apprennent le mandarin, les lois et l’idéologie communiste – des cours de « lavage de cerveau », selon les Ouïgours en exil, contactés par Le Monde, qui en ont suivis à l’époque.
Mais la nomination, en 2016, d’un secrétaire du parti à poigne pour la Région autonome du Xinjiang, Chen Quanguo, transféré du Tibet, change la donne. La « guerre contre le terrorisme » menée depuis 2014 à l’appel du président chinois, Xi Jinping, redouble d’intensité. Le gouvernement local publie en mars 2017 de nouvelles directives de dé-radicalisation qui préconisent des opérations tous azimuts de « transformation par l’éducation ». Les expériences pilotes menées jusqu’alors sont célébrées pour leur taux de succès. Le boom de construction des camps démarre.
Les détentions sont justifiées par un système complexe et opaque d’évaluations, qu’a documenté l’ONG Human Rights Watch. Les notes les plus basses sont attribuées aux jeunes Ouïgours qui changent souvent d’emploi dans les villes, prient cinq fois par jour, ont téléchargé des messages religieux ou « séparatistes » durant les dernières années. A ceux aussi qui ont voyagé dans l’un des « 26 pays sensibles » (d’une liste tenue secrète) et ont appris l’arabe.
Les autorités font assaut de pédagogie : une notice de la préfecture de Hotan d’avril 2017 explique ainsi que « participer aux classes de transformation par l’éducation doit être vu comme un traitement hospitalier gratuit pour les masses dotées de pensées empoisonnées ». Le caractère extrajudiciaire du système n’en fait pas moins une source majeure d’abus, estime M. Zenz : « Il y a beaucoup d’arbitraire et d’intimidation, l’envoi en camp est utilisé comme une menace », nous dit-il. Plusieurs décès et des violences ont déjà été rapportés par des familles, qui souvent ne savent pas où ont été envoyés leurs proches.
Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)
• LE MONDE | 25.05.2018 à 18h14 :
https://abonnes.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/05/25/en-chine-l-internement-massif-de-ouigours-pour-reeducation-confirme-par-une-etude_5304787_3216.html