Le “crédit universel” est “en train de tomber dans le discrédit”. La remarque cinglante émane d’un émissaire de l’ONU, dans un rapport éclipsé par le tumulte du Brexit, vendredi 16 novembre. À l’issue d’un séjour d’observation de deux semaines au Royaume-Uni – dans le but d’évaluer les réponses du gouvernement à la crise économique –, le rapporteur spécial sur la pauvreté et les droits humains, Philip Alston, a vertement critiqué cette réforme des aides sociales : “Une bonne idée à l’origine, qui devait simplifier le système”, rapporte The Guardian, mais devenue une usine à gaz à revoir de fond en comble.
“Le crédit universel fusionne six allocations classiques et il vise à simplifier les demandes de droits et à encourager les allocataires à chercher un emploi, explique le Financial Times. Une mise en œuvre progressive a commencé en 2013 et environ 10 % des bénéficiaires sont actuellement concernés par le nouveau système.” Réforme phare de la coalition conservateurs/libéraux démocrates emmenée par David Cameron, cette fusion concernera à terme 6,5 millions de personnes, à l’issue d’une transition initialement étalée sur quatre ans. Finalement, a annoncé le gouvernement fin octobre, l’objectif ne sera pas atteint avant 2023.
Injection d’un milliard de livres supplémentaires
“Des problèmes techniques ont ralenti le déploiement du nouveau système, accusé d’aggraver la situation des allocataires dans les régions où il a été adopté, comme en témoignent les banques alimentaires, qui observent une hausse de la demande atteignant parfois 52 %”, précise le journal économique. “Le projet doit faciliter la transition entre chômage et vie active, mais il est en proie à de nombreux problèmes et retards”, complète le quotidien The Times.
En réponse, le ministre des Finances Philip Hammond s’est engagé à injecter un milliard de livres supplémentaires dans le système, afin d’éviter toute période de carence. “Certaines allocations existantes seront prolongées de deux semaines au moment de la transition, afin de répondre aux critiques faisant valoir qu’il se passe cinq semaines entre le moment où l’on dépose un dossier et celui où l’on reçoit le premier virement, car le crédit universel est versé après un mois révolu. Ce retard a endetté certaines familles.”
Près de trois millions de familles pénalisées
Seulement, alerte le titre conservateur, “il y aura plus de perdants que de gagnants, car 40 % de foyers toucheront moins d’argent au titre du crédit universel, contre 30 % qui percevront plus d’allocations. Selon un rapport du cabinet-conseil Policy in Practice, 2,8 millions de familles seront plus pauvres et perdront en moyenne 58 livres par semaine, soit 3 016 livres par an.” Au maximum, un foyer composé de deux parents et de deux enfants pourra désormais prétendre à 962,23 livres par mois (environ 1 080 euros) – 317,82 livres pour une personne seule de plus de 25 ans.
Interrogée par la BBC mi-octobre, l’ancienne ministre du Travail et des Retraites, Ester McVey – dont la démission la semaine dernière, à cause de désaccords sur le Brexit, a fait grand bruit – a confirmé que des millions de foyers “pourraient perdre jusqu’à 2 000 livres par an”. Côté travailliste, on appelle à la suspension de la mise en place du crédit universel tandis que chez les conservateurs au pouvoir, de nombreuses voix s’élèvent pour mettre en garde contre les conséquences électorales de la réforme.
Sasha Mitchell
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez chaque lundi par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais, dans la semaine écoulée.