Le mouvement des gilets jaunes et de la jeunesse revêt une résonance puissante à la Réunion, département français à plus de 9000 kss de Paris, car s’y expriment toutes les justes colères nées d’un néo colonialisme actif et d’inégalités colossales.
Une décolonisation jamais aboutie
Accaparée par la France en 1640, l’île alors inhabitée est ensuite peuplée d’une poignée de colons et d’esclaves noirs arrachés à leurs terres du Mozambique et de Madagascar pour l’implantation de champs de caféiers puis de canne à sucre. L’abolition de l’esclavage, en 1848, ne change pas la donne économique et sociale dans la colonie:la grande masse des habitants survit dans une misère totale, une oligarchie blanche de grands propriétaires terriens et de commerçants s’enrichit considérablement. Les structures organisant la dépendance à la métropole sont maintenues. En 1946, l’île devient département (DOM) censé marquer son intégration à la métropole. Seul le PCR, défend l’autonomie politique, c’est à dire l’indépendance.
« Les enfants de la Creuse »
L’État français mettra en œuvre un processus d’une violence inouïe entre 1963 et 1982. Environ 2200 enfants, abandonnés ou non, sont déportés sur le continent. Il s’agit à la fois, pour Michel Debré ministre instigateur de ce scandale politique, de limiter autant que possible ce qu’il appelle avec un mépris absolu et raciste « la fécondité noire » jugée dangereuse et de repeupler des départements de la métropole en déclin démographique. Dont la Creuse ainsi que plusieurs autres au Centre de la France. Ces rafles d’enfants, tues pendant des années, sont aujourd’hui en partie documentées par des chercheurs notamment réunionnais à partir des témoignages des « enfants de la Creuse » ayant survécu au déracinement culturel et familial, au froid, aux racismes et ...aux orphelinats français de cette époque ! Aujourd’hui, ils portent plainte contre l’État français, certains sont sur les barrages de cet hiver 2018. La blessure de cette politique criminelle et colonialiste reste vive.
Et toujours la misère pour une majorité des 870 000 habitants, l’abondance pour d’autres
23% des habitants sont au chômage (9% sur la métropole) ainsi que 60% des moins de 30 ans, 40% vit sous le seuil de pauvreté. Le revenu moyen des ménages est de 1458 euros par mois à la Réunion contre 2159 sur le continent (chiffres du ministère des finances) alors que les prix de produits de première nécessité sont plus élevés sur l’île. Les transports en commun sont quasi limités aux « cars jaunes » qui desservent les zones côtières et touristiques dans ce territoire montagneux qui ne se prête guère aux transports doux...La voiture, qui coûte cher, reste le principal moyen de locomotion. D’où trois axes revendicatifs autour de mesures radicales pour l’emploi, contre la vie chère et contre les taxes.
En 2016, le CICE a été versé à un taux plus important que celui de la métropole (9,6% au lieu de 6) au patronat installé sur l’île. Soit 120 M euros pour « investir, recruter et gagner en compétitivité » selon les données du site du ministère de l’Outre-Mer. Le résultat sur l’emploi n’est pas visible. De même les choix anciens (cultures intensives de canne et de café) ou plus récents (tourisme massif et méthodes de pêche) bénéfiques pour le capital nuisent gravement au développement d’une économie et d’une agriculture respectueuses des besoins de la population et de l’île.
Timbo 974 ! (Réunion debout)
Alors les gilets jaunes bloquent le commerce (le port, l’aéroport,la route nationale), la préfecture et les institutions « nationales ». Lorsqu’elle les reçoit, la ministre de l’outre mer affirme « comprendre cette colère normale », mais oppose un refus net à des revendications de base comme la suppression de l’octroi de mer (taxe de 30%) sur les importations datant de l’ère de la compagnie des Indes (!) ou la levée du couvre-feu. Pire la répression policière s’intensifie avec l’arrivée d’unités de gendarmerie supplémentaires et les condamnations à de la prison fermes tombent ! Mais aujourd’hui les jeunes et les manifestant.e.s avec le soutien d’une très grande majorité de la population ouvrent une nouvelle ère dans l’histoire de la Réunion qui fera date.
Roseline Vachetta