Manifestement, il faudra s’y faire. Le machin qu’est la Françafrique résistera et triomphera de toutes les promesses. Il y a un peu plus de dix ans déjà que Nicolas Sarkozy nous promettait la fameuse rupture avec les relations incestueuses que la France ne cesse d’entretenir avec l’Afrique [et ses ex-colonies] depuis plus d’un demi-siècle. Mais il n’y avait point réussi.
Son successeur François Hollande, lui non plus, n’avait pas résisté à la tentation décidément trop forte de faire copain copain avec certains des crocodiles du continent. Et Emmanuel Macron, qui n’est pourtant pas de cette génération, n’est pas lui non plus parti pour réussir là où ses prédécesseurs ont échoué. Ce, en dépit des engagements à la fois fermes et précis qu’il avait pris le 28 novembre 2017 à l’université de Ouagadougou au Burkina Faso.
“Un catalogue de bonnes intentions”
En effet, voilà que lui aussi s’est senti obligé de voler au secours du dictateur [tchadien] Idriss Déby [arrivé au pouvoir en 1990 avec l’appui de la France]. À ce rythme, on devrait cesser de prêter attention à ce qu’un dirigeant français dit quant à la réforme des relations franco-africaines. À chaque fois, il s’agit essentiellement d’un catalogue de bonnes intentions balancé à l’opinion pendant la période de campagne électorale et tout au début du mandat.
Une fois à l’Élysée, on se rend compte que certaines pratiques diplomatiques ont la peau plus dure qu’on l’imaginait. Et quelques actions d’éclat n’y changent rien. Pour Emmanuel Macron, on aurait pu se laisser impressionner par la restitution à l’Afrique de quelques œuvres dérobées durant la colonisation. Ou encore par la reconnaissance de la responsabilité de l’État français dans la mort de Maurice Audin [un militant communiste de l’indépendance de l’Algérie, disparu en 1957].
Mais en réalité, ces gestes, aussi symboliques soient-ils, demeurent superficiels. Le véritable changement de paradigme suppose un plus grand courage et un désir de changement plus manifeste.
Comme en 2008
Un véritable test grandeur nature pour le président français, c’était l’appel à l’aide qu’il a reçu le week-end dernier de la part du président Idriss Déby. [Dimanche soir, dans le nord du Tchad, une patrouille de Mirage 2000 français a mené des frappes contre une colonne armée venant de Libye voisine, de l’Union des forces de la résistance (UFR). Cette alliance de huit mouvements rebelles tchadiens a dénoncé l’ingérence de la France dans les “affaires internes” du Tchad.]
La rapidité avec laquelle Emmanuel Macron a volé au secours de son homologue tchadien est un indice quant à son incapacité à rompre avec cette tradition, en vertu de laquelle les troupes françaises viennent systématiquement au secours des dirigeants amis. Y compris si ces derniers ne sont ni le prototype de la démocratie, ni l’incarnation de la gestion vertueuse.
D’ailleurs, on se rappelle qu’en 2008, la capitale tchadienne avait été sauvée de justesse d’une invasion à la fois imminente et certaine. [Une colonne armée de l’UFR avait atteint le cœur de N’Djamena et failli renverser le président Déby. La France avait alors apporté une aide décisive aux forces tchadiennes, notamment en tenant l’aéroport et en permettant leur ravitaillement en munitions.]
“L’espèce de compromis à l’africaine”
Il est vrai qu’avec un peu de chance, Emmanuel Macron pourra aisément arguer qu’il s’agissait de terroristes. Mais force est de reconnaître que le rapprochement n’est pas très évident.
Ainsi, Emmanuel Macron, pas plus que ses prédécesseurs, n’a plus de respect et de considération pour l’Afrique elle-même. C’est pourquoi, lundi 4 février, son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian (encore lui), n’a pas sourcillé quand, évoquant le dénouement dans la crise postélectorale en République démocratique du Congo (RDC), il s’est abrité derrière “l’espèce de compromis à l’africaine” [pour justifier que le candidat déclaré vainqueur ne soit pas celui qui a sans doute recueilli le plus de voix].
Une expression qui sent le mépris à plein nez. Parce qu’en gros, pour le ministre français, l’Afrique est un continent dont le niveau d’exigence de qualité est un cran en dessous de celui du reste du monde. À vrai dire, on n’est pas très loin de la fameuse phrase [de Nicolas Sarkozy en 2007] selon laquelle“l’Afrique n’est pas assez bien rentrée dans l’histoire”. Et c’est loin d’être une simple coïncidence. Hélas !
Boubacar Sanso Barry
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