Au lendemain de la publication du rapport du GIEC appelant à un sursaut international pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C, et alors que le gouvernement doit présenter fin octobre sa nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), une étude de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), rendue publique mardi 16 octobre, sonne l’alarme. Elle montre que dans tous les secteurs clés – énergie, transports, bâtiments, agriculture –, l’Hexagone est en retard sur ses objectifs climatiques. Pire, cet écart se creuse.
Pour orienter sa politique dans le domaine de l’énergie et du climat, la France s’est dotée de deux grands outils de planification : la PPE, en cours de révision pour les périodes 2019-2023 et 2024-2028, et la stratégie nationale bas carbone (SNBC), elle aussi en phase de réécriture. Cette dernière précise, dans les différents secteurs d’activité économique, les « budgets carbone », c’est-à-dire les niveaux d’émissions de gaz à effet de serre à ne pas dépasser pour rester sur la trajectoire définie à moyen et long termes.
Or, loin de baisser, les émissions nationales sont reparties à la hausse depuis 2015, si bien qu’en 2017, indique l’Iddri, elles ont excédé de 7 % le budget imparti. Cela, alors même que le plan climat annoncé en juillet 2017 par l’ex-ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, a rehaussé l’ambition de la France : elle vise désormais la neutralité carbone au milieu du siècle, et non plus seulement la division par quatre de ses émissions, comme le prévoyait la loi de transition énergétique de 2015.
Les renouvelables à la traîne
Il existe donc, soulignent les auteurs de l’étude, « un écart grandissant » entre les objectifs de la France et la réalité de ses émissions de gaz à effet de serre. Un décalage qui appelle à leurs yeux « un renforcement substantiel de sa politique climatique ». Il y a « urgence » à infléchir la courbe, ajoutent-ils, faute de quoi « la crédibilité du projet de transition pourrait rapidement s’éroder ».
Ce constat vaut pour tous les secteurs, à commencer par la production d’énergie. Pour ne pas dévier de la trajectoire fixée, calcule l’Iddri, il faudrait « multiplier par quatre le rythme de l’amélioration de l’efficacité énergétique », et « par trois celui de la baisse de consommation d’énergies primaires fossiles ». Parmi les combustibles fossiles, seul le charbon a enregistré une baisse depuis 2012 (- 22 %), tandis que le pétrole et le gaz se maintenaient à un niveau quasiment stable. Dans le même temps, les énergies renouvelables (ENR) restent à la traîne, dans la production d’électricité et plus encore de chaleur. Et le potentiel du gaz renouvelable reste sous-exploité.
Part des renouvelables dans la consommation finale d’énergie par usages.
La décarbonation des transports, qui sont responsables de 30 % des émissions françaises de gaz à effet de serre, patine elle aussi. En légère augmentation (+ 1 %) entre 2012 et 2017, ces émissions s’écartent chaque année davantage des plafonds prévus : elles les ont dépassés de 6 % en 2016 et de 10 % en 2017. En cause, la hausse du transport routier, pour les individus (+ 6,6 % entre 2016 et 2017) comme pour le fret (+ 6 %), qui annihile les bénéfices de la baisse de consommation des véhicules et du déploiement des motorisations électriques.
Les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports (en gris) s’écartent de la trajectoire de la stratégie nationale bas carbone (en rouge).
Le secteur du bâtiment, qui représente 20 % des émissions nationales et plus de 40 % de la consommation énergétique totale, est encore moins vertueux, puisqu’il a surpassé de 11 % son budget carbone en 2016, et de 22 % en 2017. Les derniers chiffres disponibles, portant sur l’année 2014, font état de 288 000 rénovations thermiques de logements « performantes » ou « très performantes », très en deçà de l’objectif de 500 000 logements rénovés par an que la France s’est donné dès 2012 et que M. Hulot avait réaffirmé. Face à ce décrochage, l’Iddri juge qu’« un réajustement des politiques de rénovation énergétique s’impose ».
Le secteur du bâtiment affiche la plus grande distorsion entre ses émissions de gaz à effet de serre (en gris) et les prévisions de la stratégie bas carbone (en rouge).
Quant à l’agriculture, source de près de 20 % des gaz à effet de serre (pour l’essentiel sous forme de méthane et de protoxyde d’azote), ses émissions, après quinze années de décrue, ont légèrement progressé en 2017, dépassant de 3,2 % le plafond. « La trajectoire du secteur agricole est, sur le long terme, incompatible avec les objectifs climatiques de la France », note l’étude, qui pointe notamment l’insuffisance des moyens financiers alloués à l’agroécologie.
« Moment critique »
« Aujourd’hui, tous les indicateurs sont au rouge, commente Lola Vallejo, directrice du programme climat de l’Iddri. Notre message est que nous sommes à un moment critique. Il y a une fenêtre à saisir, non pour changer à la marge la politique énergétique et climatique, mais pour la transformer en profondeur. » Et de préconiser que le Parlement soit associé à ce travail qui appelle des mutations radicales dans tous les domaines socio-économiques, comme c’est par exemple le cas au Royaume-Uni.
Début juillet, Nicolas Hulot, tirant le bilan de la première année de son plan climat, avait reconnu que « pour l’instant, le changement n’est pas à l’échelle ». Plus la France s’écarte de son cap et plus il sera difficile de redresser la barre.
Pierre Le Hir