Les compteurs s’envolent : on estime à une centaine le nombre de “gilets jaunes” blessés gravement par les forces de l’ordre depuis le début du mouvement, il y a deux mois. “Selon les décomptes, une quinzaine de personnes ont perdu définitivement un œil après avoir reçu un projectile, détaille le journal suisse Le Matin.D’autres ont perdu une main, et beaucoup ont été touchées au corps, où les balles provoquent des hématomes aussi douloureux que spectaculaires.”
Si ce bilan fait parler chez nos voisins suisses, c’est parce que l’arme en grande partie responsable de ces blessures est de fabrication helvétique. “C’est une arme suisse qui éborgne les ‘gilets jaunes’ !”,titre ainsi Le Matin ce vendredi 18 janvier.
Un lance-grenades “made in Suisse”
Auparavant, les forces de l’ordre françaises utilisaient le “Flash-Ball”. Mais, explique le quotidien suisse, “depuis 2016, elles se sont équipées d’une arme plus sophistiquée fabriquée en Suisse par l’entreprise Brügger & Thomet [B & T] à Thoune. Il s’agit du LBD 40. LBD signifie ‘lanceur de balles de défense’ et ‘40’ désigne le calibre de 40 x 46 mm de toute une gamme de projectiles en caoutchouc, en mousse et aussi des lacrymogènes ou des fumigènes. À la base, il s’agit d’un lance-grenades automatique destiné à des applications militaires, transformé en une arme antiémeute ‘non létale’.”
Le Flash-Ball avait une portée d’une dizaine de mètres, quand le LBD 40 peut aller jusqu’à 50 mètres.“Surtout, le LBD 40, contrairement à son prédécesseur, se porte à l’épaule et s’accompagne d’un viseur électronique”, explique Le Matin. “Pour les manifestants, cela fait une sacrée différence.” Jacques Toubon, le Défenseur des droits, a une nouvelle fois demandé au gouvernement, jeudi, de suspendre l’utilisation du LBD 40 dans les manifestations en raison de sa dangerosité.
“C’est vrai, ça fait mal. Mais cela reste largement moins grave que des armes létales, se défend Karl Brügger, le président de B & T dans Le Temps. Et puis si les ‘gilets jaunes’ ne lançaient pas de cocktails molotov, ils ne se feraient pas non plus tirer dessus.” Le fabricant d’armes, que le journal suisse qualifie de “sulfureux”, a été condamné en 2018 pour avoir vendu des lance-grenades à la Nouvelle-Zélande, tout en sachant qu’ils allaient par la suite être revendus au Kazakhstan.
Malgré les graves blessures et la polémique, “la France désire acquérir davantage de lanceurs de projectiles”, relate Le Temps, qui écrit qu’en décembre, le Ministère de l’intérieur français a lancé un appel d’offres pour acquérir 1280 nouveaux LBD. “B & T vend son appareil à environ 1300 euros la pièce, précise le journal suisse. L’accord de vente en question porterait donc sur plus de 1,6 million d’euros.” Avant de conclure : “Le coût politique de l’utilisation du matériel suisse pourrait vite devenir insupportable.”
Corentin Pennarguear
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