En outre, il est prévu que 26 autres personnes comparaissent ultérieurement devant le tribunal dans la ville de Masvingo (sud-est) et dans la ville de Mutare (est).
La comparution devant le tribunal de Harare de ce vendredi fait suite à l’arrestation des syndicalistes le 11 octobre pour avoir tenté de manifester contre de nouvelles mesures fiscales mises en œuvre unilatéralement par l’administration du président Emmerson Mnangagwa, notamment la mise en œuvre d’une taxe de 2 % sur tous les virements électroniques dépassant 10 dollars et l’imposition de règles très strictes sur les comptes libellés en devises étrangères.
Le Zimbabwe ayant adopté le dollar américain (aux côtés des obligations) comme monnaie officielle à la suite de l’hyperinflation qui a fait perdre toute sa valeur au dollar zimbabwéen, les syndicats font valoir que ces deux mesures auront pour effet d’imposer encore davantage les travailleurs déjà accablés et de réduire les salaires et le pouvoir d’achat de travailleurs qui sont déjà en difficulté.
Les autorités zimbabwéennes ont profité d’une récente épidémie de choléra pour justifier l’interdiction de la manifestation du ZCTU ; cependant, d’autres rassemblements, tels que des manifestations sportives et des fêtes du parti Zanu PF, se sont déroulés sans entraves.
À l’issue d’une brève audience, Me Nyasha Vitori, magistrat du tribunal de Harare, a fixé la date du procès des dirigeants du ZCTU au 11 décembre 2018. S’ils sont reconnus coupables, ils sont passibles d’une peine de prison ferme de 10 ans.
Leur avocat, Alec Muchadehama de l’organisation Zimbabwe Lawyers for Human Rights, dont la demande de rejet de l’affaire a été refusée, déclare qu’ils demanderont un réexamen de la décision du juge par la Cour suprême. M. Muchadehama soutient que les arguments invoqués par l’État sont irrecevables, car ils se fondent sur le témoignage des policiers qui ont eux-mêmes procédé à l’arrestation.
L’arrestation des dirigeants et des activistes du ZCTU intervient dans la foulée d’un incident survenu le 1er août 2018, quelques jours seulement après les élections du 30 juillet, qui a vu l’armée tirer à balles réelles sur le siège du ZCTU à Harare, blessant un membre du personnel et brisant des vitres. Ce jour-là, sept personnes ont perdu la vie lorsque l’armée a réprimé les protestations des sympathisants de l’opposition qui dénonçaient les retards dans l’annonce des résultats du scrutin.
class=« spip »>Une longue histoire d’oppression
Les récentes attaques contre le mouvement syndical zimbabwéen s’inscrivent dans le prolongement d’une longue histoire de répression contre le syndicalisme dans ce pays. « Zvakawoma kudaro, ndoo kubasa kwedu », qui se traduit librement par « bien que difficile, c’est notre travail » est le slogan du ZCTU. Et pour cause.
Les relations entre le Zanu PF, qui dirige le Zimbabwe depuis qu’il a obtenu l’indépendance contre les colons blancs en 1980, et le ZCTU ont commencé du bon pied lors de la fondation de l’organisation syndicale en 1981. Cependant, elles se sont détériorées à la fin des années 1980 et au début des années 1990 lorsque le ZCTU s’est fermement opposé à l’adoption d’un Programme d’ajustement économique et structurel par le parti au pouvoir.
Au fil des années, le Zanu PF a fait échouer à plusieurs reprises toute tentative des syndicats de défendre les travailleurs, et ce, en faisant tout ce qui est en son pouvoir, que ce soit en consacrant des ressources insuffisantes au ministère du Travail ou en ayant recours à des agents de sécurité publique pour museler le travail des syndicalistes. Il a souvent eu recours à une force excessive et à une violence mortelle. Le pouvoir et l’influence des syndicats ont également été durement affectés par des décennies de troubles économiques qui ont entraîné la perte de dizaines de milliers d’emplois. Par ailleurs, le ZCTU a perdu près des trois quarts de ses membres depuis les années 90.
Même si la Constitution du Zimbabwe garantit le droit de réunion, d’association, de manifestation, de pétition et à la liberté d’expression, le gouvernement du Zimbabwe continue de faire fi de ces provisions en attaquant les syndicalistes et autres activistes de la société civile.
La situation au Zimbabwe est tellement désastreuse que le 13 septembre a été déclaré « Journée de la violence policière ». Il commémore une attaque policière d’une violence inouïe contre les dirigeants du ZCTU à la suite d’une marche pour présenter une pétition au gouvernement le 13 septembre 2007.
Ce jour-là, 34 syndicalistes étaient arrêtés à Harare puis sévèrement battus par la police au cours d’attaques qui ont causé des blessures permanentes au secrétaire général Wellington Chibebe, des blessures à la tête au président Lovemore Matombo et un bras cassé à la Vice-présidente Lucia Matibenga.
Le responsable régional du ZCTU, Moses Ngondo et l’activiste syndical Tonderai Nyahunzvi sont décédés des blessures qu’ils avaient subies ce jour-là.
En 2009, l’Organisation internationale du travail (OIT) a mis sur pied une Commission d’enquête chargée d’examiner les droits syndicaux dans le pays après le témoignage accablant du ZCTU à la Conférence internationale du travail annuelle de l’OIT. La Commission a formulé plusieurs recommandations, notamment la nécessité d’une réforme législative, le renforcement des institutions nationales et du dialogue social ainsi que l’arrêt immédiat des arrestations, détentions, violences, tortures, intimidations et harcèlements dirigés contre les syndicats. Pour le moment, le gouvernement n’a mis en œuvre aucune de ces mesures.
class=« spip »>Nouveau système, mêmes problèmes qu’auparavant
Le conseiller juridique du ZCTU, Zakeyo Mtimtema, a déclaré à Equal Times que le harcèlement des syndicalistes au Zimbabwe se poursuit malgré les promesses du « nouveau système » du président Emmerson Mnangagwa (qui a accédé au pouvoir en novembre 2017 lorsque Mugabe a été renversé par un coup d’État) pour faire respecter les droits de l’homme.
« En ce qui concerne la protection de la liberté d’association et d’expression, il n’y a pas de différence entre la situation des droits des travailleurs sous Mugabe ou avec ce “nouveau système” », déclare M. Mtimtema. « Nous avons été témoins d’une violence brutale contre le mouvement syndical [de la part des deux administrations], en particulier contre le ZCTU. » M. Mnangagwa, en particulier, perçoit les investissements étrangers comme la clé pour mettre fin aux difficultés économiques du Zimbabwe et se montre hostile à toute personne ou à tout élément qu’il considère comme opposés à son objectif.
M. Mtimtema poursuit : « Le nouveau gouvernement n’a aucun respect pour sa propre constitution qui garantit ces droits. De surcroît, il ne respecte pas le droit international. Nous appelons la communauté internationale et les organisations syndicales internationales à rappeler le gouvernement du Zimbabwe à l’ordre. Toutes les transactions commerciales doivent se dérouler dans le respect des droits de l’homme et du travail », ajoute-t-il.
À ce jour, plus de 15 syndicats du monde entier ont écrit au président Mnangagwa pour exprimer leur préoccupation face à la répression, notamment la Confédération syndicale internationale (CSI), la CSI-Afrique et les fédérations syndicales d’Argentine, de Tunisie, des Pays-Bas et du Kenya.
Le président du ZCTU, Peter Mutasa, déclare à Equal Times que « le recours à la répression par le gouvernement dans le but d’imposer ses politiques toxiques aux masses » affecte non seulement les syndicats, mais aussi les citoyens en général. Ainsi, immédiatement après les élections de juillet, la police antiémeute a violemment chassé les vendeurs informels des rues de Harare, un geste que beaucoup ont assimilé à une revanche contre les vendeurs qui avaient soutenu le parti d’opposition de Nelson Chamisa, le MDC Alliance.
« Elles [les élites dirigeantes] ont besoin de ce pouvoir politique coûte que coûte pour protéger leurs intérêts économiques. Par conséquent, on observe une convergence nette entre les élites dirigeantes et les capitalistes qui s’opposent peut-être dans d’autres domaines, mais qui souscrivent aux mêmes politiques néolibérales », déclare-t-il.
En octobre de cette année, sans avoir consulté le Parlement, le Président Mnangagwa a présenté le Programme de stabilisation transitoire. Prévu jusqu’en décembre 2020, ce programme ouvrira la voie à la privatisation des entreprises publiques et parapubliques, ainsi qu’à la fermeture d’un certain nombre de ces entreprises. Les syndicats estiment que ces fermetures entraîneraient de nouvelles pertes d’emplois.
En outre, les autorités ont récemment approuvé un plan d’apurement des arriérés (de 2,2 milliards de dollars) dus par le Zimbabwe aux créanciers internationaux depuis la fin des années 90. En dépit d’une dette intérieure et extérieure de 17 milliards de dollars US, en plus d’un déficit commercial de 1,8 milliard de dollars US, si ce règlement est confirmé, il permettra au Zimbabwe d’emprunter encore plus de fonds auprès des institutions financières internationales telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI).
M. Mutasa déclare que le régime Mnangagwa se sert des prescriptions économiques du FMI et de la Banque mondiale pour justifier son non-respect flagrant de la Constitution, qui garantit la participation des citoyens dans les affaires économiques de l’État.
« Tant que les élites dirigeantes continueront à vouloir protéger leurs intérêts et que le FMI et la Banque mondiale feront pression pour le remboursement des prêts à tout prix, la répression continuera. Les travailleurs sont donc confrontés à la fois à la dictature politique et à l’autoritarisme économique, orchestré localement et à l’étranger. »
Le secrétaire général du ZCTU, Japhet Moyo, s’est également fait l’écho des opinions de M. Mutasa en affirmant que la nouvelle administration appliquait les pratiques tristement célèbres de Margaret Thatcher, ancienne première ministre du Royaume-Uni.
« Elle avait employé des tactiques antisyndicales et abrogé les lois du travail afin d’affaiblir la main-d’œuvre, et ce, dans le but de promouvoir son programme de privatisation. Ici, au Zimbabwe, la répression actuelle des syndicats est directement liée à l’objectif plus large de libéraliser l’économie et de satisfaire aux exigences du FMI et de la Banque mondiale », déclare-t-il.
Christopher Mahove
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