“Nous sommes des enfants d’ouvriers. Nous sommes avec vous.” Cette phrase était inscrite sur l’une des pancartes que portaient les étudiants de l’université d’Alameh Tabatabai (située à Téhéran) lors de leur rassemblement de soutien aux ouvriers et aux instituteurs [qui font grève depuis quelques semaines pour protester contre leurs salaires impayés ou pour demander une hausse de leurs revenus].
“Cette dernière année, beaucoup d’entre nous ont été condamnés à des peines de prison très longues”, explique l’un des étudiants. “Le climat sécuritaire dans les universités, les convocations et les interrogatoires ont étouffé le mouvement estudiantin. Malgré ces pressions, nous devons aussi revendiquer pour les droits des ouvriers et des instituteurs. Impossible de rester indifférents.”
“Si l’ouvrier parle, il est emprisonné”
Le 8 décembre, pour commémorer la Journée nationale des étudiants en Iran, 500 étudiants ont écrit une lettre ouverte au président, Hassan Rohani, lui demandant de respecter la Constitution. Dans un passage, on lit : “Nous avons voté pour un avocat [référence au doctorat en droit du chef de l’État], pas pour un juge ! Aujourd’hui, tous se sont alliés pour réprimer toute protestation en faveur des droits civiques. Réprimer les étudiants, les ouvriers, les instituteurs, les camionneurs, les derviches, les femmes, les militants écologiques… C’est cela qui se passe ces jours-ci.”
“L’ambiance répressive ne se limite pas aux universités. Elle est partout dans la société, explique l’un des signataires à Iranwire. Si l’ouvrier parle, il est emprisonné. Si l’étudiant proteste, il est condamné au tribunal. Dans cette lettre, nous mettons en garde contre la répression des manifestations civiques.”
Pendant les manifestations du début de l’année 2018 (à Téhéran et dans 80 autres localités, contre la vie chère et le blocage politique), de nombreux étudiants ont été arrêtés et condamnés à des peines de prison. Les signataires de la lettre au président Rohani évoquent le problème. “L’arrestation de plus de 300 étudiants, plus de cent ans de peines de prison additionnées et l’interdiction de sortir du territoire iranien sont des exemples évidents de la violence contre les étudiants”, peut-on lire dans ce communiqué où les signataires demandent l’annulation des peines prononcées contre les étudiants.
Cette lettre a été publiée alors que le président iranien a, le 5 décembre, soutenu, face aux étudiants de l’université de Semnan (Nord), que l’Iran détient “les universités les plus libres du monde” et que “la critique y est libre”.
Les signataires lui répondent ainsi : “Aujourd’hui, votre police, votre ministère du Renseignement et votre ministère de l’Intérieur, dans une concurrence désolante avec les centres de renseignement parallèles, se sont alliés pour fermer les bouches, couper les souffles. Or, vous ne faites que nier.”
Un étudiant militant explique que tous les gens qui ont pris part aux manifestations de ces derniers jours savent pertinemment bien qu’ils seraient convoqués par les cellules de renseignement dans leur université, voire suspendus ou renvoyés. “Nous savons que le risque d’être convoqués existe, mais nous avons signé cette lettre avec notre propre nom. Les ouvriers aussi sont au courant qu’ils seront arrêtés. Or, ils ne peuvent pas se passer de leurs droits”, dit-il.
Plusieurs rassemblements de soutien
Le 4 décembre, un autre rassemblement de soutien aux ouvriers a eu lieu dans l’université d’Amir Kabir (à Téhéran) auquel a participé Ali, étudiant en ingénierie spatiale, mais les protestataires ont été attaqués par les bassidjis [forces de sécurité fidèles au régime]. “Nous avions crié : ‘Libérez les ouvriers emprisonnés !’ Mais les bassidjis nous ont encerclés et criaient, tout en nous filmant : ‘Semeurs de sédition ! Hypocrites !’ Ça a donné lieu à des échauffourées”, explique Ali.
Pour cet étudiant, la collaboration entre les bassidjis, les agents de renseignement de l’université, le ministère du Renseignement et les gardiens de la révolution [milice du régime] est aujourd’hui “claire et nette pour les étudiants”.
Dans un autre communiqué, un groupe d’étudiants a parlé, le 4 décembre, de l’amplification des pressions sécuritaires sur les universités : “La présence continue des agents de renseignement en civil dans les universités, les dossiers de plus en plus épais avec des accusations sécuritaires ou disciplinaires, des problèmes de logement créés pour les étudiants qui vivent dans les dortoirs universitaires, l’intimidation des familles, notamment celles des étudiantes, se sont multipliés de manière affligeante.”
Selon un étudiant militant, “les officiels nous ont promis la libération des étudiants à des multiples reprises, mais certains sont toujours en prison, dont Rouhollah Mardani, qui a entamé une grève de la faim le 7 décembre”. Cet étudiant en littérature à l’université de Téhéran est emprisonné depuis onze mois pour avoir participé à une protestation du début de l’année. “C’est la troisième fois qu’il fait une grève de la faim, explique l’étudiant interrogé à propos de Rouhollah Mardani et qui préfère garder l’anonymat. Les deux premières fois, il a arrêté sa grève parce que les responsables lui ont promis sa libération. Ils avaient menti.”
Shima Shahrabi
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