L’année 2006 s’est terminée par un nouveau record : 24 000 reconduites à la frontière. Jamais, depuis les années 1930, on n’avait atteint un tel niveau. Entre 1934 et 1939, 130 000 immigrés avaient été renvoyés dans des trains vers la Belgique, la Pologne... Pour atteindre l’objectif qu’il s’était fixé (25 000), Sarkozy ne lésine pas sur les moyens : multiplication des rafles, chasse à l’enfant... Tout est bon pour entretenir l’hystérie raciste et sécuritaire. Pour faire du chiffre, deux charters ont été affrétés en décembre vers la Roumanie alors que, depuis le 1er janvier 2007, elle vient d’intégrer l’Union européenne.
Sarkozy a bien compris qu’une résistance massive se développe autour des écoles et il tente de la casser. Des policiers en uniforme distribuent aux passagers du vol Air France Paris-Bamako un tract les menaçant d’années de prison et de dizaines de milliers d’euros d’amende s’ils manifestent leur solidarité aux sans-papiers expulsés. Le mercredi 13 décembre, à Bourg-en-Bresse, un jeune sans-papiers et une militante du Réseau éducation sans frontières (RESF) ont été traités comme des délinquants par quelques policiers, qui les ont menottés comme de dangereux criminels alors qu’ils n’opposaient aucune résistance. Aider quelqu’un, être témoin, poser des questions, s’exprimer relèvent-ils du crime ?
Chasse à l’enfant
Un militant du RESF 95 a été convoqué au commissariat car « coupable » d’avoir reproché, en des termes assez vifs, au préfet de Corrèze d’avoir fait interpeller une enfant arménienne de 4 ans dans une école en vue de l’expulsion de sa famille vers l’Allemagne. Le 19 décembre, Florimond et Myriam, deux des militants du RESF qui avaient participé, en novembre, aux actions qui avaient évité l’expulsion du père algérien de deux enfants scolarisés sont placées en garde à vue à Marseille. Au terme de sa garde à vue, Florimond a été mis en examen pour « avoir volontairement commis des violences sur personne dépositaire de l’autorité publique, faits commis par arme par destination (en l’espèce son véhicule) » et pour « avoir volontairement exercé des violences [...], ces violences étant aggravées par les deux circonstances suivantes : sur un dépositaire de l’autorité publique et en réunion ». Florimond n’a fait que suivre à distance la voiture de police qui emmenait le père de famille.
Après avoir essuyé deux défaites sur le traité constitutionnel européen et sur le CPE, le gouvernement tente de reprendre la main. La droite a décidé de faire de l’immigration l’un des principaux thèmes de campagne en reprenant la vieille recette « diviser pour mieux régner ». Il s’agit de trouver des boucs émissaires pour masquer les problèmes sociaux. Sarkozy prétend ainsi que « les violences qui ont éclaté dans nos banlieues ne sont pas sans rapport avec l’échec consternant de la politique d’immigration », masquant sa propre responsabilité. Il instrumentalise totalement la question de l’immigration et se sert du ministère de l’Intérieur pour mener sa propre campagne.
Très cyniquement, il met en œuvre ce que demande Le Pen. Valérie Pécresse, porte-parole de l’UMP, déclare : « Je partage l’analyse de Nicolas Sarkozy, [...], on a un Front national qui est à 15 %, on a une élection présidentielle dans trois mois, la société française est fragile, elle est xénophobe, on a un taux de chômage de masse qui ne nous permet pas de donner des papiers à tous ceux qui sont sur le territoire français. Il y a une très forte tendance, il y a une très très forte tendance... Non mais, à 15 % de vote Front national, on ne peut pas nier qu’il y a une fragilité de la société française. » Cette politique est dangereuse. Elle fait le jeu du FN, prépare de nouveaux 21 Avril, car beaucoup préféreront finalement l’original à la copie. Dans ce climat délétère, les déclarations racistes se multiplient sans réaction significative. Pascal Sevran, soutien de Sarkozy, est toujours à l’antenne, et Frèche n’a toujours pas été sanctionné par le PS.
Hypocrisie
Ségolène Royal « salue la mobilisation d’enseignants et de parents en faveur d’enfants scolarisés expulsables », mais elle ne rompt pas avec la politique de Sarkozy. Elle prône, « comme dans d’autres domaines, un ordre juste qui allie fermeté, efficacité et humanité ». Pour elle, « il faut lier à la fois la réglementation, la fermeté indispensable de cette réglementation pour maîtriser les flux migratoires : qu’elle soit cohérente dans nos pays méditerranéens ». Elle s’est opposée à la proposition de Fabius de régularisation en masse. Elle va même plus loin, en demandant « d’expulser systématiquement hors de France les délinquants étrangers dangereux arrivés depuis peu », c’est-à-dire une double peine. Elle défend une vision totalement utilitariste de la main-d’œuvre immigrée en fonction des besoins du patronat : « Il faut, pour l’immigration de travail, instaurer un droit moderne à l’aller et au retour. Aujourd’hui, beaucoup d’immigrants, qu’ils soient qualifiés, chercheurs, universitaires, cadres ou saisonniers, sont d’autant plus tentés de rester qu’ils craignent de ne pas pouvoir revenir faute d’un visa permanent ou pluriannuel. »
Droite et PS défendent le contrôle de l’immigration, ce qui signifie, concrètement, une répression au faciès. Cette politique repose sur un mythe, repris par Ségolène Royal : le mythe de « l’appel d’air ». On entretient des fantasmes sur l’importance du problème, alors que les sans-papiers ne représentent que 0,5 % de la population. Il n’y a aucune corrélation entre le taux de chômage et l’immigration. Depuis 1945, il y a entre 7 et 8 % d’immigrés, cela reste stable, alors que le chômage a explosé depuis le début des années 1980. Des études estiment que la régularisation massive de 700 000 sans-papiers en Espagne a eu un impact très bénéfique sur l’économie. Le capitalisme a d’ailleurs toujours eu besoin de mouvements migratoires pour se développer : « L’Europe du XIXe siècle a été le champ du plus important mouvement d’émigration à longue distance jamais enregistré auparavant et pas encore renouvelé depuis lors », 46 millions d’Européens émigrant en Amérique entre 1815 et 19151.
Urgence
Sarkozy et Royal reconnaissent implicitement que la cause principale de l’immigration est l’état de la planète et les rapports Nord/Sud, puisqu’ils accompagnent tous les deux leurs discours sur l’immigration de la proposition d’un « codéveloppement ». Cette mesure n’est que de la poudre aux yeux qui masque la réalité des rapports Nord/Sud et du pillage mené par les grandes puissances, dont la France. Les gens migrent pour fuir la misère, la guerre. L’Europe libérale peut élever les barbelés à Ceuta et Mellila, affréter plus de charters, cela ne changera pas le fait que, par la dette, les plans d’ajustement structurel, les ventes d’armes, elle pousse de plus en plus de gens à fuir vers le Nord. On voit bien toute l’hypocrisie du marché qui prône la liberté totale de circulation pour les capitaux et les marchandises, mais la refuse aux êtres humains.
Nous pensons au contraire, à la LCR, que l’immigration n’est pas un problème. Nous exigeons la régularisation immédiate de tous les sans-papiers. Nous défendons le droit de circuler et de s’installer librement. Nous voulons une autre Europe, ouverte et non une forteresse. Les mois à venir vont être cruciaux. Pour combattre l’offensive raciste et sécuritaire, nous allons faire entendre une autre voix dans la campagne, solidaire de tous ceux qui luttent avec les sans-papiers. Il faut également construire une alternative à la politique de Ségolène Royal. Le positionnement du PS s’inscrit dans la continuité de la politique du gouvernement Jospin. Nous n’avons pas oublié qu’il promettait, en avril 1997, après un an de lutte des sans-papiers de Saint-Bernard, l’abrogation des lois racistes de Pasqua-Debré. Finalement, les promesses furent rangées au placard et le ministre de l’Intérieur de l’époque, Jean-Pierre Chevènement, régularisa au cas par cas, laissant 80 000 personnes dans la clandestinité. Les célibataires déboutés de Chevènement sont devenus les pères et mères déboutés de la circulaire Sarkozy. Seule la mobilisation permettra de gagner les régularisations.
Il faut donc l’amplifier avec le RESF. Le gouvernement aimerait marginaliser ce mouvement pour mener à bien sa campagne démagogique, électoraliste. La résistance a commencé à prendre de l’ampleur. Plus de 1 000 collectifs du RESF existent en France, il s’agit de faire converger toutes ces initiatives dans une mobilisation nationale de grande ampleur. L’appel unitaire, soutenu par de nombreuses personnalités, contre l’expulsion de la famille Raba est une étape. Face à l’offensive raciste et sécuritaire, il y a urgence !
Antoine Boulangé
Note
1. Isaac Johsua, Une trajectoire du capital, Syllepse, 22 euros.
Encarts
En 2007, on continue
Alors que la droite fait de la démagogie anti-immigrés un thème central de son discours électoral, la solidarité avec les sans-papiers s’invite dans la campagne. Le 18 janvier, la coordination lycéenne pour la régularisation des sans-papiers organise une manifestation, place de la République à Paris.
Le Réseau éducation sans frontières (RESF) s’oriente vers une semaine nationale de rassemblements et de manifestations, du 5 au 10 février. Un rassemblement pour le retour de la famille Raba aura lieu à Vesoul le 27 janvier.
Le collectif Uni(e)s contre une immigration jetable (Ucij) prépare un forum des migrations, le 24 mars. Il s’agira de déconstruire les idées reçues sur l’immigration et d’appeler à la mobilisation, à la résistance et à la régularisation des sans-papiers. C’est le 20 avril, date symbolique s’il en est, juste avant le premier tour de la présidentielle, qu’est prévue l’audience de Florimond (RESF Marseille), mis en examen sur ordre probable de Sarkozy. Ce ne sont là que quelques moments d’une mobilisation qui n’observera aucune trêve électorale et qui forcera chaque candidat à se déterminer sur le fond.
Emmanuel Sieglemann
Des papiers pour tous
Un large collectif de syndicats, d’associations, de partis, dont la LCR, s’est constitué et a lancé, sur proposition du Mrap, l’appel ci-dessous. Les objectifs de ce collectif sont de s’inviter dans les élections et d’y déconstruire les lieux communs et les mensonges véhiculés sur les sans-papiers, ces affreux individus tapis dans l’ombre et responsables des révoltes des banlieues, de la délinquance et du chômage... Une pétition1 ainsi qu’un argumentaire détaillé2 sur les réalités et les causes de l’existence des sans-papiers ont été rendus publics. La LCR appelle à participer activement à cette campagne et à créer, partout, les conditions pour que les sans-papiers ne soient pas, une fois de plus, utilisés à des fins électoralistes par ceux et celles qui veulent se faire une place au soleil en regardant vers le FN et ses clones.
Des actions à caractère national et local sont aussi prévues dans les semaines à venir. Alors, comme avec RESF, avec ceux de Cachan et les Modeluxe, tous ensemble, exigeons la régularisation globale et immédiate des sans-papiers !
Chumani Tutanka
1. Signable en ligne sur « http://www.mrap.fr/petitions/regularisation/ ».
2. Nous en faire la demande : « lcrimmigration yahoo.fr ».
Appel pour une régularisation globale et immédiate de tous les sans-papiers en France
« Alors que des centaines de sans-papiers, présents parfois depuis de longues années en France, revendiquent le droit de vivre dignement en situation régulière, alors que les politiques mises en œuvre par le gouvernement à leur encontre ne sont faites que de répression, rafles, rétentions, condamnations, expulsions, ce qui fait vivre des conditions inhumaines à de nombreuses familles, alors qu’en Europe, l’Espagne, la Suède, l’Italie, l’Angleterre ont décidé ou annoncé des opérations de régularisation globale de sans-papiers, que d’autres pays demain peut-être suivront cette voie et que de nombreuses personnalités, en France même, ont exprimé leur accord avec cette perspective, les associations, syndicats, partis, ci-après signataires, appellent à une régularisation globale et immédiate de tous les sans-papiers en France. »