Le parti Podemos est-il devenu un frein plus qu’un outil pour la conquête du pouvoir ? C’est en tout cas ce qu’a laissé entendre le cofondateur du parti espagnol de la gauche radicale Iñigo Errejon. Jusqu’alors candidat de Podemos à la présidence de la région de Madrid, il a annoncé le 17 janvier son intention de se présenter aux élections régionales de mai pour la plate-forme rivale de la maire de la capitale, l’ancienne juge indépendante Manuela Carmena, baptisée « Mas Madrid » (« plus de Madrid »). Cette décision a été vécue comme une trahison par le secrétaire général, Pablo Iglesias, et sa compagne et numéro deux de la formation, Irene Montero, dans un moment compliqué pour Podemos.
Mis à mal dans les sondages qui augurent un recul de cinq points par rapport aux élections de 2016 en cas de nouveau scrutin – à 16 % d’intentions de vote –, le parti est en proie à de nombreuses crises internes dans les régions. En Galice, en Navarre ou en Estrémadure, les divergences entre les différents courants quant aux orientations stratégiques de la jeune formation sont telles que Podemos y est sans cesse au bord de la rupture. En Cantabrie et dans La Rioja, les primaires pour désigner le candidat aux élections ont été suspendues par la justice après des plaintes de candidats. Et en Catalogne, quatre secrétaires généraux se sont succédé en quatre ans. Mais aucune crise n’a provoqué un séisme comparable à celle provoquée par le départ d’Iñigo Errejon.
Critiquant les « manœuvres » et le « complot » mené par M. Errejon, les dirigeants de Podemos l’ont invité à abandonner son siège au Parlement espagnol, ce qu’il a fait le 21 janvier. Et ils ont annoncé qu’ils présenteront leur propre candidat à la région de Madrid. Une opération risquée, qui pourrait provoquer l’implosion définitive du parti. L’inquiétude a poussé onze des dix-sept secrétaires généraux régionaux de Podemos à signer un texte commun, baptisé la « Déclaration de Tolède », dans lequel ils demandent d’« augmenter la confiance, l’enthousiasme et l’espoir (…). Il est l’heure de coopérer et non pas de rivaliser ».
L’« avertissement » des élections andalouses
Afin de mettre fin à la crise, qui s’est aggravée avec la démission du secrétaire général de Podemos dans la région de Madrid, Ramon Espinar, Pablo Iglesias a convoqué le principal organe de direction de la formation, le conseil citoyen, composé d’une soixantaine de membres, mercredi 30 janvier.
« Iñigo Errejon cherche à supplanter Podemos pour construire un parti plus large et qu’il contrôle. C’est avant tout une lutte d’appareil »
Figure et principal penseur du parti, M. Errejon, brillant et ambitieux docteur en sciences politiques, a expliqué sa décision en assurant que l’Andalousie, où une coalition du Parti populaire (PP) et de Ciudadanos a pris le pouvoir avec le soutien de Vox (extrême droite), a envoyé un « avertissement » et qu’il est « impossible de rester les bras croisés ». Aux élections andalouses du 2 décembre 2018, la coalition entre Podemos et la Gauche unie a en effet perdu trois députés et 300 000 voix, soit cinq points. Pour rebondir, M. Errejon propose de « dépasser les sigles du parti afin de mettre en avant les gens et la capacité d’unir des personnes très différentes ».
Surtout, il évite de se faire dicter sa liste électorale par la direction de Podemos, qui cherchait ces dernières semaines à lui imposer une numéro deux provenant du parti néocommuniste de la Gauche unie. « Iñigo Errejon cherche à supplanter Podemos pour construire un parti plus large et qu’il contrôle, résume un dirigeant de Podemos au Monde. C’est avant tout une lutte d’appareil ».
Cependant, tous, au sein de Podemos, font le même diagnostic : la gauche est démobilisée et le parti souffre de la fuite de ses électeurs, principalement vers l’abstention. Les raisons invoquées varient. Les uns pointent des décisions stratégiques, comme celle de ne pas entrer dans des gouvernements de coalition dans les régions où Podemos soutient les socialistes, de ne pas avoir soutenu en 2016 la première tentative d’investiture du socialiste Pedro Sanchez ou de faire alliance avec les néocommunistes de la Gauche unie (IU). D’autres mentionnent des erreurs personnelles des dirigeants, comme la décision de Pablo Iglesias et Irene Montero de soumettre au vote des militants leur décision d’acheter un luxueux pavillon avec piscine dans la grande banlieue de Madrid, ou le contrôle trop vertical qu’ils exercent sur le parti. D’autres, enfin, reconnaissent l’érosion provoquée dans ses rangs par le virage à gauche du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) sous la houlette du président du gouvernement Pedro Sanchez. Ce dernier se trouve actuellement en tête des sondages nationaux.
La crainte est d’être relégué à la position qu’occupait la Gauche unie, c’est-à-dire celle d’un parti sans perspective de remporter des élections. Pour freiner l’hémorragie et remobiliser les électeurs, Iñigo Errejon, défend une candidature transversale qui dépasse les clivages droite-gauche et entend disputer l’espace électoral traditionnel du PSOE. Au contraire, les anticapitalistes demandent un virage à l’extrême gauche afin de mobiliser les abstentionnistes. « Mas Madrid est une recomposition d’un centre gauche qui se veut plus moderne que le Parti socialiste », estime Miguel Urban, député européen et représentant du secteur anticapitaliste, qui plaide pour se différencier des « partis du système », et éviter de virer vers le centre, « ce qui nous ferait perdre notre espace électoral ».
Quant à Pablo Iglesias, issu des Jeunesses communistes, il navigue entre les deux positions, s’alliant avec les socialistes pour soutenir le budget, tout en conservant les formes et l’esthétique de l’extrême gauche traditionnelle. Le Parti socialiste observe cette crise de près : s’il ne voit plus son hégémonie menacée à sa gauche, il craint qu’un effondrement de Podemos ne compromette ses chances de rester au pouvoir après les prochaines élections, faute de disposer d’une force de soutien.
Sandrine Morel (Madrid, correspondance)