“Un tremblement de terre qui secoue le pays”, “le début d’une croisade féministe en Argentine”, “le Me Too argentin”, “l’amorce d’un changement d’époque”… La presse hispanophone est unanime : l’Argentine connaît une nouvelle ferveur féministe. “C’est le témoignage de l’actrice Thelma Fardin qui a servi de détonateur”, explique le quotidien vénézuélien El Universal. La comédienne a publié une vidéo, mardi 11 décembre, dans laquelle elle affirme que l’acteur Juan Darthès l’a violée lors d’une tournée au Nicaragua en 2009. À cette époque, Thelma Fardin avait 16 ans et jouait dans la série TVjeunesse Patito Feo (De tout mon cœur en français) avec Juan Darthès, alors âgé de 45 ans.
Depuis, à la manière du hashtag #MeToo, une nouvelle expression s’est répandue sur les réseaux sociaux : #MiráCómoNosPonemos (“Regarde dans quel état tu nous mets”). Le quotidien espagnol El Diario relate :
À la télé, sur les réseaux sociaux et dans les réunions, tout le monde ne parle que de ‘Mirá cómo nos ponemos’. C’est un appel et un mouvement, une réappropriation de ce que, selon le témoignage de Thelma Fardin, lui avait dit l’acteur Juan Darthès avant de la violer alors qu’elle était mineure : ‘Regarde dans quel état tu me mets’.”
Viral, le hashtag est devenu le slogan utilisé par les actrices qui osent, à leur tour, témoigner, notamment d’autres victimes présumées de Juan Darthès.
“Les actrices [du collectif Actrices Argentinas, qui a soutenu Thelma Fardin] ont reçu, dans les vingt-quatre heures qui ont suivi la publication de la vidéo et la publication [de leur] manifeste, plus de 30 témoignages”, poursuit El Diario. Un triste constat qui concorde avec une étude menée par la Fondation Sagai, selon laquelle 66 % des actrices argentines ont déjà été victimes de harcèlement ou d’abus sexuels dans leur carrière.
Les mineurs pas suffisamment surveillés
Pour le collectif Actrices Argentinas, #MiráCómoNosPonemos incarne un tournant : “Le silence sur les violences faites aux femmes est terminé”, résume le quotidien péruvien El Comercio.
À la suite des témoignages, “et tout au long de la semaine, des mesures de protection ont commencé à se mettre en place”, remarque le quotidien argentin La Nacion. La Camara Argentina de Productoras Independientes de Television, par exemple, a annoncé travailler sur la confection d’une procédure qui aiderait les producteurs à gérer les dénonciations en cas d’abus et de violences, et à mieux accompagner les victimes. Pour Actrices Argentinas, un protocole particulier pour prévenir les abus lorsque des mineurs sont impliqués est plus important encore. En témoigne El Comercio :
En plein scandale, le ministère de la Justice et des Droits humains a annoncé, vendredi dernier, que les appels téléphoniques pour dénoncer des cas de violences envers les mineurs ont augmenté de 1 240 % depuis l’annonce du collectif.”
Une étincelle qui va mettre le feu aux poudres
Toujours selon Actrices Argentinas, il ne faut pas voir #MiráCómoNosPonemos comme une extension argentine du mouvement #MeToo. Dans El Diario, Marina Glezer, une actrice membre du collectif, prévient :
Il ne s’agit pas d’une vague de dénonciation pour dire que ça nous est arrivé aussi. Ce hashtag exprime la volonté de dire stop. Ça suffit. Respectez-nous. Nous sommes des femmes douées de raison.”
Le journal espagnol rappelle que si “le cas de Fardin a eu l’effet d’un détonateur, la mèche était allumée depuis longtemps”. Cette année déjà, de grandes mobilisations féministes ont eu lieu en faveur du droit à l’avortement en Argentine. Même si, après que la Chambre des députés a validé le droit à l’avortement, le Sénat a finalement décidé de ne pas dépénaliser l’IVG cet été.
El Diario persiste : la tradition militante est très forte en Argentine. “La résistance à la dictature reste très présente. Nous savons que nous n’avons pas d’autre choix que de nous faire entendre et de nous battre”, insiste dans les colonnes du quotidien espagnol Ale Bavera, actrice également membre du collectif. La journaliste et militante Julia Mengolini renchérit en parlant d’une “longue histoire du féminisme”, tout en soulignant qu’il y a “eu un avant et un après la mobilisation contre le féminicide ‘Ni una menos’ [‘Pas une de moins’] de 2015”. De grandes manifestations avaient eu lieu en juin 2015 pour dénoncer les violences faites aux femmes.
Ce nouvel épisode, #MiráCómoNosPonemos, est “une étincelle qui pourrait mettre le feu aux poudres et pas seulement à la télévision”, estime El Comercio. Et La Nacion d’avertir :
Cette onde de choc se propage à la vitesse de la lumière vers d’autres milieux (comme la politique) – deux sénateurs, Jorge Romero (proche de La Cámpora) et Juan Carlos Marino (Union Civica Radical) ont été accusés d’abus sexuels vendredi dernier et ont démissionné – et pourrait même devenir l’un des thèmes centraux de la prochaine campagne électorale [la présidentielle devant se tenir en octobre 2019].”
Audrey Fisné
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