L’annonce du départ en exil du député de Rio de Janeiro Jean Wyllys pour « sauver sa vie » a terrifié bien des militants brésiliens des droits de l’homme. C’est par la presse et depuis l’étranger que le député, figure du mouvement LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres), a annoncé qu’il ne rentrait pas dans son pays pour les « quatre prochaines années », le temps du mandat du nouveau président, en raison des menaces de mort qu’il ne cesse de recevoir. « Pendant la campagne électorale, il y a eu au moins quatre morts LGBT par jour, et l’Etat ne reconnaissait toujours pas une violence homophobe. J’ai été particulièrement attaqué à cause des “fake news” lancées par le président, à tel point qu’une juge de Rio a pu suggérer, sur un groupe Facebook, mon exécution, sans que cela ne choque », a-t-il expliqué, jeudi 24 janvier, au journal Folha de S. Paulo.
Jean Wyllys, 44 ans, qui devait débuter son troisième mandat le 1er février, est le premier député ouvertement gay à avoir été élu au Parlement fédéral. Depuis 2010, il s’est imposé comme l’un des symboles de la lutte pour les droits des minorités sexuelles. Il a notamment affronté à de multiples reprises, et bien souvent seul, des députés évangéliques dont la présence au Parlement a sensiblement augmenté ces dix dernières années. Malgré tous ceux qui brandissaient la Bible devant ses propos, Jean Wyllys a obtenu l’abrogation de plusieurs articles du code civil brésilien, permettant ainsi l’union civile entre personnes du même sexe. Il s’est aussi battu des années pour une loi permettant aux prostitués de bénéficier d’une retraite après vingt-cinq ans d’activité.
Echange de crachats
Même si seuls deux des 51 projets de loi qu’il a rédigés ont été approuvés, le député a pu mettre au centre des débats des questions bien souvent taboues comme le sida, la violence contre les femmes ou les difficultés de la population transsexuelle. Ce faisant, il s’est aussi attiré la haine de ses collègues, dont un certain Jair Bolsonaro et son fils Eduardo, alors tous deux députés et connus pour leurs propos homophobes.
Les tensions entre eux sont apparues au grand jour lors du vote au Parlement de la destitution de l’ancienne présidente Dilma Rousseff en 2016. Alors que Jair Bolsonaro venait de dédier son vote à feu le colonel Ustra, qui dirigeait le centre où Mme Rousseff avait été torturée sous la dictature (1964-1985), Jean Wyllys monte au pupitre pour, sous les insultes homophobes, se dire « terriblement outré de participer à cette farce » « soutenue par des bourreaux et des analphabètes politiques », référence aux Bolsonaro père et fils. Son discours se termine par un échange de crachats avec Eduardo Bolsonaro et fera du député de gauche la bête noire des électeurs de Bolsonaro.
Durant la campagne présidentielle, le nom de Wyllys revient régulièrement dans la bouche du futur président. Selon Jair Bolsonaro, le député est le responsable, aux côtés du candidat de la gauche Fernando Haddad, alors ministre de l’éducation, de l’élaboration de ce qu’il nomme comme un « kit gay » : un manuel d’éducation contre l’homophobie qui n’a en réalité jamais vu le jour, mais qui selon ses dires « encourage l’homosexualité chez les élèves ». Sur les réseaux sociaux, Jean Wyllys devient un « pédophile à abattre ». « Même si j’ai déjà gagné cinq procès en diffamation durant cette campagne, ils ne répareront jamais les dégâts provoqués en détruisant ma réputation », a-t-il expliqué dans ce même entretien avec la Folha de S. Paulo.
« Tu es le prochain »
C’est désormais sa vie qui est en jeu. En mars 2018, Jean Wyllys reçoit des menaces très claires : « tu es le prochain » – juste après le meurtre de sa collègue de parti et amie, Marielle Franco. Il est placé sous la protection de trois policiers fédéraux, se déplace en voiture blindée. Pendant près d’un an, les enquêteurs s’interrogent sur les motifs du brutal assassinat de la conseillère municipale de Rio de Janeiro : Marielle a-t-elle été tuée en raison de son orientation sexuelle ? De sa lutte en faveur des favelas ? De son engagement contre les milices, ces groupes paramilitaires composés de policiers qui règnent sur la zone ouest de Rio ?
« C’est effrayant de savoir que la famille d’un tueur à gages a travaillé dans le cabinet du fils du président qui m’a toujours calomnié »
Après presque un an d’enquête, les policiers croient désormais à la troisième hypothèse. Mardi 22 janvier, la police civile a monté une opération baptisée « Intouchables » et émis huit mandats d’arrêt contre des miliciens suspectés d’avoir participé à son assassinat. Le Brésil découvre alors que le député Flavio Bolsonaro, le fils aîné du président, a rendu hommage à deux d’entre eux à l’Assemblée de l’Etat de Rio. Et apprend que la mère et la femme d’un autre de ces miliciens, toujours en fuite, ont travaillé pendant dix ans au sein de son cabinet parlementaire. La menace de trop pour Jean Wyllys. « C’est effrayant de savoir que la famille d’un tueur à gages a travaillé dans le cabinet du fils du président qui m’a toujours calomnié », déclare-t-il encore à la Folha.
Son suppléant, le conseiller municipal de Rio et militant LGBT David Miranda, siégera à sa place le 1er février, à Brasilia. M. Miranda, marié depuis treize ans au journaliste d’investigation américain Glenn Greenwald – qui publia les révélations d’Edward Snowden sur le renseignement américain en 2013 –, est aussi une des cibles préférées du clan présidentiel. Les Bolsonaro ont immédiatement ironisé sur le départ de Jean Wyllys. « C’est un grand jour », a écrit le président sur Twitter. « Sois heureux et que Dieu t’accompagne », a renchéri son plus jeune fils, Carlos.
David Miranda ne cache pas son appréhension face aux risques qui l’attendent à Brasilia : « J’ai également connu bien des menaces et je sais qu’il y en aura d’autres. Si je dois me protéger, je le ferai. Jean a fait deux excellents mandats et je dois continuer son travail qui a toujours été de défendre nos droits », a expliqué le futur député. En quelques heures, son nom et celui de son mari ont déjà fait l’objet de très nombreuses « fake news » sur les réseaux sociaux. A l’ère Bolsonaro, les noms changent mais les méthodes restent les mêmes.
Anne Vigna (Rio de Janeiro (Brésil), correspondance)