Textile et emploi : alerte politique
Propos recueillis par Dominique Mezzi
Le 24 janvier, devant l’Assemblée nationale, est prévue une manifestation des salariés du textile. En décembre 2006, des syndicalistes CGT, CFTC, FO des entreprises Dim (Saône-et-Loire, Nièvre), Well (Gard), Aubade (Vienne), se sont concertés pour réagir face à une avalanche de mauvais coups (licenciements, fermetures). Toutes ont été rachetées par des fonds d’investissement qui n’ont qu’une idée en tête, profiter des marques pour vendre, mais détruire les sites industriels en délocalisant. La manifestation est donc une alerte en direction des pouvoirs publics, et de la branche patronale, pour que la dignité des salariés soit respectée. Mais la division syndicale, la pression patronale ont dispersé les forces. Certains syndicats (Dim, Aubade) ont négocié des accords de méthode les liant aux patrons. La manifestation du 24 janvier risque d’en pâtir beaucoup. Elle serait l’occasion d’exiger du patronat qu’il assume le maintien des salaires jusqu’à reclassement effectif. C’est la question que nous avons posée à Maurad Rahbi, secrétaire général de la fédération textile CGT, et à Stéphane Charlin, membre de la CFTC chez Well.
Maurad Rhabi (CGT) - Notre objectif est de taper là où cela fait mal : le fric. C’est-à-dire le paiement par les patrons des coûts sociaux de leurs décisions. Avec maintien du salaire jusqu’au reclassement effectif des salariés en CDI. À la CGT, nous définissons cela comme la sécurité sociale professionnelle. Well, Dim, Arena, Aubade : ces marques ont été rachetées par des fonds d’investissement, qui cassent l’industrie, délocalisent et gagnent de l’argent de cette façon. Ils ne sont pas en faillite. Évidemment, il faudrait pouvoir imposer un droit de veto contre leurs décisions, mais le rapport de force est trop faible. L’industrie textile sert, en fait, de troc dans les négociations commerciales : « on » vend des TGV et des Airbus dans les pays émergeants, et « on » accepte en échange qu’ils nous vendent des chemises. En réalité, il n’y a plus de politique industrielle.
Stéphane Charlin (CFTC Well) - En décembre, Villepin a annoncé une aide de 150 millions pour la reconversion des salariés sous-traitants de l’automobile, touchés par des licenciements. Ils ont perdu 10 000 emplois. Mais, dans le textile, nous en sommes à 70 000 emplois détruits, dans l’indifférence totale. Nous commençons à être assez défaitistes. Le patron de la branche est un certain Guillaume Sarkozy. Depuis des années, la classe politique, avec des gouvernements de diverses couleurs, n’a jamais rien fait. La journée du 24 janvier est faite pour dire : donnez-nous les moyens d’assurer notre reconversion, si on ne veut plus d’industrie textile en France. Nous voulons obtenir du gouvernement le maximum de congés de conversion, de moins en moins utilisés par l’État, avec une durée garantie, et un gros plan de formation. Pendant dix mois, les salariés auraient 85 % de leur rémunération brute.
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Emploi
Interdire les licenciements, il y a urgence
Joséphine Simplon
Les licenciements se multiplient chez les sous-traitants de l’automobile, dans l’habillement et dans l’industrie.
Plus de 10 000 emplois ont été liquidés en 2006 chez les équipementiers de l’industrie automobile. Partout en France, les équipementiers et sous-traitants de l’industrie automobile sont en crise. Délocalisations, fermetures de site, licenciements et liquidations totales comme, par exemple, à Thomé-Génot dans les Ardennes ou à Cadence innovation dans le Nord : les exemples sont malheureusement nombreux. Pour baisser leurs coûts et augmenter leurs profits, les grands groupes industriels, dans l’automobile comme ailleurs, sous-traitent une partie toujours plus grande de la production. Les salariés des entreprises sous-traitantes sont entièrement dépendants des grands groupes qui les pressurent pour augmenter leur taux de profit en faisant baisser les prix.
Chez tous les constructeurs, 75 % à 85 % des pièces utilisées sont fabriquées à l’extérieur de leurs usines, par des équipementiers et des sous-traitants qui emploient plus de 120 000 salariés, à comparer aux 160 000 salariés des deux grands constructeurs français. Mais les salariés y sont moins concentrés que dans les usines automobiles, avec des accords d’entreprise leur garantissant moins d’avantages. C’est sur eux que s’exercent les contraintes les plus importantes pour la réduction des coûts, avec l’exigence de 3 à 5 % de productivité supplémentaire chaque année. Il est d’ailleurs révélateur que le plan du PDG de Renault, le « plan Ghosn », exige des usines du groupes 12 % de productivité supplémentaire sur les quatre prochaines années, alors qu’il en souhaite 14 % sur trois ans pour ses équipementiers.
Lors du dernier Mondial de l’automobile, les patrons du secteur ont annoncé que la vente des voitures neuves en France avait chuté de 8 % en novembre 2006, par rapport à novembre 2005. Cette annonce tombait à pic pour justifier, de la part des constructeurs, la politique de flexibilité croissante qu’ils imposent aux salariés et une intensification de la pression sur les sous-traitants et les entreprises d’équipements. Mais les patrons des sous-traitants et des équipementiers, eux, n’ont rien à craindre puisque le gouvernement leur a fait un joli cadeau de 400 millions d’euros, sous forme d’aides publiques, sans par ailleurs qu’aucun licenciement ne soit contesté.
L’exemple du secteur automobile n’est pas un cas isolé et montre qu’aujourd’hui une loi interdisant les licenciements, appuyée par la mobilisation des salariés, est une exigence. Pour cela, il faut réaffirmer deux principes indissociables. Premièrement, les salariés sont les premiers concernés, les mieux placés pour déjouer les plans patronaux et trouver des solutions afin d’empêcher les licenciements. Ils doivent avoir accès à toutes les informations économiques, commerciales, bancaires, et pouvoir disposer de tous les moyens d’investigation et d’expertise. Mais ce droit à l’information doit s’accompagner du droit d’imposer ces solutions, y compris par l’appropriation publique de l’entreprise sans indemnités.
Deuxièmement, la création, au sein de la Sécurité sociale, d’un fonds de mutualisation alimenté exclusivement par des cotisations patronales et géré par les salariés, permettrait de financer - et donc de rendre effectif - le droit permanent à l’emploi pour tout salarié, quelle que soit son entreprise. Le patronat doit devenir collectivement responsable de la continuité du contrat de travail, afin de permettre au salarié de garder un emploi, dans sa qualification ou dans une qualification supérieure. La conséquence de telles mesures serait évidemment une remise en cause de la répartition actuelle des richesses produites et du pouvoir des patrons et des actionnaires. Elles supposent un contrôle des capitaux, sans lequel les grands groupes menaceraient rapidement de mettre la clé sous la porte. Ces mesures ne sont pas envisageables sans la construction d’un rapport de force pour faire plier le patronat, comme ce dernier a réussi à faire plier les salariés ces dernières années. Elles tracent aussi ce que serait le chemin que prendrait un gouvernement vraiment fidèle aux travailleurs, rompant avec les logiques capitalistes des gouvernements actuels et précédents, ainsi que celles des règlements de l’Union européenne.