Une trentaine de membres du groupe ont été arrêtés cette semaine dans trois gouvernorats du Delta (Gharbiya, Daqahliya et Charqiya). Selon les services de sécurité, « ils étaient en possession de tracts et de documents montrant leur stratégie d’infiltration et de prise de contrôle d’organisations estudiantines et de syndicats ». Par ailleurs, les Frères ont annoncé que leur site Internet en langue anglaise avait été fermé. Selon Mahdi Akef, le guide de la confrérie, « il s’agit de mesures répressives qui dévoilent le vrai visage de l’Etat et sa volonté de neutraliser toute opposition ». Et d’ajouter : « Je me demande comment l’Etat peut justifier cette répression alors qu’il prétend œuvrer pour la démocratie et les libertés. Nous sommes la principale force d’opposition dans le pays. Et nous jouissons d’une vaste légitimité populaire ». Les services de sécurité ont, en outre, saisi les biens des Frères dans plusieurs gouvernorats et ont fermé plusieurs maisons d’édition gérées par des cadres du groupe.
Le 14 décembre dernier déjà, les autorités avaient procédé à l’arrestation de 140 membres de la confrérie, dont le numéro 3 Khaïrat Al-Chater. Ce dernier est considéré comme le stratège et le responsable financier du groupe. Selon les services de sécurité, ces personnes ont été arrêtées pour « participation à un groupe interdit, complot en vue de s’infiltrer dans les associations estudiantines et ouvrières ».
Il s’agit donc d’une escalade entre l’Etat et la confrérie. Escalade, mais jusqu’où ? Et surtout quelle sera la stratégie des Frères ? Vont-ils jouer l’apaisement ? Les relations entre les Frères et l’Etat ont toujours été sujettes à des fluctuations. Les élections législatives de novembre 2005 avaient vu une percée historique du mouvement qui avait remporté 88 des 454 sièges du Parlement. Mais si l’Etat a « laissé » les Frères gagner des sièges au cours de la première phase des élections, de manière à utiliser ce prétexte pour dire à l’Occident qu’une réforme démocratique signifierait l’arrivée des islamistes au pouvoir, il n’était pas question que la courte lune de miel perdure. Aussitôt après les élections, l’Etat a repris sa stratégie d’intimidation des Frères. La campagne contre les Frères a été d’autant plus durcie que l’Etat a été irrité par une démonstration de force organisée le mois dernier par les étudiants membres de la confrérie, à l’Université d’Al-Azhar. Une cinquantaine d’étudiants vêtus d’uniformes noirs de type milicien et cagoulés se sont adonnés à des exercices de karaté et de kung-fu. Le rassemblement organisé devant le bureau du doyen de l’université a choqué non seulement les responsables mais aussi l’opinion publique par son aspect paramilitaire et a été perçu comme une provocation ou un affront aux autorités. La police a ouvert une enquête pour déterminer si les Frères musulmans avaient créé une aile militaire. Affaire que la confrérie a démentie.
Asséner un coup à la Confrérie
Mohamad Habib, l’adjoint du guide de la confrérie, estime que « les récentes rafles s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie visant à affaiblir le mouvement et l’empêcher de s’opposer à l’amendement constitutionnel que le Parlement est en passe de discuter ». Selon lui, les événements de l’Université d’Al-Azhar ont été pris comme prétexte pour asséner un coup à la confrérie. « Les forces de sécurité savent pertinemment que les Frères ne possèdent pas de branche militaire. Mais le vrai enjeu de ces mesures, c’est de détourner l’attention des amendements constitutionnels qui décideront du sort du pays pour des décennies. Surtout que nous représentons le plus grand groupe d’opposition au Parlement », estime Habib. Bref, le but selon lui est de marginaliser les Frères et de les écarter de la scène politique.
Nabil Abdel-Fattah, chercheur au Centre d’Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, pense que ces mesures s’inscrivent dans le cadre de la stratégie traditionnelle de l’Etat vis-à-vis des Frères qui a toujours vacillé entre tolérance et intransigeance selon les circonstances et les données. « Je pense que les autorités ont voulu envoyer un message à la confrérie de ne pas répéter le scénario de l’Université d’Al-Azhar et aussi les manifestations qu’ils ont organisées pour protester contre l’amendement de l’article 76 », avance Abdel-Fattah. Depuis leur réussite aux élections parlementaires, les Frères se comportent de manière peu ordinaire. Cette attitude s’est reflétée au Parlement par l’apparition des cadres de la confrérie de manière massive dans les médias et aussi par les manifestations organisées par le groupe dans les rues du Caire et à la mosquée d’Al-Azhar. Cette attitude a irrité l’Etat. La présente campagne contre les Frères est donc un rappel à l’ordre.
A présent, la confrérie se trouve face à un dilemme. Elle doit revoir sa stratégie avec l’Etat afin d’apaiser la tension avec celui-ci et en même temps exprimer son refus des amendements constitutionnels. Mohamad Habib reconnaît que la confrérie réexamine actuellement sa stratégie envers l’Etat. Il est probable que les Frères jouent la carte de l’apaisement. « Nous éviterons prochainement de manifester et d’organiser des conférences populaires. Mais cela ne sera pas aux dépens de notre mission et de notre rôle politique. Mais comment réaliser cette équation difficile ? C’est ce que nous étudions actuellement. La question qui se pose actuellement n’est pas de savoir comment agir face aux coups de la sécurité, car nous avons de tout temps résisté à ces coups, la vraie question maintenant est de définir notre rôle et notre avenir politique ».
Amr Al-Chobaki, chercheur au CEPS, estime que vu l’état actuel des choses, aucun changement dans le statut ou la stratégie des Frères n’est à prévoir. « Les Frères resteront un groupe interdit qui mobilise ses membres sur une base religieuse. Et la politique sécuritaire de répression persistera », prévoit le chercheur. Et de conclure : « L’intégration des Frères dans le jeu politique exige l’existence d’un parti au pouvoir fort et efficace pour pouvoir faire face aux cadres islamistes actifs. Cette intégration se révèle un choix difficile qui a besoin d’une réforme politique sérieuse » .