Le crépuscule du macronisme
Le mélange de libéralisme en économie et d’autoritarisme en politique qui avait assuré la victoire du macronisme le conduit aujourd’hui vers un échec. Car quel que soit le dénouement de la crise, Emmanuel Macron ne pourra pas achever son quinquennat comme il l’a commencé, dans une boulimie de réformes conduites au pas de charge et en piétinant la démocratie sociale.
Sans doute Emmanuel Macron aurait-il été bien avisé de réfléchir à l’adage populaire selon lequel on est souvent puni par où l’on a péché. Car s’il faut résumer l’histoire de sa formidable et récente ascension sur l’arène politique, puis la tout aussi brutale crise de régime qu’il traverse aujourd’hui et qui marquera, quoi qu’il arrive, irrémédiablement son quinquennat, on est enclin à faire un constat voisin : les ressorts de sa victoire totalement inattendue à la dernière élection présidentielle sont aussi ceux qui permettent de comprendre, à peine dix-huit mois plus tard, l’échec retentissant qui est maintenant le sien – échec retentissant que symbolise le moratoire sur la hausse des taxes sur les carburants, ou des tarifs de l’électricité et du gaz, dont ne voulait surtout pas entendre parler Emmanuel Macron jusqu’à ces derniers jours et qu’il est obligé de concéder aujourd’hui. À croire que même en politique, il y a des lois quasi physiques auxquelles nul ne peut échapper.
Que l’on se souvienne en effet de l’image dont Emmanuel Macron a profité auprès des milieux d’affaires et qui lui a permis de devenir leur champion. Ces milieux d’argent se sont progressivement convaincus qu’il serait libéral en économie, comme l’avaient été avant lui aussi bien Nicolas Sarkozy que François Hollande ; mais qu’à la différence de ces deux prédécesseurs, et plus encore de Jacques Chirac, il n’avancerait pas à pas comptés. Non, si Emmanuel Macron est parvenu assez tôt à devenir le candidat de l’oligarchie, comme nous l’écrivions dès juillet 2016, presque un an avant l’échéance présidentielle, c’est parce que ces milieux d’affaires, comme la haute fonction publique de Bercy qui lui est acquise, ont très vite compris qu’Emmanuel Macron avancerait à marche forcée ; qu’il conduirait un maximum de réformes ultrasensibles dans un minimum de temps. Qu’il n’aurait pas les prudences qu’avaient eues en certaines circonstances ses prédécesseurs.
C’est ce que fut l’étrange alchimie de la victoire du macronisme : la promesse de politiques ultralibérales conduites dans le cadre d’un régime autoritaire, ne perdant pas le moindre temps à respecter une démocratie sociale réputée en crise.
Sans doute cette alchimie a-t-elle surpris les soutiens les plus candides d’Emmanuel Macron. Car certains ont pu penser que le libéral Emmanuel Macron, jeune et dynamique patron d’une « start-up nation », le serait évidemment en économie, mais tout autant en politique. Ils ont pu penser qu’il aurait la volonté de bousculer ou au moins de dépoussiérer les institutions de la Ve République pour sortir des relations politiques verticales et inventer des relations plus horizontales – en un mot, plus collectives. Ils ont pu espérer qu’il sortirait de l’exercice solitaire du pouvoir pour mettre plus de collectif dans la vie publique. Ils ont pu croire qu’il allait bousculer les syndicats, tout en les respectant et en cherchant à refonder la démocratie sociale. Ils ont pu imaginer qu’il aurait de la considération pour les contre-pouvoirs, à commencer par le Parlement, et pour les autorités indépendantes.
Bref, certains des partisans d’Emmanuel Macron ont pu croire, de bonne foi, qu’il pourrait rompre avec le présidentialisme et, dans une conception libérale au sens anglo-saxon, refonder l’exercice du pouvoir en France, de sorte qu’il soit plus conforme à ce qu’est une véritable démocratie. D’autant qu’Emmanuel Macron a été élu président de la République par défaut. Au premier tour du scrutin, le 23 avril 2017, il arrive en tête avec 24,01 % des suffrages exprimés mais, avec une forte abstention, il ne recueille en réalité que 18,19 % des inscrits. Au second tour, il profite non pas d’un vote d’adhésion, mais d’un vote de rejet de sa rivale d’extrême droite, Marine Le Pen.
En 2002, dans des circonstances équivalentes, Jacques Chirac avait trouvé la formule qui convenait – même s’il n’en avait rien fait : « Ce vote m’oblige ! », avait-il déclaré au pays. D’Emmanuel Macron, ses partisans ont pu espérer des mots courageux similaires. Et de la parole aux actes, ils auraient pu croire qu’il chercherait d’abord à redonner vie à une démocratie à bout de souffle et à rassembler un pays divisé.
Pourtant, sitôt élu, le chef de l’État fait l’exact contraire : même s’il n’a obtenu le soutien que d’une minorité de Français, il ne songe pas un instant à rassembler le pays ni à parler à ceux des citoyens qui avaient voté pour lui uniquement pour écarter le danger d’extrême droite. Usant des pouvoirs exorbitants – sans équivalent dans aucune grande démocratie au monde – que lui offrent les institutions, il se transmute sur-le-champ en une sorte d’Emmanuel le Petit autoritaire. Son comportement ne doit rien au hasard : il ne fait que mettre en pratique la conception des pouvoirs de l’oligarchie française, qui n’a jamais été libérale au sens politique du terme mais qui s’est, au contraire, toujours accommodée des institutions néomonarchiques de la Ve République, voulant réformer la France tambour battant, ce qui serait difficile dans un régime démocratique, c’est-à-dire soucieux de l’avis des citoyens ou des délibérations des élus de la nation.
Un moment, pendant la campagne présidentielle, le candidat de La République en marche avait certes suggéré qu’il tiendrait les deux bouts de la corde. C’est son fameux « en même temps ». Mais très vite, le « en même temps » est oublié et la politique conduite est 100 % néolibérale, pas le moins du monde sociale-libérale et encore moins sociale.
En somme, le macronisme apparaît très tôt comme une variété hybride du bonapartisme : c’est l’autoritarisme d’un régime quasi monarchique, mais sans la moindre coloration sociale. Comment pourrait-il en être autrement ? Par définition, le social-libéralisme repose sur un troc : les salariés acceptent davantage de flexibilité en contrepartie de nouvelles sécurités. Il exige donc un pacte social, conclu par des partenaires sociaux à qui sont reconnus des pouvoirs de négociation. Or avec Emmanuel Macron, rien de tel : des concertations sont imaginables à l’extrême rigueur – et encore… le moins souvent possible –, mais surtout pas des négociations. Dès lors, le quinquennat d’Emmanuel Macron promet une folle farandole de mesures antisociales – démantèlement par ordonnances de pans entiers du code du travail et du droit du licenciement, refus de tout coup de pouce en faveur du salaire minimum, gel confirmé des rémunérations publiques, renforcement du contrôle des chômeurs, réforme de la retraite avec l’introduction d’un système par points, suppression des effectifs publics, hausse de la CSG pour les retraités, y compris les plus modestes…
Ce régime est le plus régressif que l’on ait connu depuis les débuts de la Ve République, et le plus désinhibé : il conduit sa politique de déconstruction du modèle social français de la manière la plus violente. Presque avec ostentation. Cette caractéristique renvoie à un trait qui est sans doute celui d’Emmanuel Macron, mais qui plus largement a contaminé la haute fonction publique du ministère des finances : l’adoration, quasi fétichiste, pour les chiffres – les 3 % de déficit public, les 60 % d’endettement public… – qui ne sont, après tout, que des conventions ; et la détestation de la question sociale, sinon le mépris de classe… De ce trait un tantinet méprisant, on trouve d’innombrables indices. D’abord, les sorties d’Emmanuel Macron – tantôt des gaffes, tantôt du mépris assumé – qui donnent à comprendre ce qu’il pense des plus modestes : de ces ouvrières de chez Gad qui sont « pour beaucoup des illettrées » ; de ces ouvriers de Lunel, dans l’Hérault, qui n’ont pas compris que « la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler » ; de ces « gens qui ne sont rien », que l’on croise dans les gares, à côté des « gens qui réussissent » ; de ces « fainéants » auxquels il ne veut rien céder, pas plus qu’aux « cyniques » ou aux « extrêmes » ; ou encore de ceux qui préfèrent « aller foutre le bordel » plutôt que « d’aller regarder s’ils ne peuvent pas avoir des postes ». Autant de formules qui, d’un bout à l’autre du pays, à tous les ronds-points occupés par des « gilets jaunes », n’ont évidemment pas été oubliées…
Le dédain ou l’arrogance d’Emmanuel Macron
Il faut bien connaître l’état d’esprit de la haute fonction publique de Bercy pour comprendre les raisons profondes du comportement quasi monarchique, autoritaire d’Emmanuel Macron. Car au fil des années, un sentiment d’exaspération n’a cessé de croître au sein de cette caste, dont Emmanuel Macron est devenu le champion. Parce que si la droite comme la gauche socialiste ont conduit depuis vingt ans des politiques de plus en plus franchement libérales, elles l’ont fait à leur rythme, pas toujours accéléré ; parce qu’aux yeux de cette oligarchie il faudrait presser la cadence, accélérer les réformes dites structurelles.
Dire que la caste se défie de la démocratie, ou s’en écarte, serait assurément excessif. Mais pour de nombreux hauts fonctionnaires, c’est à coup sûr une perte de temps, malheureusement. Une perte de temps, parce que les politiques font des promesses inconsidérées à chaque échéance électorale ; parce que les partenaires sociaux veulent être consultés et retardent d’autant la mise en œuvre de ces réformes. L’exaspération est d’autant plus forte qu’un dédain oligarchique s’est répandu : sans l’exprimer de manière aussi brutale, beaucoup des membres de la caste ont la conviction qu’eux savent ce qui est bon pour le peuple, même si le peuple, lui, ne le sait pas.
Dans cette nouvelle génération de hauts fonctionnaires qui constitue désormais la garde rapprochée d’Emmanuel Macron, il y a une forme de dédain pour le petit peuple qui ne comprend pas que le train de vie de la France est trop élevé, que la dépense publique et surtout la dépense sociale doivent impérativement être contenues…
Quiconque a approché ces hauts fonctionnaires de Bercy sait de quoi je parle. Dans le cas de la réforme des retraites, le discours dominant est en boucle : pourquoi les politiques avancent-ils si lentement ? Alors que depuis le début des années 1990, et notamment depuis le célèbre « Livre blanc » de Michel Rocard, le diagnostic est posé, pourquoi les gouvernements n’ont-ils procédé que par touches successives, un premier pas étant fait par Édouard Balladur, un autre par Alain Juppé, un autre par Jean-Pierre Raffarin ? Pourquoi faudrait-il conduire une nouvelle négociation alors que l’on sait très précisément ce qu’il faut faire ?
Bercy, à l’instar des marchés financiers, privilégie le court terme. Par-dessus tout, il déteste le débat public. Puisqu’il n’y a qu’une seule politique possible, il n’y a pas de place pour la contradiction ou pour l’interpellation. Et encore moins pour la négociation. Sans même parler de paritarisme. C’est peu dire qu’il existe dans ces sphères élevées une forme d’exaspération radicale et de mépris à l’égard des politiques.
En cela, le quinquennat qui commence au printemps 2017 a donc des allures de revanche. D’un seul coup, le clan des hauts fonctionnaires qui appuient Emmanuel Macron voit avec ivresse l’un des siens accéder à la fonction suprême et en capacité d’appliquer ce qu’il préconise depuis des années. Emmanuel Macron est devenu populaire dans ces milieux oligarchiques. Il a exprimé leur conviction qu’il fallait désormais conduire une politique de rupture. Poursuivre la politique néolibérale des gouvernements antérieurs, mais au pas de course. Sans se demander si le pays va suivre, sinon se rebeller. Rattraper le temps perdu, en somme. Poursuivre en même temps toutes les réformes libérales trop longtemps différées.
C’est pour cette raison qu’Emmanuel Macron et la caste dont il est le porte-étendard ne sont pas partisans du libéralisme politique. Pour ces cercles dirigeants, les institutions du « coup d’État permanent » sont les plus adaptées pour conduire les réformes : réforme du code du travail en même temps que réforme de la formation professionnelle, remise en cause des obligations de service public de la SNCF et nouvelle réforme des retraites.
Car c’est ce qu’il y a de plus spectaculaire dans l’action conduite par Emmanuel Macron : il n’y a pas de temps pour de véritables concertations – ou alors juste un simulacre, comme pour les ordonnances –, pas de temps pour que le Parlement délibère souverainement. Avec au bout du compte ce paradoxe, qui est la marque du quinquennat Macron : à la boulimie libérale répond l’anorexie démocratique (lire ici). De ce point de vue, le recours à la procédure très antidémocratique des ordonnances (lire notre parti pris écrit à l’époque) pour démanteler une bonne partie du droit du travail aura constitué un point culminant dans la marche échevelée entreprise par ce nouveau pouvoir.
Encore faut-il dire que l’expression d’anorexie démocratique ne donne qu’une faible idée de l’autoritarisme d’Emmanuel Macron, qui le conduit au recours constant à la violence policière depuis le début de son quinquennat. Un jour, ce sont les migrants qui sont les victimes de cette violence, le lendemain les étudiants, le surlendemain les zadistes. Et maintenant, ce sont les gilets jaunes qui en font les frais.
Comment a réagi le pays ? Avec le recul, on comprend mieux désormais ce qui s’est passé dans les profondeurs de l’opinion. Pendant tout un temps, sans doute pendant presque un an, il y a eu comme un effet de sidération. Assommé par l’irruption de ce nouveau pouvoir, tétanisé par la cascade de réformes qui a ensuite commencé, le pays n’a trop rien dit. Pendant le mouvement social contre la loi sur le travail, la division syndicale – et notamment la spectaculaire division orchestrée par la direction de Force ouvrière – a aussi contribué à ce que la colère sociale ne débouche pas. Puis il y a eu cet étrange et interminable conflit à la SNCF, où une partie de la population était de cœur avec les cheminots, mais a bien compris que la grève perlée risquait de ne pas déboucher sur grand-chose.
Finalement, il y a eu comme un phénomène d’accumulations. Réforme après réforme, la colère sociale a pris forme, s’est sédimentée. Après la colère des cheminots, il y a eu celle, beaucoup plus diffuse mais terriblement forte, des retraités auxquels le gouvernement veut ponctionner l’équivalent d’un quart à un demi-mois de pension sous la forme du relèvement de la CSG et de la brutale désindexation des retraites. Et puis, parmi d’innombrables autres mesures, il y a eu la poursuite de la hausse de la taxe sur les produits pétroliers. Et allez savoir pourquoi, c’est cela qui a constitué l’étincelle – « c’est le contingent qui réalise le nécessaire », aurait-on dit dans la phraséologie marxiste qui avait cours en d’autres temps.
Et c’est pour cela que ce conflit des gilets jaunes est sans doute comme un point de bascule irrémédiable dans cette brève histoire du macronisme. Car d’un seul coup, toute la politique antisociale de ce gouvernement est vouée aux gémonies, alors que le pays semblait amorphe ou chloroformé ; c’est le dédain ou l’arrogance d’Emmanuel Macron qui sont pointés dans toutes les manifestations, accompagnant désormais le chef de l’État, où qu’il aille, sous la forme de huées. « Macron démission ! » : même les lycéens commencent à entonner le slogan… c’est dire si l’impopularité du chef de l’État est désormais enracinée dans tout le pays.
La boulimie de réformes mariée à l’anorexie démocratique a donc fini par se retourner contre son promoteur : ce qui était le moteur du succès d’Emmanuel Macron est en passe de sceller l’échec de son quinquennat, alors qu’il est bien loin d’être achevé. Car quelle que soit l’issue de cette crise, en imaginant même que le chef de l’État puisse éviter une dissolution et que la crise politique ne se transforme pas en crise de régime, en supposant même qu’il parvienne à reprendre la main, peut-il espérer que le gouvernement reparte plus tard du même pied ? Imagine-t-on que le pouvoir va être en mesure de casser le paritarisme du régime d’assurance-chômage et de mettre à la diète les futurs chômeurs ? Et puis après, qu’il promouvra sa réforme de la retraite, qui va conduire à remettre en cause les droits des futurs retraités, sous la forme d’une remise en cause de l’âge du départ à la retraite ou d’une baisse des pensions ? Et puis après encore, qu’il livrera Aéroports de Paris ou la Française des jeux à quelques-uns de ses amis dans les milieux d’argent ? Et après, qu’il mettra en application toutes les mesures envisagées qui devraient venir ponctionner dans les prochains mois le pouvoir d’achat d’une grande majorité de Français (lire ici) ?
On peine à imaginer que la folle farandole des réformes reprenne et surtout que la vie politique française retrouve dans un proche avenir un cours plus apaisé. Sans le moindre doute, le moratoire de six mois sur la hausse des taxes sur les carburants ainsi que sur les hausses des tarifs de l’électricité et du gaz va être interprété par le pays pour ce qu’il est : la preuve de l’extrême faiblesse d’un régime, avec à sa tête un président qui a perdu son autorité, sinon même sa légitimité. Par surcroît, dans le cas des taxes sur le carburant, il ne s’agit que d’un moratoire de six mois et pas d’une annulation, ce qui a bien peu de chances d’apaiser la colère sociale.
Comme il n’y a rien en faveur du Smic, rien en faveur des retraités, rien non plus en faveur d’un nouvel impôt sur la fortune ; comme, en fin des compte, les concessions sont très minimes et aléatoires, le mouvement social semble devoir durer. Ce qui risque de conduire, tôt ou tard, Emmanuel Macron à devoir faire de nouvelles concessions. Après les réformes à marche forcée, voici venu le temps piteux des reculades à répétition.
Sous le masque étroit d’un président qui, dans son orgueil démesuré, se croyait jupitérien, devra-t-on bientôt chercher à déceler les traits d’un président impuissant, devant « se contenter d’inaugurer les chrysanthèmes », selon la formule célèbre du général de Gaulle ? Il est trop tôt pour savoir comment l’Histoire se vengera. C’est en tout cas l’un des tours de force du chef de l’État : Emmanuel Macron a sans doute irrémédiablement enterré le macronisme !
Laurent Mauduit
• 5 NOVEMBRE 2018 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/051218/le-crepuscule-du-macronisme?onglet=full
L’orgie libérale, l’anorexie démocratique
Jamais dans le pays autant de réformes néolibérales n’ont été menées de front et à un rythme aussi effréné. Jamais non plus le souci de concertation n’a été aussi faible. Et la raison, la voici : en la personne d’Emmanuel Macron, c’est l’oligarchie de Bercy qui a pris le pouvoir, et celle-ci s’accommode fort bien des institutions autoritaires de la Ve République.
Les adversaires d’Emmanuel Macron comme ses partisans peuvent sans doute s’accorder au moins sur un constat : dans la conduite de la politique économique et sociale, ce quinquennat marque une rupture, sinon dans le cap suivi – depuis trois décennies, il n’a guère changé –, du moins dans la cadence effrénée des réformes mises en œuvre. Et cette orgie libérale à laquelle on assiste, cette folle farandole de réformes dans laquelle le chef de l’État veut entraîner le pays, en dit long sur Emmanuel Macron lui-même, sur les forces sociales dont il est le porte-drapeau et aussi sur la conception oligarchique, et pour tout dire assez peu démocratique, qu’il a de la vie publique.
Une orgie libérale !… De fait, on ne trouve guère d’autres mots pour qualifier l’invraisemblable frénésie de réformes qui a saisi le gouvernement, sur instructions d’Emmanuel Macron. Une orgie sans précédent ! Si la gauche et la droite ont au fil des ans conduit des politiques économiques de plus en plus similaires, au point de se confondre, si le néolibéralisme est devenu progressivement le cap des deux camps, il reste que durant ces dernières années, on a souvent vu des gouvernements, de tous les bords, avancer à pas comptés. Pas seulement parce qu’ils avaient peur de la rue, mais aussi, parfois, parce qu’ils voulaient consulter le pays…
Que l’on se souvienne du gouvernement d’Alain Juppé. Il a suffi qu’il engage à l’hiver 1995 trois réformes en même temps – celle de la SNCF, celle des régimes spéciaux de retraite et celle de l’assurance maladie –, pour qu’aussitôt on lui fasse grief d’être « droit dans ses bottes », comme il l’avait lui-même dit, et de vouloir faire violence au pays, sans prendre le temps de l’écouter. C’est l’image, depuis, que traîne derrière lui l’ancien premier ministre : pour avoir commis ces fautes, il a déclenché l’un des plus graves conflits sociaux qui ait paralysé la France depuis la grève générale de 1968. Que devrait-on donc dire, par comparaison, aujourd’hui d’Emmanuel Macron, qui n’engage pas trois réformes en même temps, mais dix, quinze, sinon plus (nous essaierons bientôt d’en faire le décompte) ?
Que l’on se souvienne aussi de la méthode de Nicolas Sarkozy, quand il accède en 2007 à l’Élysée. Au début, c’est sous le signe de la « rupture » qu’il veut inscrire son action, pour se distinguer de Jacques Chirac, réputé versatile ou indécis, pour tout dire beaucoup plus radical-socialiste que gaulliste. Et pour donner corps à cette « rupture », Nicolas Sarkozy installe Jacques Attali à la tête d’une commission « pour la libération de la croissance française » – dont Emmanuel Macron est le rapporteur. Laquelle commission, dès janvier 2008, lui fait 316 propositions, toutes plus libérales les unes que les autres, pour soumettre la France à une purge de déréglementation. Mais avant même que ce rapport ne voie le jour, la grande crise financière a commencé à faire sentir ses effets. Et Nicolas Sarkozy fait le choix de jeter à la poubelle le brûlot de Jacques Attali et d’Emmanuel Macron, dont la thérapie de choc n’est plus adaptée, selon lui, à l’époque de tourmente dans laquelle la planète est aspirée.
Que l’on se souvienne enfin du quinquennat de François Hollande. Reniant sans la moindre gêne tous ses engagements de campagne, conduisant la politique néolibérale voulue par les milieux d’affaires, le chef de l’État pousse son camp vers le naufrage que l’on sait. Mais en de brefs instants, comme s’il avait d’ultimes remords à conduire une politique encore plus réactionnaire que celle de Nicolas Sarkozy, il s’applique à faire des efforts de communication, pour habiller sa politique avec des mots qui ne sont pas ceux de la droite.
Ainsi cherche-t-il à faire croire que l’Accord national interprofessionnel (ANI) conclu sous sa pression le 11 janvier 2013 entre le patronat et quelques partenaires sociaux est un accord de flexisécurité, échangeant une flexibilité accrue pour les employeurs contre de nouveaux acquis octroyés aux salariés. Cela n’est certes qu’un marché de dupes : à la manière de la recette du pâté d’alouette, les mesures massives de flexibilité sont en fait contrebalancées par des mesurettes insignifiantes.
Et puis cet effort d’habillage ne dure pas longtemps : dès les mois suivants, il est de plus en plus clair que François Hollande conduit non pas une politique sociale-libérale mais une véritable politique néolibérale, offrant d’immenses cadeaux aux milieux d’affaires et aux plus fortunés, et demandant sans cesse de nouveaux sacrifices au monde du travail.
Or, par contraste, on se rend bien compte qu’Emmanuel Macron n’a pas les prudences de ses prédécesseurs. Il va dans le même sens qu’eux, mais il veut aller beaucoup plus loin et beaucoup plus vite. Il veut tout faire, tout de suite, au pas de charge. Emmanuel Macron est un homme pressé ; et cela se voit dans chacune de ses actions.
Que l’on observe, en effet, les réformes engagées depuis mai dernier, ou celles qui sont annoncées pour les mois prochains. Elles sont si nombreuses, et toutes politiquement si sensibles, qu’elles en donnent le tournis. C’est, en somme, un quinquennat désinhibé qui commence : il faut frapper dur ; il faut frapper fort ; il faut frapper à coups redoublés, sans jamais se préoccuper des chocs en retour que cela pourrait susciter. Rien à voir non plus avec un Michel Rocard, qui recommandait dans le cas du système des retraites d’établir un « diagnostic partagé » préalablement à toute réforme, faut de quoi cette réforme pourrait faire exploser plusieurs gouvernements : Emmanuel Macron n’est vraiment pas homme à tergiverser de la sorte…
Depuis l’alternance, cela a donc été une avalanche ininterrompue de réformes. Il y a d’abord eu la mère de toutes les batailles pour Emmanuel Macron, et pour le patronat : la démolition de pans entiers du code du travail, par le biais autoritaire – et pour tout dire, très peu démocratique – des ordonnances. Il y a eu aussi le budget, prévoyant une austérité à perte de vue. Il y a eu le quasi-démantèlement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), au profit des plus grandes fortunes. Au profit des mêmes ultra-riches, il y a encore le démantèlement de la fiscalité du capital, avec l’instauration d’une scandaleuse « flat tax ».
Et ce n’est pas tout ! Pour les fonctionnaires, c’est un déluge d’inquiétantes mesures qui a été annoncé, avec la restauration d’un jour de carence, le gel des salaires, une possible disjonction des trois fonctions publiques et une simple compensation de la hausse de la CSG, mais sans qu’elle soit assortie d’une hausse des salaires, comme le candidat Macron l’avait pourtant promis pendant la campagne présidentielle.
Pour les plus modestes ou les étudiants, même régime austéritaire. Malgré le tollé que cela a suscité, Emmanuel Macron est déterminé à mettre en œuvre la baisse drastique des Aides personnalisées au logement (APL) qu’il a annoncée.
Et puis, il y a encore la hausse de la CSG, qui va amputer le pouvoir d’achat des retraités, y compris certaines tranches de revenus parmi les plus modestes.
Et à tout cela il faut encore ajouter d’autres réformes. Celle de la SNCF, qu’Emmanuel Macron a lui-même annoncée. Il faut aussi prendre en compte les privatisations qui vont venir, dont certaines, comme celle de la Française des jeux, risquent d’être particulièrement sulfureuses.
Une seule doxa, dans la forteresse de Bercy, celle du néolibéralisme
Continuons encore ! Il y a eu, aussi, l’installation d’une commission pour réfléchir à la dérégulation du Smic, sous la houlette du réactionnaire Gilbert Cette, économiste à la Banque de France, qui est en croisade depuis de longues années contre les droits des salariés. Et, dans la foulée, le gouvernement a aussi annoncé qu’il entendait bloquer pendant deux ans sous le taux d’inflation le taux de rémunération du livret A, à un niveau qui est sans précédent depuis… 1816 ! En clair, même les chiffons rouges du débat public que sont depuis si longtemps l’ISF, le Smic ou le livret A, Emmanuel Macron les agite avec brutalité, alors que ces prédécesseurs n’osaient guère le faire, ou alors avec d’infinies précautions…
Et puis encore, il y a d’autres bombes sociales qu’Emmanuel Macron veut aussi amorcer. La réforme de l’assurance-chômage, par exemple, qui est maintenant dans les tuyaux et qui risque d’être particulièrement explosive, sans parler du fait qu’elle va mettre à bas le dernier régime paritaire du modèle social français. Il y a également dans les tuyaux une nouvelle réforme des retraites, tout aussi inquiétante.
Mais arrêtons là cet inventaire désespérant. Et réfléchissons un instant à ce que cette cadence infernale dit du promoteur de ces réformes.
D’abord, toutes ces réformes, si l’on peut s’autoriser cette expression, sentent Bercy à plein nez. Aucune originalité dans tout cela ! Au fil des ans, les hauts fonctionnaires du ministère des finances, emmenés par ceux de l’Inspection des finances et de la direction du Trésor, ont cessé d’être classés pour les uns à gauche, pour les autres à droite. Cette classification fut vraie durant de longues décennies. Jusqu’à la fin des années 1970, la direction de la prévision, pour ne citer qu’elle, abritait des figures connues des deux camps, et il était fréquent que cette direction envoie aux ministres successifs des notes contradictoires, de sorte que ledit ministre exerce son pouvoir d’arbitrage en ayant pris connaissance d’expertises diverses et même opposées.
Mais la vague libérale des années 1980 a radicalement bouleversé ces usages démocratiques. Et progressivement, l’Inspection des finances et la direction du Trésor, travaillant toutes les deux en connivence constante avec les milieux de la banque et de la finance, sont devenues des hauts lieux de la pensée unique néolibérale. Au fil des ans, des rapports néolibéraux, proposant un jour de dynamiter le code du travail, le lendemain de remettre en cause le régime paritaire de l’assurance-chômage, le surlendemain d’accélérer les privatisations pour en finir avec les derniers services publics, le sur-surlendemain de remettre radicalement en cause les fragiles protections des dernières professions réglementées – salauds de chauffeurs de taxi ! –, n’ont cessé de s’entasser dans les coffres de Bercy. Le rapport Attali de janvier 2008, dont Emmanuel Macron a été le rapporteur, n’est que le dernier avatar d’une longue série. Car l’Inspection des finances et la direction du Trésor ne savent plus faire que cela : dénoncer avec acharnement tous les rouages de ce qui a longtemps constitué le modèle social français.
Du rapport de Denis Olivennes pour la Fondation Saint-Simon à celui d’Alain Minc pour le Plan (en réalité pour préparer le programme présidentiel d’Édouard Balladur en 1994), jusqu’aux divers rapports produits par Michel Camdessus dans les années 2000 et pour finir au rapport Attali-Macron, on découvre sur près de trois décennies cette constante obsession.
Le Smic aussi fait partie de ces tabous que beaucoup de hauts fonctionnaires de Bercy aimeraient renverser. Tout comme le livret A : la direction du Trésor mène depuis des lustres une guerre à ce sujet contre la Caisse des dépôts, qui collecte les fonds rassemblés sur les livrets A, au profit, notamment, du financement du logement social, et rêve d’une partition de la CDC pour que le fonds d’épargne lui soit rattaché – ce qui pourrait être le projet secret d’Emmanuel Macron.
Et c’est donc cette même obsession néolibérale qui transparaît dans la cascade de réformes voulues par le chef de l’État : on sent bien que celui-ci, sans réelle originalité, s’est borné à puiser dans ces innombrables rapports qui dorment depuis longtemps dans les coffres de Bercy. Et le fait qu’il procède ainsi est évidemment normal, puisqu’il est lui-même l’un des représentants les plus éminents de cette génération de hauts fonctionnaires et a pris son envol à l’Inspection des finances, avant de devenir banquier d’affaires. Le parcours parfait, celui dont rêvent nombre d’entre eux, et qui a fait d’Emmanuel Macron le meilleur des candidats de l’oligarchie (lire Emmanuel Macron, le candidat de l’oligarchie).
Il faut bien mesurer le séisme qui a ébranlé ces élites de Bercy. En d’autres temps, il arrivait fréquemment que des dirigeants politiques de gauche et de droite louent la très grande compétence mais aussi le sens de l’État de ces très hauts fonctionnaires qui un jour savaient conduire des nationalisations, puis le lendemain, en cas d’alternance, savaient mettre en œuvre les privatisations. Mais ce temps-là est depuis longtemps révolu. S’il reste quelques très rares exceptions – qui se désespèrent de ces évolutions –, la plupart des hauts fonctionnaires de Bercy répètent désormais comme des perroquets ce que les marchés financiers veulent entendre. Dans la forteresse, il n’y a qu’une seule doxa, celle du néolibéralisme.
Et par effet de contagion, cet aveuglement néolibéral s’est propagé à de nombreuses autres institutions de la République. Depuis une dizaine d’années, il suffit d’ouvrir – c’était moins vrai avant – un rapport de la Cour des comptes pour y découvrir que les magistrats financiers ne se bornent plus à contrôler le bon usage des fonds publics et à dénoncer les gaspillages ou les détournements qu’ils découvrent. Non ! Les rapports sont aussi truffés de commentaires ou de recommandations dont l’inspiration néolibérale est si marquée qu’avec le recul, une personnalité très marquée à droite comme Alain Madelin, disciple de Hayek et de Friedman, pourrait apparaître aujourd’hui comme un centriste mollasson.
De ces évolutions, Emmanuel Macron est donc le révélateur. Il est le prototype des hauts fonctionnaires de Bercy de sa génération, qui vivent en consanguinité avec le monde de la finance et qui baignent depuis si longtemps dans cette doxa libérale, dont Bercy est devenu l’un des temples. Ici est la source d’inspiration, sans nuances, de ses réformes.
Mais dans la précipitation d’Emmanuel Macron à conduire toutes ces réformes en même temps, il y a aussi autre chose qui transparaît, et qui mérite encore plus notre attention. C’est qu’il règne au sein de la citadelle de Bercy une forme d’arrogance ou d’esprit de corps qui souvent agace – ou parfois révolte même – les hauts fonctionnaires des autres ministères. Car dans cette nouvelle génération de hauts fonctionnaires, beaucoup sont intimement persuadés qu’ils savent ce qui est bon pour le pays, même si celui-ci ne le sait pas. Il y a une forme de dédain oligarchique pour le petit peuple qui ne comprend pas que le train de vie de la France est trop élevé, que la dépense publique et surtout la dépense sociale doivent impérativement être contenues… En somme, il y a un sentiment très répandu, même s’il n’est pas toujours assumé publiquement, dans ces hautes sphères de la fonction publique, que la démocratie est sans doute nécessaire, mais que c’est tout de même une formidable perte de temps.
La formidable mise en garde de Marc Bloch
Quiconque a approché ces hauts fonctionnaires de Bercy sait de quoi nous parlons. Dans le cas de la réforme des retraites, par exemple, le discours dominant est toujours le même depuis longtemps : mais pourquoi donc les politiques avancent-ils si lentement ? Alors que depuis le début des années 1990, et notamment depuis le célèbre « Livre blanc » de Rocard, on sait pertinemment le but qu’il conviendrait d’atteindre, pourquoi la droite comme la gauche n’ont-elles procédé que par petites retouches successives, un premier pas étant fait par Édouard Balladur, un autre par Alain Juppé, encore un autre par Jean-Pierre Raffarin ?
Ainsi est le discours dominant de Bercy : comme les marchés financiers, il privilégie le court terme. Et par-dessus tout, il déteste le débat public, la contradiction. Puisqu’il n’y a qu’une seule politique possible, il n’y a pas de place à la contradiction ou à l’interpellation. Tel est devenu Bercy, un temple du sectarisme, qui veut faire passer l’économie pour une science exacte, alors que ce n’est qu’une branche des sciences sociales et que sa richesse dépend d’abord du pluralisme de ses approches.
C’est donc peu dire qu’il existe dans les sphères élevées de la haute fonction publique – cette haute fonction publique qui, par des « pantouflages » plus nombreux et précoces, constitue de plus en plus l’encadrement de la banque et de la finance françaises – une forme d’exaspération radicale. Et de mépris à l’égard des politiques.
Et ce sont cette exaspération et ce mépris à l’égard des politiques qui sont la première clef d’explication du comportement d’Emmanuel Macron. C’est lui qui symbolise le mieux cette catégorie de hauts fonctionnaires qui, durant des longues années, ont accepté de conseiller les politiques, de gauche et de droite, d’influencer leurs choix – toujours dans le même sens – et qui se sont progressivement désespérés de voir que la gauche comme la droite les écoutaient mais avançaient trop lentement. Ce sont eux qui ont très lourdement contribué à l’uniformisation progressive des politiques économiques conduites par la gauche et par la droite, à l’origine d’une crise démocratique historique, qui a eu pour effet de porter au sommet de l’État l’un des membres de cette oligarchie de Bercy (lire Derrière la recomposition politique, l’uniformisation économique).
C’est en cela que le quinquennat qui commence a des allures de revanche. Ou de libération. D’un seul coup, le clan de ces hauts fonctionnaires voit avec ivresse l’un des siens accéder à la fonction suprême et en capacité d’appliquer tout ce qu’il préconise depuis si longtemps : cela confine à l’extase. D’où cette boulimie de réformes… On croirait assister à la révolte des fermiers généraux qui ont trop longtemps conseillé le roi et qui, voyant son incurie, ont choisi de le détrôner pour pousser l’un des leurs à sa place.
D’où aussi cette envie d’aller vite, le plus vite possible. Comme pour rattraper le temps perdu. Car c’est ce qu’il y a de plus spectaculaire dans l’action conduite par Emmanuel Macron : il n’y a pas de temps pour de véritables concertations – ou alors juste un simulacre, comme pour les ordonnances –, pas de temps pour que le Parlement délibère souverainement. C’est souvent ce qui transpire du comportement condescendant de cette haute fonction publique ; et c’est aussi la marque de ce quinquennat qui commence : la démocratie, c’est un petit peu une perte de temps…
C’est d’ailleurs cette conception du pouvoir qui a constitué la principale surprise de ces premiers mois du quinquennat. On aurait en effet pu penser que libéral en économie, Emmanuel Macron le serait tout autant en politique. En somme, on aurait pu espérer qu’il sorte la France du présidentialisme qui anémie depuis si longtemps notre démocratie, qu’il redonne du lustre à tous les contre-pouvoirs, à commencer par le Parlement, qu’il ait des comportements respectueux à l’égard de la presse et de sa fonction démocratique.
Et pourtant, il a fait tout le contraire, usant avec délectation des pouvoirs exorbitants qu’offre au chef de l’État notre Constitution bien peu démocratique. C’est la marque de ce nouveau pouvoir : l’oligarchie de Bercy a pris les commandes dans un pays qui lui-même baigne depuis trop longtemps dans une culture bien peu démocratique – qualifions-la au choix de présidentialiste ou de néo-monarchique. Ainsi Emmanuel Macron peut-il conduire toutes ces réformes à la fois et au pas de charge ! C’est très précisément ce que François Mitterrand appelait en d’autres temps « le coup d’État permanent ». Le résultat de cette stupéfiante rencontre entre l’oligarchie de Bercy et les institutions de la Ve République, nous l’avons donc depuis l’alternance sous les yeux : l’orgie libérale va de pair avec l’anorexie démocratique.
Tout cela était sans doute tristement prévisible. Car cette prise du pouvoir de la caste de Bercy est l’aboutissement d’une très longue histoire. Que ceux qui en doutent se replongent dans L’Étrange Défaite du grand républicain Marc Bloch (1886-1944). Tempêtant contre le gouvernement de Front populaire, et notamment contre son ministre de l’éducation nationale, Jean Zay (1904-1944), qui a la malencontreuse idée d’exhumer un très vieux projet, déjà caressé en 1848, celui de développer une filière unique de formation des hauts fonctionnaires en créant une École d’administration – projet qui finalement bute, à l’époque, sur l’hostilité du Sénat et n’aboutit qu’en 1945 –, il défend l’idée que la formation des élites de la République doit être impérativement confiée à l’université dans la diversité et le pluralisme de ses approches.
Contre la gauche, qui dès cette époque porte l’idée de créer cette fameuse École nationale d’administration (ENA), laquelle jouera ultérieurement, et singulièrement à partir des années 1980 et 1990, un rôle si détestable dans la propagation de la pensée unique néolibérale, l’historien explique en des termes remarquables les raisons de sa conviction : « Quelle que soit la nature du gouvernement, le pays souffre si les instruments du pouvoir sont hostiles à l’esprit même des institutions publiques. À une monarchie, il faut un personnel monarchiste. Une démocratie tombe en faiblesse, pour le plus grand mal des intérêts communs, si ses hauts fonctionnaires, formés à la mépriser et, par nécessité de fortune, issus des classes mêmes dont elle a prétendu abolir l’empire, ne la servent qu’à contrecœur. »
Impressionnant constat d’une si brûlante actualité : que l’on songe, en effet, à ce qu’est l’histoire économique française à partir du milieu des années 1990 presque jusqu’à aujourd’hui ! C’est en grande partie l’histoire d’une élite de hauts fonctionnaires formés par la République pour défendre l’intérêt général et qui, surfant sur les grandes vagues des privatisations, quittent les uns après les autres le service de l’État pour prendre les commandes des plus grandes entreprises privées ou privatisées, et faire fortune. Et pour certains des hauts fonctionnaires qui restent aux postes de commande des grandes directions – celle du ministère des finances par exemple –, la règle qui progressivement prévaut est celle décrite par Marc Bloch : le mépris de la chose publique. En clair, l’idéologie du privé, de l’intérêt particulier, s’est faufilée jusqu’au cœur de l’État. « Pour le plus grand mal des intérêts communs »…
C’est cette sombre histoire qui vient de connaître un formidable rebondissement avec l’élection d’Emmanuel Macron : par un concours de circonstances exceptionnel, la France a porté à sa tête un oligarque de Bercy. Disons-le plus précisément : un chef d’État privé…
Laurent Mauduit
• 3 OCTOBRE 2017 :
https://www.mediapart.fr/journal/economie/031017/l-orgie-liberale-l-anorexie-democratique?onglet=full
Emmanuel Macron, le candidat de l’oligarchie
Emmanuel Macron a finalement décidé de lancer, mardi soir à la Mutualité, sa campagne pour la présidentielle mais sans quitter le gouvernement. Alors que l’oligarchie de Bercy a imprimé sa marque sur les politiques de gauche et de droite, au point qu’elles sont devenues identiques, elle franchit un pas de plus et propulse l’un des siens comme candidat.
Depuis qu’Emmanuel Macron a lancé son mouvement « En Marche ! », le 6 avril dernier, c’est la question qui taraude les hiérarques socialistes : Sa candidature à l’élection présidentielle a-t-elle été concertée secrètement avec François Hollande, pour offrir à ce dernier une petite réserve de voix, dans la perspective (de plus en plus hypothétique) de sa présence au second tour de l’élection présidentielle de 2017 ? Ou l’ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée, promu ministre de l’économie, s’est-il émancipé et ne roule-t-il maintenant que pour lui-même ? La vérité, c’est sans doute que l’irruption d’Emmanuel Macron dans l’arène présidentielle révèle quelque chose de beaucoup plus profond : alors que, durant des lustres, l’oligarchie de l’Inspection des finances a essayé de peser sur les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, pour qu’ils mettent en œuvre perpétuellement les mêmes politiques néolibérales, la voici qui décide de sortir des coulisses du pouvoir, pour pousser en avant l’un des siens.
Entre les deux hypothèses, que soupèsent les hiérarques socialistes, il n’y a, de fait, pas de raison de trancher. D’abord, Emmanuel Macron cache lui-même son jeu et entretient le flou sur ses intentions : alors qu’il avait initialement décidé de déclarer sa candidature et de quitter le gouvernement avant l’été, pour avoir les coudées franches et mener sa campagne, il y a finalement renoncé. Il va donc tenir son premier meeting de campagne, ce mardi 12 juillet, dans la salle parisienne de la Mutualité, mais sans avoir démissionné. Dans le naufrage que connaît le pouvoir socialiste, cela ne choque visiblement personne que l’on puisse être tout à la fois ministre et candidat, les deux sans doute à mi-temps.
Et puis, il y a des indices qui plaident pour l’une des hypothèses, comme des indices qui plaident pour l’autre. Selon de très bonnes sources, François Hollande a ainsi été mis très tôt dans la confidence d’une possible candidature d’Emmanuel Macron – à moins qu’il ne l’ait téléguidée lui-même. Et le chef de l’État a prodigué des recommandations à celui qui a longtemps été son conseiller, dans les coulisses du pouvoir. Il lui a en particulier suggéré de prendre attache avec le plus de centristes possible, à commencer par Jean-Louis Borloo qui, en sa qualité de président de la Fondation énergies pour l’Afrique, a ses quartiers à l’Élysée. À la fin du mois de mai, l’ancien président de l’UDI a donc rencontré le ministre de l’économie – sans en éprouver, d’après la rumeur, une joie débordante car il a toujours pensé que s’il a été évincé par Nicolas Sarkozy en juin 2007 du ministère des finances, c’est en grande partie sous la pression de l’Inspection des finances. Dans la foulée, sous la surveillance étroite de l’Élysée, le même Emmanuel Macron a aussi invité à dîner au restaurant « La Marée », à deux pas du palais du Luxembourg, quelques sénateurs centristes, flanqués du maire de Lyon, le très droitier sénateur (PS) Gérard Collomb.
Mais quand il navigue en d’autres cercles, Emmanuel Macron – qui est capable d’une très grande duplicité – affiche un mépris souverain à l’encontre de François Hollande, auquel il doit pourtant sa carrière, et jure ses grands dieux qu’il ne roule pas pour le chef de l’État. Lors d’un déplacement à Londres, le 14 avril dernier, on se souvient que le ministre de l’économie en avait profité pour déjeuner avec quelques patrons en vue de solliciter leur soutien financier. Et Le Point avait [1], à l’époque, donné le verbatim de certains échanges (lire Présidentielle : Macron prêt à déclarer sa candidature). L’un des invités avait ainsi demandé au ministre de l’économie de « lever l’ambiguïté sur [ses] ambitions », et s’il avait l’intention d’« aller au bout » en se présentant à une présidentielle, ponctuant son propos de cet avertissement : « On veut bien vous financer, mais c’est pas pour aller faire la campagne de Hollande ensuite. » Réponse d’Emmanuel Macron : « À droite comme à gauche, les partis créent des candidats qui ne sont que la synthèse de gens qui pensent différemment entre eux. Moi, si j’ai lancé “En Marche !”, c’est pour y aller, et y aller maintenant. »
Aux milieux financiers, dont l’ex-associé gérant de la banque Rothschild est issu, le ministre a envoyé le même message : s’il se présente, ce n’est pas pour participer à une manœuvre passablement fumeuse de François Hollande. Non ! C’est pour en découdre aussi avec lui. Selon nos informations, Emmanuel Macron s’est ainsi ouvert de ses projets avec certains grands patrons, et notamment celui d’Axa, Henri de Castries, qui lui aussi est issu de l’Inspection des finances et lui a promis dès le début un soutien total. Et comme par hasard, quelques mois plus tard, comme l’a révélé Mediapart (lire Le patronat héberge discrètement Emmanuel Macron), le ministre de l’économie a commis la bévue d’installer le siège de son mouvement « En Marche ! » au domicile privé de Laurent Bigorgne, le directeur de l’Institut Montaigne, un influent club patronal qui a été créé par… Axa !
Henri de Castries n’est d’ailleurs pas le seul à chouchouter Emmanuel Macron. En vérité, c’est une bonne partie du Medef qui le regarde se jeter en politique avec délectation, à commencer par le président du Medef, Pierre Gattaz, qui lors de la création du mouvement « En Marche ! » avait applaudi l’initiative, la jugeant « rafraîchissante ».
Il y a donc bel et bien deux hypothèses. Soit Emmanuel Macron est de mèche avec François Hollande ; soit il ne l’est pas. Soit il est en passe de voler de ses propres ailes ; soit il rentrera plus tard dans la basse-cour socialiste. Mais sait-il lui-même ce que sera son chemin ? Ou bien les aléas de la vie politique décideront-ils pour lui ?
En fait, toutes ces spéculations n’ont guère d’intérêt car, dans tous les cas de figure, la candidature d’Emmanuel Macron revêt une importance qui dépasse ces péripéties : c’est la première fois en effet, en France, que l’oligarchie de Bercy, celle de l’Inspection des finances ou de la direction du Trésor, pousse en avant l’un des siens à entrer en politique pour son propre compte.
Depuis trente ans, cette oligarchie de l’Inspection des finances a certes déjà joué un rôle majeur dans la vie politique et économique française. Contrôlant toutes les grandes directions, les plus influentes, du ministère des finances, dirigeant la plupart des grandes entreprises publiques, dirigeant aussi de très nombreuses entreprises privées grâce à trois décennies de privatisations, cette oligarchie pèse d’un poids majeur sur toutes les politiques publiques. Sur ce que Jacques Chirac avait baptisé la « pensée unique ».
En clair, si la gauche et la droite ont conduit depuis plus de trente ans des politiques économiques et sociales de plus en plus voisines, sinon même strictement identiques, bafouant périodiquement l’aspiration à une alternance des citoyens, ruinant la conception même de la démocratie, c’est en grande partie à cause de cette oligarchie, qui a toujours survécu à toutes les alternances, et préconise perpétuellement la mise en œuvre des mêmes réformes dites « structurelles » – traduction : néolibérales !
« Pendant plusieurs mandats, quelles que soient les majorités »
Veut-on connaître la philosophie qui guide depuis si longtemps l’action de cette oligarchie ? Il suffit de se replonger dans le rapport de la commission Attali – dont Emmanuel Macron était le rapporteur – remis à Nicolas Sarkozy en janvier 2008. Brûlot néolibéral, ce document proposait 316 réformes visant à démanteler le code du travail et à déréguler l’économie – autant de réformes qui sont depuis des lustres dans les cartons des grandes directions de Bercy. Et en introduction de ce document, Jacques Attali et Emmanuel Macron avaient consigné cette préconisation : « [La réforme] ne peut aboutir que si le président de la République et le premier ministre approuvent pleinement les conclusions de ce rapport, le soutiennent publiquement, dès maintenant, personnellement et durablement, en fixant à chaque ministre des missions précises. Pour l’essentiel, ces réformes devront être engagées, selon le calendrier proposé à la fin de ce rapport, entre avril 2008 et juin 2009. Elles devront ensuite être poursuivies avec ténacité, pendant plusieurs mandats, quelles que soient les majorités. »
« Pendant plusieurs mandats, quelles que soient les majorités »… Nous y voilà ! Toute la « pensée unique » est dans cette formule. Voilà ce que sécrète le système de l’oligarchie française, dont Jacques Attali et Emmanuel Macron sont des représentants : elle sécrète une idéologie qui tient la démocratie pour méprisable ou quantité négligeable. Peu importent les alternances démocratiques, peu importe le suffrage universel : il faut que « pendant plusieurs mandats, quelles que soient les majorités », la même politique économique se poursuive. Perpétuellement la même. L’enrichissement pour les uns, la punition sociale pour les autres.
Sans que l’on n’ait pu le deviner dès cette époque, il y avait d’ailleurs un aspect prémonitoire dans cette recommandation. Car effectivement, c’est sous le quinquennat de Hollande qu’une bonne partie des dispositions réactionnaires contenues dans ce rapport commandé par Sarkozy ont finalement été mises en œuvre, instillées dans les deux lois défendues par le même… Emmanuel Macron (lire Aux origines de la loi Macron : un projet néolibéral concocté sous Sarkozy).
Et comme tant d’autres oligarques, Emmanuel Macron a lui-même joué les essuie-glaces : il a commencé à faire carrière sous Sarkozy ; et a continué sous Hollande, en défendant exactement les mêmes idées, ce qui lui a permis de prendre son envol. Voici ce qu’incarne Emmanuel Macron : d’une certaine manière, c’est la fin de la politique ; c’est l’oligarchie qui survit à toutes les alternances. C’est la mise en œuvre du si terrible précepte que Tancredi souffle à l’oreille de son oncle, le prince de Salina, dans Le Guépard de Lampedusa : « Il faut que tout change pour que rien ne change. » Car c’est cela même, le ressort d’un système oligarchique : ceux qui y participent sont insubmersibles.
Avec Macron, il y a pourtant une nouveauté radicale. Jamais, jusqu’à présent, les membres de sa caste n’étaient entrés en politique directement. Il y a certes des inspecteurs des finances qui ont fait ce choix, tel Alain Juppé, mais toujours en respectant les codes traditionnels de la vie politique : en se mettant au service d’un parti, en l’occurrence le RPR (l’ancêtre de l’UMP puis du mouvement Les Républicains), jamais en défiant les partis politiques installés. Mais dans la plupart des cas, les oligarques français de l’Inspection des finances se sont toujours tenus dans les coulisses du pouvoir, préférant jouer les conseillers de l’ombre, plutôt que de prendre en main eux-mêmes les commandes publiques. C’est le cas d’un Alain Minc – le modèle et ami de Macron – ou encore de Jacques Attali – un autre ami – qui, pour n’être pas inspecteur des finances, est aussi très illustratif de l’oligarchie française.
Conseiller dans les coulisses du pouvoir, Macron l’a donc longtemps été, comme ses influents protecteurs. Mais lui fait aujourd’hui un pas de plus, que n’ont pas fait ses mentors : il entre en politique pour son compte propre. Ou pour le compte de la caste dont il est issue. C’est en cela que son parcours est inédit. C’est en quelque sorte l’aboutissement d’une histoire longue : jusqu’à présent, l’oligarchie était parvenue à anémier la vie politique en imposant progressivement le célèbre diktat « Tina » – pour « There is no alternative » ; avec Macron, c’est l’ultime étape : la tentative de prise de pouvoir par l’oligarchie elle-même.
Dans le passé, Minc et Attali ont envisagé de passer en politique : le premier a intrigué en 1988 pour que Rocard le coopte dans son gouvernement, tandis que le second a rêvé que Sarkozy le fasse entrer dans le gouvernement Fillon. Mais après beaucoup d’hésitations – ou de désillusions –, ils sont tous deux restés dans l’ombre, comme conseillers des princes. Un autre, comme Trichet, a très fortement pesé sur la « pensée unique », mais est resté respectueux du fonctionnement républicain, c’est-à-dire dans un rôle d’exécutant. Il a lourdement pesé sur les politiques de Bérégovoy puis de Balladur (avant de passer à la Banque de France puis à la BCE), mais il se montrait toujours très respectueux des politiques. Ce qui n’est pas le cas de Macron, lequel affiche sa détestation (très révélatrice, très… oligarchique !) des politiques, comme il l’a récemment montré dans un récent entretien avec Sud-Ouest où il affichait son mépris pour la « caste politique » en précisant qu’il n’en faisait pas partie.
Il y a donc un effet de miroir dans le pas que franchit Macron : c’est un autre révélateur de la gravité de la crise politique que nous vivons. C’est un peu comme si, à la veille de 1789, les fermiers généraux, qui étaient les principaux soutiens de la monarchie, étaient tellement affolés de l’incurie de cette même monarchie, qu’ils décidaient eux-mêmes de prendre les choses en main.
Dans l’audace de Macron, c’est ce qui ressort. Il a décidé de franchir le pas, parce qu’il a derrière lui le clan de Bercy. Et s’il a ces appuis, c’est qu’il y a de l’exaspération dans les hautes sphères de la finance qui n’ont plus confiance en Sarkozy, qui n’ont plus confiance en Hollande ; bref, qui ont envie de diriger eux-mêmes, ou qui approuvent que l’un des leurs se lance dans cette aventure.
La candidature de Macron dit donc beaucoup de l’exaspération qui chemine dans le pays. Pas l’exaspération de « gauche » ou de gauche radicale. Une autre forme d’exaspération, dans d’autres couches de la société. L’exaspération des cercles de l’oligarchie.
Des faux pas en cascade et un mensonge grave
Mais il y a, pourtant, quelque chose de pathétique dans cette irruption en politique de l’un des représentants de l’oligarchie de Bercy. Car si Macron a beaucoup d’appuis dans les milieux de la haute finance qui le poussent à s’émanciper, c’est qu’il règne un climat de panique dans ces milieux d’affaires. En effet, celui que ces mêmes milieux d’affaires adoubent pour les représenter n’est pas le plus brillant de la caste. Comparé aux hauts fonctionnaires des décennies antérieures – comme Jean-Claude Trichet, Jacques de Larosière ou Michel Camdessus –, Macron apparaît même bien terne et maladroit, sans charisme ni autorité. Sans véritable légitimité…
Si l’on s’en tient aux derniers mois, on peut même recenser une cascade de faux pas et de maladresses qui révèlent l’amateurisme du jeune ministre voulant se mettre en marche…
Il y a d’abord eu son faux pas concernant l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). À la fin du mois de mai, le ministre de l’économie suggère qu’il est partisan de la suppression de l’impôt fétiche de la gauche, qui hérisse depuis si longtemps les grandes fortunes. Il le laisse entendre dans la revue Risques, qui est la propriété de la Fédération française des sociétés d’assurance, un lobby patronal dont Emmanuel Macron est décidément très proche. « Si on a une préférence pour le risque face à la rente, ce qui est mon cas, il faut préférer la taxation sur la succession aux impôts de type ISF », lâche-t-il. Après les révélations de Mediapart, on découvre à peine quelques jours plus tard que le propos n’est pas totalement désintéressé puisque le contribuable Macron, à l’issue de plus d’un an et demi de discussions avec le fisc, ayant notamment porté sur la demeure de son épouse au Touquet, a dû admettre qu’il devait payer l’ISF et même déposer une déclaration rectificative pour 2013 et 2014 (lire Macron rattrapé par son ISF).
Il y a ensuite son hypocrisie sur le dossier de la fonction publique. Car Emmanuel Macron a pris dans ce domaine – ce qui est naturellement son droit – une position très tranchée : il est partisan de dynamiter ce statut, radicalité que, même à droite, beaucoup de ténors n’osent pas défendre publiquement. Il l’a fait comprendre notamment le 18 septembre 2015, lors d’un débat organisé par le club « En temps réel » dont il est membre. En réponse à une question sur le sujet d’une journaliste de Challenges, le ministre a fait valoir qu’à ses yeux ce statut n’était « plus adapté au monde tel qu’il va » et « surtout […] plus justifiable compte tenu des missions », avant d’ajouter : « Je ne vois pas ce qui justifie que certains cadres de mon ministère bénéficient d’un emploi garanti à vie, et pas le responsable de la cybersécurité d’une entreprise… » (lire La morgue de Macron contre la fonction publique).
Seulement voilà ! Le ministre a parlé pour les autres, pas pour… lui-même ! Quelques rares hommes politiques, qui défendent des positions identiques, ont eu le courage de mettre en pratique pour eux-mêmes les positions qu’ils défendaient dans le débat public. C’est le cas par exemple de Bruno Le Maire, qui a démissionné du corps des conseillers des affaires étrangères – on peut consulter ici le décret de François Hollande en date du 22 octobre 2012, entérinant sa radiation. Mais bien que le même Bruno Le Maire l’ait exhorté à suivre son exemple, Emmanuel Macron ne s’y est pour l’instant pas (ou pas encore ?) résolu.
Opposé à un système d’emploi à vie pour les petits fonctionnaires, Emmanuel Macron profite, pour lui-même, du statut le plus protecteur de la fonction publique, celui des inspecteur généraux des finances : un emploi à vie parmi les plus mieux rémunérés. Cessant d’être ministre, il va donc pouvoir continuer à percevoir durant encore six mois la rémunération qu’il percevait à ce titre, mais au-delà, s’il ne démissionne pas, il percevra de nouveau la rémunération des inspecteurs des finances : de l’ordre de 100 000 euros brut par an.
Il y a encore eu le très gros mensonge d’Emmanuel Macron dans le cas de la privatisation de la société de gestion de l’aéroport de Toulouse – un mensonge qui, en d’autres démocraties, aurait marqué la fin de la carrière politique de son auteur. Le ministre avait annoncé publiquement, lors de la cession de 49,9 % du capital de la société à un investisseur chinois, que les actionnaires publics (État, Région, département, ville, CCI) garderaient le contrôle majoritaire de l’aéroport. Mais Mediapart a révélé qu’il s’agissait d’une duperie, l’État ayant passé secrètement un pacte d’actionnaires avec l’investisseur chinois, lui concédant les pleins pouvoirs (lire Aéroport de Toulouse : Macron rattrapé par son mensonge).
Et puis, il y a le comportement hautain d’Emmanuel Macron, qui colle désormais à son personnage, et qui a contribué à faire de lui l’une des têtes de Turc de toutes les manifestations du printemps, depuis sa désormais célèbre saillie adressée à deux grévistes : « La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler » !
Emmanuel Macron va donc se jeter tout seul dans le grand bain de la politique. Mais il franchit le Rubicon, alors que des doutes de plus en plus marqués commencent à se faire jour sur sa capacité de mener sa barque tout seul. À preuve, cette sortie, la plus vacharde que l’on puisse concevoir, de Jacques Attali, celui-là même qui a aidé le jeune haut fonctionnaire à faire ses premiers pas : « Macron n’incarne que le vide ! » a-t-il lancé le 13 mai…
« Macron n’incarne que le vide ! » Comme Jacques Attali est l’un de ceux qui connaissent le mieux Emmanuel Macron, sans doute faut-il prendre la formule au sérieux, même si elle n’est sûrement pas dénuée d’une féroce jalousie. Mais cela ne gomme pas l’essentiel. Envers et contre tout, avec Macron, c’est un pas symbolique qui est franchi : le conseiller efface celui qu’il conseille ; le haut fonctionnaire supplante le politique qu’il a longtemps épaulé mais qu’en vérité il méprisait, parce qu’il était obligé de prendre en compte des préoccupations électorales (ou électoralistes). C’est cela, l’oligarchie : c’est le mépris du politique. En définitive, c’est le mépris de la démocratie…
La morale de notre histoire, c’est celle que tire le grand républicain Marc Bloch dans L’Étrange Défaite, dans les semaines qui suivent la débâcle de juin 1940 : « Quelle que soit la nature du gouvernement, le pays souffre si les instruments du pouvoir sont hostiles à l’esprit même des institutions publiques. À une monarchie, il faut un personnel monarchiste. Une démocratie tombe en faiblesse, pour le plus grand mal des intérêts communs, si ses hauts fonctionnaires, formés à la mépriser et, par nécessité de fortune, issus des classes mêmes dont elle a prétendu abolir l’empire, ne la servent qu’à contrecœur. »
D’une débâcle à l’autre, l’histoire bégaie…
Laurent Mauduit
•11 JUILLET 2016 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/110716/emmanuel-macron-le-candidat-de-l-oligarchie
Derrière la recomposition politique, l’uniformisation économique
Si un gouvernement multipartisan est un séisme en politique, en économie, il s’agit d’un aboutissement. Depuis trois décennies, les politiques conduites par la gauche ou la droite n’ont cessé de se confondre. Macron met en œuvre le fameux précepte thatchérien “Tina” : « There is no alternative ».
C’est évidemment peu dire que la formation d’un gouvernement rassemblant des ministres dont certains sont issus de la droite tandis que d’autres le sont de la gauche, ou alors ne se revendiquent d’aucune attache partisane, constitue au plan politique un séisme, puisqu’il consacre une implosion du Parti socialiste (PS) et des lézardes au sein du parti Les Républicains (LR). Mais au plan économique, ce n’est pas le cas. C’est plutôt un aboutissement.
Alors qu’au cours de ces trois dernières décennies, les politiques économiques et sociales conduites alternativement par la droite ou la gauche n’ont cessé de se rapprocher pour finir par se confondre, ce gouvernement transpartisan installé par Emmanuel Macron et conduit par le premier ministre Édouard Philippe marque l’achèvement de ce mouvement d’uniformisation. C’est, en quelque sorte, l’éclatante victoire du fameux précepte de Margaret Thatcher, celui de « Tina » : « There is no alternative ». Ou, si l’on préfère, il n’y a qu’une seule politique économique possible.
Lorsque l’on passe en revue les évolutions de la politique économique française au cours de ces dernières décennies, il y a, de fait, un constat qui saute aux yeux : il faut remonter à 1981 – une éternité... – pour retrouver en France une véritable controverse économique, du moins entre les deux principaux partis de gouvernement, le PS d’un côté, le RPR de l’autre, rebaptisé au fil des ans en UMP puis LR. Mais ensuite, à partir du tournant improprement baptisé de la « rigueur », les différences entre les deux camps n’ont cessé de s’estomper, pour ne plus porter que sur des questions symboliques – quelques ultimes chiffons rouges, comme l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF).
En résumé, dans le prolongement de la gigantesque vague néolibérale venue des pays anglo-saxons, déclenchée par Ronald Reagan aux États-Unis et Margaret Thatcher en Grande-Bretagne, c’est la droite qui a emporté sur la gauche la bataille des idées. C’est le marché qui a fait plier l’État et la régulation qu’il induit. Victoire totale, jusque dans les esprits. Après le capitalisme rhénan, fonctionnant sur le compromis social, un capitalisme beaucoup plus tyrannique a vu le jour, faisant la part belle au capital au détriment du travail. Une nouvelle pensée économique, tout aussi tyrannique, a progressivement écrasé toutes les autres, justifiant ce séisme. Hors du néolibéralisme, point de salut. Marx, Keynes : à la poubelle. Un seul et unique prophète pour ces temps nouveaux : Milton Friedman.
C’est cette intolérance que le précepte thatchérien « Tina » a consacrée, comme si l’économie politique cessait subitement d’être cette science noble, délimitant la part de choix des hommes dans la vie économique de la cité.
Du rapprochement progressif entre la gauche et la droite autour de ce consensus néolibéral, qui s’est opéré en parallèle à la conversion de la France au modèle du capitalisme patrimonial anglo-saxon, il existe mille illustrations. Il y a d’abord eu la bataille perdue des nationalisations. Une bérézina.
Alors que l’extension du secteur public, en 1982, était présentée par les socialistes comme l’un des plus forts symboles du changement de politique économique, un coup d’arrêt y est donné dès 1986, lors de l’alternance, avec le lancement des premières privatisations. Et on sait ce qui est ensuite advenu : après le « ni-ni » (pour : ni nationalisation, ni privatisation) du second septennat de François Mitterrand, les privatisations ont repris de plus belle dès 1995. Et même la gauche s’y est convertie à partir de 1997, Lionel Jospin parvenant à devenir le premier ministre ayant le plus privatisé.
Pour la politique salariale, cela a été encore plus spectaculaire : ce sont les socialistes eux-mêmes qui ont, les premiers, brisé les règles d’indexation qui encadraient la vieille politique des revenus française. À la faveur de ce tournant de la « rigueur », puis sous l’impulsion les années suivantes de Pierre Bérégovoy, c’est l’une des réformes les plus considérables qui est entrée en vigueur : celle de la désindexation des salaires sur les prix. Désindexation qui est ensuite devenue l’alpha et l’oméga de la politique économique des années suivantes, sous la gauche comme sous la droite.
La politique fiscale a suivi, à peu de chose près, la même évolution. Pendant des lustres, elle a constitué un marqueur formidable, permettant de distinguer les politiques économiques de gauche et les politiques économiques de droite. Avec d’un côté des socialistes qui défendaient l’impôt, en y voyant un outil de redistribution ; et de l’autre la droite qui prônait le « moins d’impôt », dans le souci de débrider l’économie. Mais au fil des ans, ces oppositions sont devenues de plus en plus factices.
Ce sont les socialistes qui, en 1989, ont conduit l’une des réformes fiscales les plus inégalitaires, celle de l’épargne, en prévision de l’ouverture définitive des marchés des capitaux. C’est le socialiste Laurent Fabius, à l’époque ministre des finances, qui a commencé à dynamiter en 2000 l’impôt sur le revenu – réforme inégalitaire que la droite a accélérée au lendemain de l’alternance de 2002. Et si François Hollande, du temps où il était candidat à l’élection présidentielle en 2012, a un instant laissé penser qu’il reviendrait à l’ancienne doctrine redistributive de la gauche, en défendant l’idée d’une « révolution fiscale » conçue par l’économiste de gauche Thomas Piketty, on sait ce qu’il en est par la suite advenu : c’est en fait une contre-révolution que François Hollande a menée, suivant en tous points les priorités inégalitaires de son prédécesseur, en relevant par exemple la TVA ou en instaurant pour l’ISF un système de plafonnement encore plus scandaleux que l’ex-bouclier fiscal mis au point par Nicolas Sarkozy.
Et puis il y a eu l’Europe, qui a fait le reste, contribuant à rapprocher encore plus les politiques économiques de gauche et de droite, au point qu’il n’y ait plus entre elles la moindre différence. Avec le traité de Maastricht, et plus encore celui d’Amsterdam, c’est la politique budgétaire qui en a, la première, fait les frais : elle est passée sous pilotage automatique. En quelque sorte, ce fut la fin de la vieille controverse entre les partisans de la relance et les partisans de l’austérité, par la victoire totale et définitive des seconds sur les premiers. En somme, Keynes est devenu anticonstitutionnel.
Et que dire de la politique monétaire ? Avec l’euro et la Banque centrale européenne (BCE), elle aussi est passée sous pilotage automatique. C’est même plus grave que cela. Les traités européens prévoient explicitement que la compétence de la banque centrale porte sur la valeur interne de la monnaie unique – c’est-à-dire sur la lutte contre l’inflation –, mais pas sur la valeur externe, c’est-à-dire sur la politique de change. Mais à peine installée, la BCE a instauré une jurisprudence invraisemblable, s’arrogeant ce double pouvoir sur la valeur interne mais aussi externe de la monnaie. Et pétrifiés, les politiques, de gauche comme de droite, ont laissé faire. Tant et si bien que le débat monétaire s’est totalement éteint ou est devenu le monopole de l’extrême droite, dont certains courants revendiquent le retour au franc.
Cette évolution qui a conduit les socialistes mais aussi les néogaullistes à se convertir de plus en plus nettement aux thèses néolibérales ne s’est certes pas déroulée sans mal ni sans heurts. Ce rapprochement a lui-même fait, en plusieurs époques, l’objet d’une vive controverse.
À droite, c’est contre cette « pensée unique » que s’est dressé un Philippe Séguin dès 1992, lors du débat autour de la ratification du traité de Maastricht. C’est aussi ce combat contre cette même « pensée unique » qu’a préempté Jacques Chirac lors de la campagne présidentielle de 1995, ce qui lui a permis de gagner.
« Pendant plusieurs mandats, quelles que soient les majorités »
À gauche, c’est à sa manière ce même combat qu’a mené Lionel Jospin à partir de 1993, exerçant son « droit d’inventaire » sur les deux précédents septennats, et cherchant la voie d’une nouvelle politique économique de gauche qui tienne compte des « grands équilibres économiques » mais tout autant des « grands équilibres sociaux ». Reprochant à ses camarades socialistes de n’avoir tenu compte que des premiers et plus jamais des seconds, il a même eu, un jour, en 1994, cette formule audacieuse : « Inversons ! »
Mais dans les deux cas, à droite comme à gauche, ces rebellions contre ces rapprochements de plus en plus marqués, quasi fusionnels, ont été de très courte durée. Que l’on se souvienne du septennat de Jacques Chirac : nommé premier ministre, Alain Juppé met en œuvre la politique hétérodoxe promise par Jacques Chirac pendant… quatre mois ! Et dès le mois de novembre 1995, il fait une grande embardée et annonce le plan d’austérité que l’on sait, en commençant par l’assurance maladie.
À gauche, l’embardée de Lionel Jospin est encore plus courte. Porté en 1997 à Matignon sur un programme très à gauche, il y renonce sur-le-champ pour dériver progressivement vers une politique néolibérale que ponctue son aveu, en amorce de sa campagne présidentielle de 2002 : « Mon projet n’est pas socialiste. »
C’est pour cela que le gouvernement multipartisan voulu par Emmanuel Macron constitue une rupture pour la vie politique française et un aboutissement pour la vie économique. Car dans ce théâtre d’ombres qu’est souvent la vie publique, de nombreux dirigeants politiques ont fait mine d’entretenir la fiction de divergences entre la droite libérale et les socialistes… néolibéraux. Ils l’ont fait de deux manières. Soit en survalorisant des divergences sur des points de détail microscopiques – cela a été longtemps la fonction de l’ISF. Soit en menant des campagnes mensongères pour se faire élire – à l’exemple de ce que François Hollande a fait en 2012, se présentant comme l’adversaire de la finance, avant d’en devenir le plus zélé des serviteurs.
Avec Emmanuel Macron, c’est donc cette fiction qui est ruinée : puisque les socialistes et la droite libérale conduisent depuis de longues années des politiques économiques et sociales quasi identiques, puisque les derniers points de discorde qui subsistaient encore – comme le code du travail – ont disparu, pourquoi ne travailleraient-ils pas ensemble au sein du même gouvernement ?
Sans doute a-t-il fallu beaucoup de temps pour que, dans un camp comme dans l’autre, on se résolve à ne plus jouer la comédie. Car l’idée d’un gouvernement libéral rassemblant des dirigeants de gauche comme de droite chemine en France depuis très longtemps. C’était le cheval de bataille principal de la Fondation Saint-Simon, dès le milieu des années 1980. Ce fut aussi l’idée défendue par Alain Minc, au milieu des années 1990, quand il prôna une politique économique circonscrite « dans le cercle de la raison ». Car cela a souvent été l’habillage des politiques néolibérales, présentées par leurs auteurs (et tout autant par les grands médias) comme des politiques raisonnables, réalistes pragmatiques, à la différence de toutes les autres politiques alternatives, réputées irréalistes, déraisonnables, rêveuses ou dangereuses…
Mais il faut croire que les temps n’étaient pas encore mûrs pour que les masques tombent. C’est donc Emmanuel Macron qui a eu l’audace d’organiser cette grande transgression. En vérité, son cheminement personnel est lui-même très emblématique de ce projet. Veut-on en effet connaître la philosophie qui guide depuis si longtemps son action ? Il suffit de se replonger dans le rapport de la commission Attali – dont Emmanuel Macron était le rapporteur – remis à Nicolas Sarkozy en janvier 2008. Brûlot néolibéral, ce document proposait 316 réformes visant à démanteler le code du travail et à déréguler l’économie – autant de réformes qui sont depuis des lustres dans les cartons des grandes directions de Bercy.
En introduction de ce document, Jacques Attali et Emmanuel Macron avaient consigné cette préconisation : « [La réforme] ne peut aboutir que si le président de la République et le premier ministre approuvent pleinement les conclusions de ce rapport, le soutiennent publiquement, dès maintenant, personnellement et durablement, en fixant à chaque ministre des missions précises. Pour l’essentiel, ces réformes devront être engagées, selon le calendrier proposé à la fin de ce rapport, entre avril 2008 et juin 2009. Elles devront ensuite être poursuivies avec ténacité, pendant plusieurs mandats, quelles que soient les majorités. »
« Pendant plusieurs mandats, quelles que soient les majorités »… Nous y voilà : toute la victoire de la « pensée unique » est dans cette formule ; c’est le diktat « Tina » qui est résumé par ces quelques lignes. Voilà ce que sécrète le système de l’oligarchie française, dont Jacques Attali et Emmanuel Macron sont des représentants : une idéologie qui tient la démocratie pour quantité négligeable – car les élites sont supposées mieux savoir que le peuple ce qui est bon pour lui. Peu importent les alternances démocratiques, peu importe le suffrage universel : il faut que « pendant plusieurs mandats, quelles que soient les majorités », la même politique économique se poursuive. Perpétuellement la même (lire Emmanuel Macron, le candidat de l’oligarchie).
Sans que l’on ait pu le deviner dès cette époque, il y avait d’ailleurs un aspect prémonitoire dans cette recommandation. Car effectivement, c’est sous le quinquennat de François Hollande qu’une bonne partie des dispositions réactionnaires contenues dans ce rapport commandé par Nicolas Sarkozy ont finalement été mises en œuvre, instillées dans les deux lois défendues par le même… Emmanuel Macron (lire Aux origines de la loi Macron : un projet néolibéral concocté sous Sarkozy).
Et comme tant d’autres oligarques, Emmanuel Macron a lui-même joué les essuie-glaces : il a commencé à faire carrière sous Sarkozy ; et a continué sous Hollande, en défendant exactement les mêmes idées, ce qui lui a permis de prendre son envol. Et voici que devenu président de la République, il envisage d’aller encore plus vite et plus loin, en poursuivant le démantèlement par ordonnances du code du travail.
De cette évolution, on pourrait donc être très inquiet. Pour une double raison. Économique, d’abord : ce gouvernement va appliquer une politique néolibérale à un pays qui est rongé par de violentes inégalités et de fortes souffrances sociales, c’est-à-dire au pire des moments ; il va poursuivre une dérégulation économique et sociale alors que, depuis la crise de 2007/2008, on a pu mesurer les effets dévastateurs d’une telle orientation. Politique ensuite : la démocratie, c’est l’organisation du dissensus ; c’est la confrontation des désaccords, ou d’intérêts antagonistes, dans un cadre civil ; en somme, ce n’est surtout pas le consensus.
Mais il y a sans doute un effet boomerang à attendre de cette transgression qu’a osé réaliser Emmanuel Macron. Vu de la gauche, on comprend bien pourquoi. Car pendant des lustres, les socialistes n’ont jamais réellement voulu tirer les enseignements de leurs échecs, ni refonder leur doctrine. Et du même coup, on a assisté depuis trois décennies à un pitoyable ballet, toujours le même : dans l’opposition, le PS a souvent pris des accents de gauche avant, revenu au pouvoir, de mettre en œuvre la même politique économique néolibérale.
Du fait de la triangulation Macron, cette triste comédie va désormais devenir impossible. En miettes, réduite à néant, la gauche socialiste, ou ce qu’il en reste, ne peut espérer survivre que si elle reprend tout à zéro. Jusqu’à sa vision du monde, jusqu’à sa doctrine économique et sociale.
• 17 MAI 2016 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/160517/derriere-la-recomposition-politique-luniformisation-economique?onglet=full
Présidentielle : Macron prêt à déclarer sa candidature
Selon des informations de Mediapart, Emmanuel Macron s’apprête à déclarer sa candidature à l’élection présidentielle de 2017. Cela pourrait intervenir vers le 10 juin. François Hollande serait dans la confidence, mais ne s’inquiéterait pas de cette annonce qui risque de constituer pour lui un coup de grâce. Manuel Valls ne parvient plus à masquer sa colère, même en public.
Depuis qu’il a créé son propre mouvement politique baptisé « En marche ! », Emmanuel Macron ne fait plus mystère de ses ambitions politiques. Mais il n’a pas encore clairement annoncé ce qu’il entendait faire. Selon nos informations, son plan de route est maintenant calé : il s’apprête à annoncer sa candidature à l’élection présidentielle. Il pourrait franchir le pas aux alentours du 10 juin. Reste une inconnue : même si, d’après nos sources, François Hollande est dans la confidence et pense que cela peut lui servir, il n’est pas certain que son ancien conseiller, promu par lui ministre de l’économie, joue totalement franc jeu.
À tous ses proches qui l’interrogeaient ces dernières semaines sur ses intentions, Emmanuel Macron ne cessait de répéter qu’il se déclarerait d’ici l’été. Mais le ministre de l’économie a visiblement décidé de presser le pas. Il a d’abord annoncé, le 6 avril à Amiens, la création de son propre mouvement politique, « En marche ! ». Il l’a d’ailleurs fait à sa manière, empreinte parfois de beaucoup de maladresses. En surfant sur le tout nouveau site Internet de ce mouvement, Mediapart avait ainsi pu révéler qu’il avait pour domicile la résidence privée du directeur de l’Institut Montaigne, l’une des grandes chapelles du patronat, proche de l’assureur Axa (lire Le patronat héberge discrètement Emmanuel Macron).
Dans la foulée, le ministre de l’économie a commencé à faire campagne. À sa manière : en s’affichant avec son épouse dans Paris Match, le magazine du groupe Lagardère toujours à l’affût pour rendre service aux puissants, ou encore en répondant dimanche dernier à l’invitation du maire (Les Républicains) d’Orléans pour commémorer la libération de la ville, le 8 mai 1429 par Jeanne d’Arc, célébrée ces dernières années seulement par les Le Pen, père et fille (lire Au secours, Jeanne d’Arc revient !).
Emmanuel Macron a décidé de faire un pas de plus et d’annoncer sa candidature à l’élection présidentielle. Il a même arrêté une date : ce pourrait être le 10 juin prochain.
Le cavalier seul que commence Emmanuel Macron soulève toutefois de nombreuses questions, aussi bien dans son propre camp que dans les milieux de droite ou de la finance. Car, selon nos sources, François Hollande est dans la confidence du projet du ministre de l’économie. C’est Jean-Pierre Jouyet, l’ancien secrétaire d’État sarkozyste devenu secrétaire général de l’Élysée sous la présidence de François Hollande, qui suit pas à pas son protégé qui, comme lui, a d’innombrables liens avec les milieux de la haute finance. Le bras droit du chef de l’État est ainsi de longue date dans le secret de ces préparatifs.
Malgré le climat politique crépusculaire dans lequel baigne la fin de son quinquennat, François Hollande serait très au fait de ce que prépare le ministre de l’économie et penserait qu’il pourrait en tirer ultérieurement avantage. Le subterfuge convenu entre les deux serait qu’Emmanuel Macron mènerait la campagne qu’il souhaite, sur un registre qu’affectionne aussi le Medef, celui du « ni gauche, ni droite », et qu’il annoncerait à l’horizon de février 2017 qu’il pourrait, s’il était éliminé au premier tour, se rallier à François Hollande, si ce dernier accédait au second.
Le pari de François Hollande est hautement périlleux, pour plusieurs raisons. D’abord, dans la conjoncture présente, le problème auquel il risque d’être confronté est moins de trouver des subterfuges pour obtenir des ralliements dans l’hypothèse d’un second tour que d’être éliminé dès le premier tour. Or, face à la colère grandissante des électeurs de gauche, l’hypothèse d’une candidature d’Emmanuel Macron risque de ruiner encore un peu plus ses chances, en le privant d’un petit matelas d’électeurs centristes ou de droite. La candidature Macron, même si elle avait peu d’écho, pourrait bien dynamiter la sienne.
La candidature d’Emmanuel Macron est-elle un stratagème élyséen, même s’il est passablement fumeux ? Ou bien le ministre de l’économie, tout en ayant donné des gages secrets à François Hollande, ne roule-t-il que pour lui-même et ses amis, ceux de l’oligarchie financière ? Il est difficile de le savoir. Car nous avons recueilli plusieurs témoignages concordants, attestant que le ministre de l’économie dit, dans ses rencontres privées avec les milieux d’affaires, pis que pendre de François Hollande et assure qu’il ne fera plus jamais équipe avec lui. Et c’est la raison pour laquelle, dans les milieux financiers, il a reçu de solides appuis ; celui par exemple d’Henri de Castries, le patron d’Axa.
Est-ce de l’habileté de la part d’Emmanuel Macron, pour mieux ramener ultérieurement des voix à son mentor ? Ou est-il en train de le trahir ? Même ceux qui connaissent Emmanuel Macron ont du mal à répondre à la question : ils savent que le ministre de l’économie a peu de sens politique et est capable de bourdes grossières mais ils font remarquer que, sous ses airs d’enfant de chœur, il est souvent capable d’une grande duplicité. C’est aussi ce que disent ceux qui l’ont approché lorsqu’il était associé-gérant de la banque Rothschild.
À François Hollande, il dit donc qu’il œuvre pour lui, et va chercher à capter un électorat, dont il pourrait avoir besoin lors d’un très hypothétique second tour ; aux grands patrons, il promet qu’il sera leur candidat : le porte-étendard du CAC 40 et des milieux d’affaires.
Dans l’immédiat, les ambitions de plus en plus visibles d’Emmanuel Macron ne font de l’ombre qu’à Manuel Valls, qui a longtemps voulu se donner l’image de la transgression, en conduisant une politique économique encore plus néolibérale que Nicolas Sarkozy et une politique sécuritaire également plus néoconservatrice. Mais voici qu’Emmanuel Macron lui chipe la vedette et est devenu le chouchou des milieux d’affaires. Pour le coup, le premier ministre en a pris ombrage, et cela devient de plus en plus visible. Cela a même donné lieu à une escarmouche publique, entre les deux hommes, mardi 10 mai, à l’Assemblée nationale, lors des questions d’actualité au gouvernement.
Collecte de fonds
À l’origine, il y a eu la question posée par le député (Les Républicains) Georges Fenech au sujet du voyage effectué par Emmanuel Macron, le 14 avril, à Londres. Officiellement, le ministre a fait le voyage pour apporter le soutien de la France à tous ceux, dont le premier ministre David Cameron, qui sont opposés au Brexit. Mais la rumeur a vite circulé qu’Emmanuel Macron avait aussi profité de son voyage pour déjeuner avec une vingtaine de patrons de start-up, afin de les enrôler dans son tout nouveau mouvement « En Marche ! » et de procéder auprès d’eux à une levée d’argent pour financer ses projets politiques. Dans un écho, le magazine Paris Match, qui est dans les petits papiers du ministre, a même avancé un chiffre : 12 millions d’euros.
L’évaluation est évidemment fantaisiste, car les dons à un parti politique sont, de par la loi, limités à 7 500 euros par an et par personne. Selon le plafond que l’on retient, cela voudrait donc dire que pour collecter 12 millions d’euros, le nombre des donateurs aurait été de… 1 600 ! Sans grande surprise, l’entourage du ministre a démenti l’information. Ou plus précisément, il a démenti le montant de la levée de fonds, mais pas la levée de fonds elle-même. Et c’est ce qui a motivé la question du député Georges Fenech, que l’on peut visionner ci-dessous :
Le député Georges Fenech évoque ce voyage d’Emmanuel Macron à Londres et demande s’il est exact qu’il a donné lieu à une levée de fonds de 12 millions d’euros. Parlant de « confusion des genres » et de « conflit d’intérêts », il s’indigne des activités d’Emmanuel Macron, en estimant qu’il s’agit d’un « abus de fonction ministérielle ». Or, pendant que le député parle, l’accrochage entre Manuel Valls et Emmanuel Macron commence. D’abord, le ministre de l’économie dit au premier ministre qu’il tient à répondre en personne à la question, mais il a beau insister à de nombreuses reprises, Manuel Valls ne veut rien entendre, et tranche : « Je le fais ! Je le fais. »
Le premier ministre prend le micro et fait une réponse « langue de bois ». Sans même évoquer Emmanuel Macron, il assure qu’il n’y a eu « aucune levée de fonds particulière pour je ne sais quelle association ». Et dans la foulée, avec l’envie irrépressible d’en découdre non avec la droite mais avec le ministre de l’économie, il ne peut s’empêcher d’ajouter : « Je souhaite que les ministres du gouvernement soient pleinement engagés dans leurs tâches. »
La scène burlesque n’est pas finie. À peine Manuel Valls s’est-il rassis au banc du gouvernement qu’à distance, il prend à partie Emmanuel Macron, sous l’œil médusé du ministre des finances, Michel Sapin, et de la ministre du travail, Myriam El Khomri, qui sont assis entre les deux protagonistes de la dispute.
Valls recadre Macron à l’Assemblée par LeLab_E1 [2]
Emporté par sa colère, Manuel Valls multiplie les critiques contre Emmanuel Macron et, selon le journal L’Opinion qui a décrypté les échanges [3], lui reproche aussi son entretien du lundi 9 mai au journal Sud-Ouest au cours duquel il a mis en cause la « caste politique » [4], tout en disant « ne pas en faire partie » lui-même :
« C’est inacceptable, pourquoi tu dis cela, proteste Manuel Valls.
— Je suis d’accord avec toi. C’est Juppé que je visais, se défend Emmanuel Macron.
— Mais alors, dis-le ! Dis-le… », s’emporte Manuel Valls.
Quoi qu’il en soit, François Hollande n’aura à s’en prendre qu’à lui-même : en conduisant une politique économique exactement conforme aux desiderata des milieux d’affaires ; et en installant un de leurs représentants, Emmanuel Macron, au cœur du pouvoir, il a organisé le naufrage de son propre quinquennat. Sur fond d’ambitions personnelles et de jeu de billard à plusieurs bandes, c’est à ce spectacle, tantôt grotesque, tantôt révoltant, que le pays est convié à assister.
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Interrogé par l’agence Reuters, l’entourage d’Emmanuel Macron a indiqué, à la suite de la mise en ligne de cette enquête, qu’il démentait « toutes les informations de l’article » de Mediapart, sans plus de précisions.
De leur côté, plusieurs médias ont apporté des informations qui complètent les nôtres. Sur son site internet, BFM-TV a ainsi publié [5] le fac-similé d’un mail envoyé par un membre de la garde rapprochée d’Emmanuel Macron, invitant à deux soirées de levée de fonds en présence du ministre de l’économie. « Nous avons un besoin très concret de financements. Pour vous donner un ordre de grandeur, il faut 18 millions d’euros pour financer une campagne présidentielle en France. » De son côté, Le Point donne le verbatim de quelques échanges entre Emmanuel Macron et ses invités lors de la réunion du 14 avril à Londres [6]. L’un des invités a ainsi demandé au ministre de l’économie de « lever l’ambiguïté sur [ses] ambitions », et s’il avait l’intention d’« aller au bout » en se présentant à une présidentielle, ponctuant son propos de cet avertissement : « On veut bien vous financer, mais c’est pas pour aller faire la campagne de Hollande ensuite. » Réponse d’Emmanuel Macron : « À droite comme à gauche, les partis créent des candidats qui ne sont que la synthèse de gens qui pensent différemment entre eux. Moi, si j’ai lancé En marche !, c’est pour y aller, et y aller maintenant. »
Laurent Mauduit
• 11 MAI 2016 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/110516/presidentielle-macron-pret-declarer-sa-candidature?onglet=full
Le patronat héberge discrètement Emmanuel Macron
En annonçant la création de son mouvement « En marche », le ministre de l’économie a omis de préciser que l’adresse légale de son association était le domicile privé du directeur de l’un des principaux clubs patronaux. Emmanuel Macron conteste notre récit et nie le moindre lien avec l’Institut Montaigne.
Le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, a fait une petite cachotterie quand il a annoncé, mercredi 6 avril, à Amiens, la création d’un « mouvement politique nouveau », baptisé « En marche ». Affirmant qu’il ne serait « pas à droite, pas à gauche », il s’est bien gardé de préciser qu’il avait néanmoins reçu un important mais discret appui logistique, celui de l’un des clubs patronaux les plus influents, l’Institut Montaigne, créé en 2000 par Claude Bébéar, l’un des parrains du capitalisme français et figure tutélaire du groupe d’assurances Axa. Ce qui explique sans doute que le patron des patrons, Pierre Gattaz, ait chaleureusement applaudi la création de ce mouvement – une initiative « rafraîchissante », selon lui.
Il n’est en vérité pas très difficile d’établir les liens, même s’ils ne sont pas affichés, qui unissent Emmanuel Macron à l’Institut Montaigne. Il suffit de se rendre sur le site Internet que le ministre de l’économie vient d’ouvrir, pour présenter son mouvement. Il est ici : « En marche ». On peut ensuite consulter la page de ce site qui en présente les mentions légales : elles sont là.
On découvre alors que le « directeur de la publication » du site Internet du mouvement s’appelle Véronique Bolhuis, et que « ce site est édité par En Marche, association loi 1901, 33 rue Danton, 94270 Kremlin-Bicêtre ». Or le nom de la directrice du site – qui préfère visiblement l’appellation de… directeur – comme l’adresse révèlent les coulisses cachées de la création du mouvement d’Emmanuel Macron.
Véronique Bolhuis est en effet la compagne de Laurent Bigorgne (on peut trouver son profil ici), qui est le directeur de l’Institut Montaigne. Et l’association « En marche » a pour domiciliation l’adresse du… domicile privé de Véronique Bolhuis et Laurent Bigorgne. CQFD ! Le directeur de l’un des mouvements patronaux les plus influents héberge bel et bien, avec sa compagne, le mouvement politique créé par le ministre de l’économie. Nous avons téléphoné au numéro indiqué sur cette page de mentions légales pour les contacts de presse, et l’on nous a confirmé, avec un peu de gêne, ce que cachait cette adresse au Kremlin-Bicêtre. En bref, l’Institut Montaigne roule donc pour Emmanuel Macron. À moins que ce ne soit l’inverse…
Quelques instants après la mise en ligne de notre article – pas plus de cinq minutes –, le site Internet d’Emmanuel Macron a, certes, modifié le texte figurant dans les mentions légales : le nom de Véronique Bolhuis a disparu comme l’adresse précise. Mais nous avions évidemment pris la précaution de faire une capture d’écran du site dans sa première mouture. Voici donc la présentation initiale des mentions légales et la présentation corrigée :
(Pour visualiser les deux présentations, avant et après correction, cliquer sur l’image ci-dessous et faire glisser le curseur de droite à gauche ou de gauche à droite)
Avant/après
On se dira certes que cela n’a rien de très surprenant. Car l’Institut Montaigne est l’un des « think tanks » réactionnaires du patronat qui pèse le plus sur la vie publique. C’est lui par exemple qui a inventé ce « choc de compétitivité » que Nicolas Sarkozy avait repris à son compte, et que François Hollande avait dénoncé lors de la campagne présidentielle, avant de retourner sa veste, et d’en faire l’axe majeur de sa politique économique.
On comprend donc que le président du Medef, Pierre Gattaz, ait chaleureusement applaudi, ce jeudi matin, sur France Inter, la création de ce mouvement « En marche ».
Si le patron des patrons s’est montré si enthousiaste, jugeant que cette initiative était « rafraîchissante » – il a répété deux fois le terme –, c’est en effet qu’il s’agit d’une histoire de famille. Ancien associé gérant de la banque Rothschild, ministre du patronat, Emmanuel Macron crée, sans grande surprise, un mouvement politique fait pour défendre les intérêts de ceux dont il est le mandant. La petite cachotterie sur l’appui logistique dont dispose le ministre met donc au jour l’autre supercherie de l’opération, quand Emmanuel Macron prétend que son mouvement sera ni de gauche ni de droite. Pierre Gattaz dit cela aussi sans cesse du Medef. Et comme on le sait, on n’est pas obligé de le croire…
Avis donc aux amateurs ! Il est possible d’adhérer à l’association « En marche ». Mais mieux vaut savoir avant que c’est une annexe de l’Institut Montaigne et du Medef…
Dimanche 10 avril, soit trois jours après la mise en ligne de cet article, Emmanuel Macron nous a fait parvenir une déclaration contestant notre récit. Voici les commentaires que nous a fait adresser le ministre de l’économie : « L’article que vous avez consacré à « En Marche » le jeudi 7 avril contient plusieurs inexactitudes factuelles d’autant plus graves qu’elles vous ont permis de lui donner une orientation fausse et biaisée. Contrairement au titre de l’alerte envoyée à vos abonnés, En Marche n’a jamais été domiciliée à l’Institut Montaigne : cette association a été domiciliée au domicile privé de Véronique Bolhuis, qui est une amie personnelle et qui a accepté à ma demande de faire partie de l’équipe de préfiguration de « En Marche ». Mme Bolhuis est également la femme de Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne, mais cela ne saurait vous autoriser à faire un tel raccourci puisqu’il conduit à travestir totalement la réalité. Par ailleurs, contrairement à ce que vous avancez, « En Marche » n’a bénéficié d’aucun soutien logistique, encore moins « important » ni même « discret » de la part de l’Institut Montaigne car les choses sont très simples : En Marche n’a et n’a jamais eu aucun lien d’aucune sorte avec l’Institut Montaigne. Il est dommage que vous ayez choisi de publier ces erreurs après qu’elles eurent été démenties par l’équipe d’En Marche : il me semble que le travail de vérification qui est au cœur du métier de journaliste ne s’arrête pas à écouter les gens au téléphone, mais va jusqu’à corriger les informations avancées lorsqu’elles se révèlent être des erreurs factuelles et objectives, comme c’est le cas en l’espèce »
Laurent Mauduit
Cet article a été complété une heure après sa mise en ligne, pour prendre en compte les corrections que le site Internet d’Emmanuel Macron a rapidement apportées à sa page indiquant ses mentions légales. Il a été modifié une seconde fois dimanche 10 avril, soit trois jours après la mise en ligne, pour prendre en compte les commentaires que nous a adressés Emmanuel Macron.
• 7 AVRIL 2016 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/070416/le-patronat-heberge-discretement-emmanuel-macron