Le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, a déposé sa démission qui sera effective au 1er février 2019. JY Kim avait été nommé à son poste en juillet 2012 par Barack Obama, et Donald Trump l’y a maintenu. Trump a développé avec Kim des intérêts privés notamment par l’intermédiaire de membres de sa famille. JY Kim quitte son poste à la Banque mondiale pour rejoindre un grand fonds d’investissement privé spécialisé dans le domaine des infrastructures [1].
Si le Conseil d’administration de la BM est censé élire son président pour un mandat de cinq ans, une règle tacite impose en réalité que ce poste soit réservé à un représentant des États-Unis, directement désigné par le président étasunien, au mépris de tout principe démocratique. Depuis 1946, douze hommes ont été nommés au poste, tous de nationalité étasunienne [2].
Une autre expression de l’influence des États-Unis au sein de cette institution réside dans les profils des « heureux élus », toujours très liés au grand capital, notamment financier. Se finançant très largement par l’émission de titres, la Banque mondiale est ainsi très dépendante, économiquement et politiquement, de ces mêmes banques et autres grands organismes financiers privés étasuniens. Dirigeant de la BM entre 1981 et 1986, Alden W. Clausen était président de la Bank of America – alors très fortement engagée dans la crise de la dette du Tiers Monde – juste avant et juste après son passage dans l’institution. Robert Zoelick occupait un poste majeur à la Goldman Sachs avant d’effectuer son mandat à la BM en pleine crise financière de 2007 à 2012. De même que Robert S. McNamara, ancien dirigeant de Ford Motor Company, participa allégrement au financement de régimes dictatoriaux et corrompus durant la guerre froide, au Vietnam et en RDC par exemple, tant lorsqu’il était secrétaire d’État à la Défense sous John F. Kennedy et Lyndon B. Johnson que sous sa présidence de la BM entre 1968 et 1981 [3].
La domination des États-Unis et de leurs alliés sur l’institution se poursuit. D’autres pays représentant 80 % de la population mondiale n’atteignent même pas 50 % des droits de vote
S’il jouissait d’une image plus policée de par sa formation universitaire en médecine et en anthropologie, JY Kim ne dérogeait pas à ces principes bien ancrés dans l’institution. En atteste notamment la politique structurelle qu’il a mené au sein de la BM depuis 2012. L’augmentation de capital de 10,5 milliards d’euros, validée en avril 2018 [4], a certes vu une redistribution des droits de vote au sein de l’institution, mais sans que cela ne remette en cause fondamentalement son fonctionnement. Disposant toujours de 16,89 % des voix, les États-Unis conservent de facto leur droit de veto (en cas de vote, il faut réunir une majorité équivalent à 85 % des voix pour qu’une décision soit prise). La domination des États-Unis et de leurs alliés sur l’institution se poursuit. D’autres pays représentant 80 % de la population mondiale n’atteignent même pas 50 % des droits de vote.
Plus largement, alors que le système capitaliste, principal responsable du réchauffement climatique et des inégalités entre les pays et au sein des pays, entrait en difficulté après la crise de 2007-2008, la BM de JY Kim a renforcé l’emprise des acteurs du grand capital financier par l’augmentation de ses prêts, désormais pratiqués aux taux du marché [5].
JY Kim a aussi œuvré à la promotion du « shadow banking » et de la titrisation – au cœur de la grande crise de 2007-2008 – pour financer le développement [6], tout en intensifiant le recours au secteur privé via la Société financière internationale (SFI), filiale de la BM réputée pour ses liens étroits avec les paradis fiscaux. La BM et JY Kim n’ont ainsi toujours pas tiré les leçons de l’échec cuisant des plans d’ajustement structurel et poursuivent le démantèlement et l’affaiblissement des structures publiques au profit d’entreprises privées dont les projets se traduisent par de graves infractions aux droits humains : accaparement des terres, répression, déplacement de populations [7], arrestations arbitraires ou meurtres afin de faire taire les mouvements de protestation [8].
Jim Yong Kim n’a en rien réformé la Banque mondiale en renforçant notamment l’emprise des acteurs du grand capital financier par l’augmentation de ses prêts, désormais pratiqués aux taux du marché
Défendant plus directement les intérêts de la plus grande puissance politique mondiale, en mai 2017 JY Kim participait aux côtés d’Ivanka Trump, fille du président misogyne milliardaire, à un voyage d’affaires en Arabie saoudite, allié politique historique des États-Unis. Cette visite a permis à la monarchie saoudienne, ultra-réactionnaire et piétinant les droits des femmes en permanence, de s’offrir une image progressiste à peu de frais, à travers une promesse de don au profit de la Women Entrepreneurs Fund. Bien sûr, c’est l’objectif même de ce fonds, lancé sous l’égide d’Ivanka Trump, de JY Kim et de Justin Trudeau, que de participer à l’accumulation de capital au niveau global en prétendant faire avancer l’émancipation des femmes.
Contrairement au portrait flatteur que certains lui prêtent, JY Kim n’a donc en rien réformé la Banque mondiale, qui défend depuis toujours les intérêts du capital et des pays les plus riches et puissants (États-Unis, Canada, Europe occidentale et Japon en tête) aux dépens des droits humains et de la préservation de la planète.
Suite à l’annonce de la démission de JY Kim et eu égard à la politique destructrice qui a sans exception été appliquée par la Banque mondiale depuis 1946, le réseau CADTM International :
– dénonce l’influence des États-Unis, de leurs alliés et du grand capital au sein de cette institution ;
– dénonce la très faible représentation des positions des pays dits « du Sud » dans les prises de décision ;
– rappelle que la Banque mondiale est un acteur majeur des problèmes politiques et économiques traversés par les peuples de la planète au travers notamment de l’imposition et l’approfondissement :
- de la prépondérance des marchés financiers et des grandes entreprises privées industrielles, de l’agro-business et du commerce ;
- des programmes Doing Business œuvrant à la précarisation du travail et Enabling Business of Agriculture faisant la part belle à l’agro-business qui participe des émissions de gaz à effets de serre, et entraînant les paysan-ne-s dans une spirale d’endettement insoutenable [9] ;
- des politiques de spéculation et d’accaparements de terres et de l’eau dont les populations du Sud sont les principales victimes ;
- des politiques de microcrédit imposant un fardeau de la dette tout aussi insoutenable aux femmes et populations du Sud ;
- des plans d’ajustement structurel, sous cette dénomination ou une autre, hier et aujourd’hui ;
– dénonce qu’en dépit de son caractère justiciable en vertu de la Convention des Nations unies de 1947 et de ses annexes, la Banque mondiale se place au-dessus des lois et des peuples en ne daignant jamais faire face à ses responsabilités devant les instances de justice compétentes [10] alors même qu’elle se retrouve régulièrement accusée de corruption, falsification de données, déni des droits humains fondamentaux et autres comportements répréhensibles ;
– affirme qu’en conséquence, la Banque mondiale ne peut en aucun cas représenter un allié pour les peuples du monde face aux défis climatiques, sociaux, politiques et économiques auxquels ils doivent faire face.
C’est pourquoi le réseau CADTM International appelle au renforcement des actions et mobilisations visant à :
- rompre tous les accords avec la Banque mondiale, et plus largement avec le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ces trois institutions travaillant de concert ;
- remplacer ces institutions par des institutions démocratiques refusant la recherche du profit et mettant la priorité sur la satisfaction des droits humains fondamentaux et la solidarité dans les domaines du financement du développement, du crédit et du commerce international ;
- mettre en place un front uni des pays du Sud contre le remboursement des dettes illégitimes ;
- approfondir cet élan en sortant du système capitaliste – basé sur la recherche du profit, la croissance à tout prix, l’individualisme et la destruction des êtres vivants et de la nature – afin de construire une société où les nécessités sociales et environnementales sont au cœur des choix politiques.
Le réseau CADTM international, le 11 janvier 2019