Enfin ! Après trois semaines d’attente, la Chine peut célébrer l’alunissage réussi de la mission Chang’e 4. Jeudi 3 janvier à 10 h 26 heure de Pékin (3 h 26 à Paris), l’atterrisseur, qui avait quitté la Terre le 8 décembre, a touché le sol lunaire avec à son bord un engin d’exploration lunaire, au terme d’un voyage de vingt-et-un jours dans l’espace. Il a pris une première photo de la surface peu connue de la Lune, transmise par le satellite Queqiao envoyé dans l’orbite lunaire en mai 2018. Quelques heures plus tard, le patrouilleur a effectué ses premiers tours de roues sur la poussière lunaire.
« Un événement majeur dans la conquête spatiale », s’enthousiasme le quotidien nationaliste Global Times. Sur le plateau de la télévision nationale CCTV, le porte-parole du programme Chang’e 4 rayonne : « C’est un événement majeur pour la Chine, qui s’affirme comme grande puissance spatiale ! »
Ce succès est crucial pour le programme spatial chinois, en vue d’un premier vol habité à l’horizon 2022. Pour la première fois, Pékin n’est plus suiveur : tout ce qu’avait accompli le spatial chinois jusqu’ici avait déjà été réalisé par les Américains ou les Russes – les premiers à photographier la face cachée de la Lune en 1959 – il y a des dizaines d’années.
Gare aux cratères
« Dans le passé, les succès en matière d’exploration spatiale étaient réservés aux Etats-Unis et à l’URSS. L’alunissage réussi de Chang’e 4 montre que la Chine est aussi une puissance scientifique en matière d’exploration de l’espace profond », déclare au Monde Chen Xuelei, le directeur adjoint du département de cosmologie de l’observatoire astronomique national.
La Chine est enfin la première à poser un engin dans un territoire inexploré, peu connu, et posant des défis technologiques. D’abord parce que la face sombre de la Lune est aussi la plus hostile, avec son relief rugueux et des cratères profonds qui compliquent toute approche.
Ensuite parce que la communication avec un engin placé de ce côté de la Lune toujours caché à la Terre est difficile, la masse lunaire faisant écran aux communications radio. En mai 2018, Pékin avait donc envoyé un satellite, aujourd’hui positionné à 65 000 kilomètres derrière la Lune, pour assurer le relais dans les transmissions. « Le lieu, le moment, tout s’est déroulé exactement comme nous l’avions anticipé », a déclaré à la télévision nationale Sun Zezhou, l’ingénieur en chef de la mission.
Cette célébration nationale intervient après une longue attente dans un silence angoissé, car les risques sont nombreux pour une mission d’une telle difficulté. Les jours précédant l’alunissage, le programme spatial chinois n’a pas communiqué la moindre information : pas question de rappeler au grand public qu’une fusée chinoise pouvait aussi bien se poser avec succès que s’écraser, annihilant les espoirs de conquête spatiale chinois. Alors que la NASA propose des suivis en direct de missions moins importantes, seules les rumeurs permettaient d’estimer le moment où la sonde chinoise toucherait le sol lunaire.
C’est la deuxième mission chinoise à toucher la Lune, après Chang’e 3 et son « lapin de Jade » (Yutu) dont les aventures avaient captivé les Chinois en 2013. Un succès en demi-teinte puisque le robot s’était immobilisé après avoir parcouru une centaine de mètres seulement. Mais il avait continué d’envoyer des signaux par intermittence à la Terre pendant trente-et-un mois, donnant un coup d’accélérateur décisif au programme spatial du pays.
Chang’e 4 emporte avec lui six expériences scientifiques chinoises et quatre autres fournies par des équipes étrangères. Le rover, qui doit être baptisé prochainement suivant les résultats d’un concours ouvert au public, devrait collecter des données pendant un ou deux mois avant de rendre l’âme.
L’un des principaux intérêts de la mission sera l’exploration de l’univers. En effet, la position du rover sur la face cachée de la Lune ouvre une opportunité scientifique : abrités des signaux radio de la Terre, les engins embarqués à bord de la sonde devraient pouvoir capter des signaux encore inconnus.
« Les sons de l’Univers »
« Pour les astronomes, il s’agit d’un poste d’observation unique : on peut capter des signaux inaudibles sur Terre. Chang’e emporte avec elle des nouveaux détecteurs de spectre radio de fréquence basse, pour lequel nous avons collaboré avec les Pays-Bas. Nous allons pouvoir étudier l’explosion du Soleil, l’environnement de la Lune, les champs de basse fréquence des planètes du Système solaire, et écouter les sons de l’univers », s’enthousiasme Chen Xuelei.
Mais la mission première de Chang’e 4 reste l’exploration de la Lune, sa topographie et sa géologie, indique le professeur Chen. La sonde chinoise s’est en effet posée dans le cratère Von Karman, le plus ancien et le plus profond sur la Lune. Chang’e 4 pourrait permettre d’étudier les origines et l’évolution du satellite de la Terre. Le bassin pourrait aussi être riche en ressources minières, une possibilité de développement pour les missions spatiales chinoises à venir.
La mission en cours est une étape supplémentaire dans l’ambitieux programme d’exploration chinois. Chang’e 5 doit poursuivre l’exploration lunaire dès cette année en prélevant des échantillons de minerais pour les ramener sur Terre. D’ici à 2021, la Chine prévoit la mise en service d’un lanceur de fusée réutilisable.
Etape décisive pour Pékin
A moyen terme, Pékin prépare également le lancement d’une fusée capable de porter des charges plus lourdes que celle de la NASA, des vols habités dans l’espace, et une mission d’exploration vers Mars. De quoi venir concurrencer directement les ambitions spatiales américaines. En soi, l’exploration lunaire présente un intérêt scientifique limité, mais elle constitue une étape décisive dans la conquête spatiale.
Philippe Coué, spécialiste du programme spatial chinois et auteur de Shenzhou, les Chinois dans l’espace (L’Esprit du temps, 2013), estimait récemment que « l’intérêt scientifique de la Lune, pour la Chine, consiste à disposer de ses propres données pour préparer ses futures missions automatiques et habitées – connaissance des régions lunaires pour faire évoluer ses engins et pour rechercher les zones les plus intéressantes à exploiter sur les plans scientifique et éventuellement minier ».
Simon Leplâtre (Shanghaï, correspondance)