Comment comprendre que l’ETA dise maintenir le cessez-le-feu alors qu’elle vient de le rompre avec l’attentat de Madrid et se dit prête à faire d’autres attentats tout en maintenant le cessez-le-feu ?
C’est à l’ETA de réaliser une explication de texte détaillée de propos qui lui appartiennent. En ce qui nous concerne, nous pensons que le contenu fondamental de son dernier communiqué est que l’ETA réitère sa volonté de poursuivre le cessez-le-feu et réaffirme les engagements pris le 24 mars dernier. Au lendemain de l’attentat de Madrid, nous avons fait appel à l’ETA pour qu’elle confirme son cessez-le-feu, et aux gouvernements espagnol et aussi français afin qu’ils garantissent les conditions démocratiques minimales pour le déroulement d’un processus de paix. A ce jour, l’ETA a répondu favorablement à notre appel et nous estimons qu’il y a une opportunité pour relancer le processus de paix. Par contre, nous n’avons pas de réponse de la part des gouvernements. Pourtant, il est évident que pour arriver à la paix en Pays Basque, il n’y a pas d’autre alternative que de reprendre le processus. Il est temps d’engager un vrai processus de paix, dans les paroles et dans les actes, sans qu’aucune des parties n’ait à subir des violences.
Vous conviendrez que c’est quelque peu ambigu de confirmer une trêve et de se dire prêt à « répondre aux agressions ». Est-ce que cette situation ne pose pas un problème de crédibilité ?
Le problème de crédibilité se pose depuis de longs mois. Dès septembre, nous tirions la sonnette d’alarme en soutenant que le processus de paix était bloqué et qu’il était en crise. Plus encore, au mois de décembre, nous indiquions que le processus de paix n’était plus viable dans ces conditions. Pour qu’un processus démocratique puisse se dérouler, il est impératif que des conditions minimums soient respectées. D’une part, il faut que les gouvernements espagnol et français cessent toute agression, et d’autre part, il est nécessaire que le cessez-le-feu d’ETA reste en vigueur. Pour comprendre la situation actuelle on ne peut faire abstraction du fait que depuis neuf mois, les structures de la gauche abertzale et les militants politiques aient été constamment harcelés, menacés et incarcérés. Dans ces conditions, il est aisément compréhensible qu’un processus de paix ne peut avoir lieu. Parallèlement, il n’y a pas eu un seul signe de la part des gouvernements démontrant leur engagement dans le processus. La situation des prisonniers politiques basques n’a fait qu’empirer, à l’image d’Iñaki de Juana Chaos. Même Aznar en avait fait plus lors de la trêve précédente d’ETA, où un bon nombre de prisonniers avaient été rapprochés. Par ailleurs, en neuf mois de trêve aucun accord politique n’a été finalisé. Pour mener un réel processus politique, il doit s’attaquer aux causes réelles du conflit. C’est la seule voie possible afin d’arriver à la paix. Il n’y a pas d’autre alternative. La gauche abertzale est prête à s’engager dans ce processus démocratique, les gouvernements le sont-ils ?
Comment interpréter l’attentat de Madrid ?
Au moment où on apprend l’attentat de Madrid, on se pose une question essentielle. S’agit-il d’une fin de trêve ou d’un coup de semonce au sein d’un processus qui n’avance pas ? Le communiqué de l’ETA a confirmé qu’il s’agissait d’un coup de semonce. A partir de là une porte reste ouverte pour saisir une opportunité historique. Je tiens à souligner également que la mort de deux personnes lors de l’attentat de Madrid constitue évidemment un drame. La gauche abertzale qui pendant près de 40 ans a subi la perte de dizaines et de dizaines de militants sait mieux que quiconque la souffrance et le vide que laisse la disparition de proches et d’êtres chers. Nous travaillons justement afin que dans l’avenir plus personne n’ait à souffrir des conséquences d’un conflit politique qui n’a que trop duré.
La proposition d’Anoeta prévoyait deux tables de négociations. Jusqu’où sont allées ces deux tables ?
En ce qui concerne la table politique, nous ne disposons après neuf mois de trêve d’aucun accord politique finalisé pour mettre en place ce qui devait être un espace multilatéral de négociations permettant le déroulement du processus politique. Les bases pour le mettre en place n’existent pas aujourd’hui.
Comment sortir de cette crise ?
Chacune des parties doit prendre ses responsabilités, et faire preuve de maturité pour engager un réel processus de paix. La situation est très critique, mais nous pensons que la vraie question est d’abord celle d’une sincère volonté d’arriver à la paix. L’ETA vient de son côté de la réitérer. Existe-t-elle réellement de la part des gouvernements espagnols et français ? Par ailleurs quels que soient les obstacles et les difficultés, l’autre question de fond est de savoir si il y a une autre alternative pour le Pays Basque que celle consistant à aller de l’avant dans le processus de paix ? Nous, nous nous pensons que ce processus est possible et qu’il est plus que jamais nécessaire.
La proposition d’Anoeta invitait également le gouvernement français et les acteurs politiques français à une négociation sur l’avenir politique du Pays Basque nord. En revanche, il semblerait que le gouvernement français n’ait pas accroché.
Ce n’est évidemment pas par des arrestations, une dispersion accrue des prisonniers, l’emprisonnement inédit d’avocats, et des peines de prison records que l’on contribue à apaiser le climat en Pays Basque !Ce sont des atteintes très graves au processus de paix. La France semble même prête à franchir un nouveau pas historique, en remettant directement à la police espagnole les deux jeunes arrêtés à Ascain sans les juger en France, afin qu’ils se retrouvent le plus rapidement possible dans un commissariat espagnol, avec les conséquences que l’on connaît.
Paris n’a pas fait évoluer d’un iota sa position vis-à-vis du Pays Basque. Vu de Paris le Pays Basque est une réalité qui n’existe tout bonnement pas. La position de Paris envers le Pays Basque est une position de négation totale.
Vous vous attendiez à cette attitude de la part de la France ?
Honnêtement on s’attendait à quelques signes de la part du gouvernement français. On se souviendra qu’au mois d’avril dernier la ministre de la Défense Michèle Alliot Marie avait déclaré qu’une fois le cessez-le-feu vérifié, tous les sujets seraient discutés. En particulier aucune gestion dans le sens d’une prise des revendications locales et d’une reconnaissance du Pays Basque n’a été faite.
Le 27 janvier à Ustaritz Batasuna compte rendre publique sa proposition politique vis-à-vis de l’Etat Français. De quoi s’agit-il ?
Dans une situation où le processus de paix apparaît plus que jamais indispensable Paris doit changer d’attitude, car nous ne pourrons accepter une nouvelle phase de négation totale du Pays Basque Nord. A partir de là, nous voulons exprimer clairement ce que doit signifier en termes politiques et institutionnels le fait de reconnaître et de respecter le Pays Basque. Nous allons mettre sur table un cadre qui part de la réalité du Pays Basque nord, qui réponde aux besoins des habitants du Pays Basque. Nous partons du constat des conséquences quotidiennes de la négation actuelle du Pays Basque. La non-reconnaissance du Pays Basque nord a des conséquences sur la vie de tous les jours, que ce soit sur le logement, les infrastructures, l’emploi et le développement économique, l’enseignement supérieur, l’utilisation et la transmission de la langue, etc. La reconnaissance et le respect du Pays Basque qui doit en découler passent par un cadre qui nous dote des outils dont nous avons besoin.
Un département Pays Basque ?
Vu la situation actuelle de négation totale, il est indéniable que le département représente un pas permettant en particulier de fixer le territoire Pays Basque. Mais ce n’est pas le pas de la reconnaissance politique du Pays Basque et de son respect. En particulier, il ne répond pas en termes de compétences à une grande partie des problèmes auxquels est confronté le Pays Basque. Le département ne dispose pas, par exemple, de compétences en matière de langues, d’économie ou de relations transfrontalières. A défaut d’un changement d’attitude de l’Etat français, il est évident que l’obtention d’un cadre de reconnaissance politique d’Euskal Herria doté de réelles compétences passera notamment par une nouvelle phase politique qui implique l’engagement militant et la remise à l’ordre du jour de valeurs axées sur la lutte et le travail local et quotidien.
Pourquoi maintenant ?
Il y a évidemment d’abord le contexte global d’un processus de paix dont nous espérons qu’il ira de l’avant. Si c’est le cas cela signifie que la négociation politique elle aussi va progresser et qu’il est donc nécessaire de poser les bases de ce que serait le nouveau schéma politico-institutionnel pour Euskal Herria permettant de mettre en œuvre le droit de décider des Basques et un nouveau cadre de relations entre les territoires du Zazpiak Bat (les 7 provinces historiques sud et nord). Par ailleurs, nous avons devant nous un ensemble d’échéances électorales avec des élections législatives, municipales et cantonales, à l’issue desquelles va se mettre en place une nouvelle phase politique. Cette nouvelle phase coïncide avec la fin des travaux de Pays Basque 2010 et l’ouverture d’une nouvelle contractualisation. Notre point de départ est simple : nous ne pouvons accepter que cette nouvelle phase politique qui nous entraînerait jusqu’en 2014-2015 soit comme la précédente une phase de négation totale du Pays Basque par Paris. D’où la nécessité d’affirmer à nouveau quel est notre horizon politique en tant qu’abertzale et quels sont les termes de la reconnaissance et du respect du Pays Basque que nous entendons arracher à l’Etat français dans le cadre de la phase politique à venir.
Quelle est la portée de la proposition que vous rendrez publique le 27 janvier prochain dans le panorama abertzale actuel ?
Nous pensons qu’il est nécessaire de remettre à l’ordre du jour des valeurs axées sur la lutte et l’engagement militant. Cela étant, il est évident que le travail en commun entre abertzale et plus particulièrement entre abertzale de gauche est indispensable. Il est indispensable que nous allions de l’avant dans cette logique de travail en commun. A ce sujet, je crois qu’il y a deux types de débats qu’il nous faut aujourd’hui dépasser. Un vieux débat de stratégie au sein de la gauche abertzale articulé autour de la question « front uni/front unique ». Et un autre débat sur la nature de la stratégie nationale. Certains ont pu croire qu’une organisation structurée au niveau national, au niveau des sept provinces, voulait imposer les mêmes schémas partout et dans les mêmes termes. Même si à certains moments peut-être nos mots d’ordre ont pu laisser penser le contraire, il est clair pour Batasuna qu’une véritable pratique nationale consiste à pouvoir répondre aux situations différentes sur l’ensemble d’Euskal Herria qui seront d’autant plus efficaces qu’elles auront une logique et une cohérence d’ensemble qui s’inscrit dans une dimension nationale du Zazpiak Bat.
Est-ce qu’il y aura un accord pour les législatives entre Batasuna, AB, Eusko Alkartasuna et PNB ?
Nous avons bien avancé. Il ne nous manque qu’une dernière étape pour asseoir ces accords, qui consiste à les rendre officiels avant de les mettre en œuvre en termes opérationnels au niveau local en particulier. Nous espérons que cette situation de crise ne va pas changer l’engagement de certains partenaires. L’union des abertzale est très importante dans ces prochaines élections. Paris et les grands élus locaux n’ont pas fait de pas, mais la société en Iparralde a énormément évolué ces dernières années grâce au travail des abertzale. Le mouvement abertzale doit cueillir le fruit de son travail et il est important de montrer et de visualiser le poids important que représentent en réalité les abertzale en Pays Basque Nord. C’est tout à fait important si nous voulons justement aborder cette prochaine phase politique en situation de force. J’espère ainsi que tout le monde aura en tête cet intérêt commun sans s’arrêter à une situation conjoncturelle difficile qu’il nous faut surmonter, et que l’on surmontera.