Si un apprenti scénariste tentait de pitcher l’affaire Benalla à un producteur.
– Ah non, pitié, pas toi… On t’a déjà dit qu’on n’en voulait pas de ton scénar pourrave avec le chirurgien des cheveux qui devient ministre de l’Économie.
– Non mais attends mec, j’ai eu une autre idée de scénar, un truc totalement nouveau. Je peux te le pitcher ?
– C’est encore sur un homme politique ?
– Non, pas vraiment. C’est pour montrer que l’ascenseur social en France et bah il marche toujours. C’est un film plein d’espoir pour la jeunesse.
– Je dors déjà.
– Non attends, en plus c’est un film international. Faut envisager une coproduction.
– Allez, vas-y. Fais-moi rêver.
– C’est l’histoire d’un jeune mec. Il s’appelle Alexandre.
– Comme dans le film de l’autre connard de Bergman ?
– Nan, rien à voir avec les Suédois constipés. Là, c’est l’inverse. C’est un jeune qui aime la vie, il la croque à pleines dents. Bon, alors, il est adolescent et il a une passion, c’est la sécurité.
– Personne n’a une passion pour la sécurité.
– C’est parce que t’as jamais vu le film Bodyguard. Lui, il l’a vu et ça a été la révélation. Il a trouvé sa vocation. Même qu’à 14 ans, il demande à faire son stage de troisième au service de protection des hautes personnalités. L’année suivante, il bosse à la sécurité du festival de Cabourg. T’imagines ? Il a 15 ans et il est garde du corps de Marion Cotillard. En 2010, il se dit que ok, c’est sympa les stars de ciné mais maintenant qu’il a 19 ans et qu’il est un homme, il veut élargir son horizon et faire la sécu des politiques. Alors il va au Parti socialiste (PS) et le directeur de la sécu du PS le prend sous son aile. Il bosse là-bas comme bénévole, en même temps qu’il fait des études de droit. Il se fait embaucher pour faire la sécu de Martine Aubry en 2011, puis de François Hollande en 2012, et après il devient même chauffeur de Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif.
– N’importe quoi ton truc.
– T’es super négatif comme mec. Sauf que là, première embrouille. Le ministre le vire en disant qu’Alexandre il a provoqué un accident de la route et qu’il a voulu prendre la fuite. Ou alors c’est Alexandre qui s’en va parce que le ministre veut faire du vélo. Je sais pas encore. Ensuite, il fait la sécurité du candidat Emmanuel Macron, parce qu’ils sont un peu pareils, ce sont des jeunes qui travaillent dans des milieux de vieux et qui veulent être chefs. Ils se lient d’amitié, et Alexandre il va suivre Emmanuel pendant toute la campagne. Main dans la main, ils vont gagner l’élection. T’imagines le truc ? Ils entrent ensemble à l’Élysée, c’est genre la consécration pour les deux. Alexandre devient chargé de mission du cabinet du président. Un gamin qui était juste tombé un jour à la télé sur un film avec Kevin Costner. C’est incroyable. C’est une success-story à la française. C’est le Citizen Kane de la sécurité. Alexandre, il est hyper heureux. Il a même un permis de port d’arme. Et il devient franc-maçon parce que bon, c’est la politique française hein.
– Le garde du corps il devient franc-maçon ?
– Le problème c’est qu’Alexandre, il voit grand, un peu trop grand. C’est le climax de l’acte 2. Il bosse à l’Élysée, il gagne 6.000 euros nets par mois. Mais il est gourmand Alexandre. Ça ne lui suffit pas. Avec son copain Vincent, qui est aussi dans la sécu et qui bosse comme salarié de La République en marche (LREM), ils sont en négociation pour passer un contrat de sécurité avec un homme d’affaire russe. C’est signé en juin. A priori, pourquoi pas. Ils doivent s’occuper de la sécurité du bonhomme en France. Son contrat, de trois mois renouvelables, tutoies les 294.000 euros. Le problème c’est que l’homme d’affaire, il est pas hyper recommandable. On comprend qu’il a besoin d’une bonne sécu : il est soupçonné d’être lié à la mafia russe, une organisation criminelle appelée Izmaïlovskaïa. Et puis c’est un peu tendu de s’occuper de la sécu du président de la République française et en même temps d’un Russe potentiellement proche de la mafia et du Kremlin. En plus, Alexandre et Vincent font un montage complexe pour passer ce contrat. Et ils embauchent dans leur affaire Chokri Wakrim, un ancien militaire qui bosse aussi dans la sécurité, et qui est en couple avec la cheffe de la sécu de Matignon.
– Tu fumes quoi ? Sérieusement ?
– Mais bref. La vie lui sourit avec tellement de dents qu’Alexandre, il imagine pas que ça pourrait mal tourner tout ça. Quand je te dis que tout va bien pour lui, c’est vraiment tout. Il vient d’avoir un bébé avec Myriam, sa meuf, qui bosse à LREM. Ils vont se marier dans quelques semaines. L’Élysée leur a accordé un nouvel appart à proximité du palais présidentiel. Ils vont pouvoir quitter Issy-les-Moulineaux. Il atteint un niveau de confort de dingue, il a même un badge d’entrée à l’Assemblée nationale parce qu’il aime bien la salle de sport.
Magouilles de l’Élysée à Issy-les-Moules
Mais il se prend pour le roi du monde, il déconne de plus en plus. Un peu comme un perso joué par Leonardo DiCaprio. À une manif de 1er mai, il porte un brassard de la police (il a pas le droit), il frappe un couple (il a pas le droit), et participe à des interpellations (il a pas le droit). Pas de bol, c’est filmé et en juillet, la vidéo sort. Et là, c’est le début de la merde. Déjà, le jour où il devait se marier, il peut pas parce qu’il est auditionné par les flics. Il admet qu’il a des armes, trois fois rien, un fusil à pompe et trois flingues. Ils sont dans un coffre-fort chez lui mais pas de bol, il n’a pas la clé de son appart. Pourquoi ? Bah j’en sais rien. C’est Myriam qui l’a mais elle est partie se reposer ailleurs, il ne sait pas où. Quand la police finit par pénétrer chez lui, suspens, surprise, paf, pouf, y a plus de coffre-fort. Il s’est volatilisé. Alexandre, il dit qu’il n’a aucune idée d’où est le coffre-fort qui contenait les armes et quelques autres petits papiers personnels sur ses affaires. Le coffre, sa compagne, son bébé, ses papiers, tout ça, pfft, il sait pas, mais quelques jours plus tard, il rapporte quand même les armes à la police.
Évidemment, il est viré de l’Élysée mais vu les soupçons de magouilles qu’il a aux fesses, il se dit que c’est pas grand-chose tant qu’on découvre pas le reste. Comme y a des journalistes en bas de son immeuble d’Issy-les-moules, et que finalement l’Élysée peut pas trop lui filer l’appart prévu, avec Myriam et le bébé ils sont hébergés quelques jours par un riche homme d’affaire syrien, Izzat Khatab qui serait vaguement un arnaqueur mais Alexandre, à ce moment-là, il est plus trop regardant sur ses fréquentations. Faut le comprendre aussi. Ensuite, ils vont passer les vacances d’été dans le château d’un homme d’affaire français qui a fait fortune en Afrique, Vincent Miclet. Ils s’amusent à faire du tir à la carabine et ils se disent des trucs, mais je sais pas encore quoi. Y a aussi son pote de la sécurité qui sort avec la cheffe de la sécu de Matignon. Bref, c’est une scène à développer.
Des rôles secondaires qui ne font pas le figurants
Et puis, il y a ses passeports. Ah oui, parce qu’Alexandre, il a la manie de collectionner les passeports. Il en a quatre, dont des diplomatiques. Il promet qu’il les a rendus à l’Élysée mais qu’on les lui a redonnés après et il s’en sert pour faire une vingtaine de voyages à ce moment-là. J’aimerais bien une scène où il irait au Tchad rencontrer le président tchadien, mais je sais pas trop encore pour faire quoi.
– Tu sais que ça n’a aucun sens ton truc là ?
– Moi je trouve ça crédible. La France, elle a encore plein de rapports avec l’Afrique.
– Ça s’appelle la Françafrique, je sais, merci. Mais qu’est-ce qu’un ancien chef de la sécurité qui a été viré irait foutre au Tchad pour parler avec le président ? Ils parleraient de quoi ? De Whitney Houston ?
– Mouais… Ok, cette partie est un peu floue. Mais on continue. Donc Alexandre, il ne se laisse pas abattre par ces quelques emmerdes. Il emménage avec Myriam à Londres et il voit plein de gens, par exemple Alexandre Djouhri qui, vu qu’il est soupçonné d’avoir participé à un financement libyen de la campagne de Sarkozy en 2007, est forcément un type qui va lui donner de bons conseils. Et puis Alex fait des voyages comme consultant. Israël, le Tchad, le Cameroun, le Congo-Brazzaville (ça ferait de belles images tout ça). Parce qu’il s’est trouvé un nouveau copain. Philippe Hababou Solomon, un vieux qui lui présente les chefs d’État et lui apprend à négocier la vente d’uniformes militaires. Ah oui, je t’ai pas dit, Hababou Solomon, il travaille à ce moment-là pour une entreprise soudanaise de textile, mais aussi pour le Qatar : il vient en Afrique vendre des tissus et parler des potentiels investissements qataris.
– Ok… Écoute, là, je ne sais plus quoi te dire…
– Nan, attends ! Je t’en supplie, j’ai pas fini ! Le meilleur arrive. Accroche-toi bien. Jusque-là, c’était une histoire plutôt classique. À la limite, Alexandre avait déconné, il avait été un peu trop gourmand avec la vie mais bon, ça peut arriver à tout le monde. Ensuite, le film prend un virage Watergate. Du coup, il faut des journalistes. Mediapart sort un enregistrement audio qui date de juillet où on entend Vincent et Alexandre discuter des dossiers qu’ils doivent faire disparaître, notamment ceux sur l’homme d’affaires russe. Peut-être les dossiers du coffre-fort, je sais pas encore trop. Déjà, c’est pas bien de vouloir détruire des preuves. En plus, au moment de cette discussion, ils n’ont pas le droit de se parler rapport à leur contrôle judiciaire à cause des gens qu’ils ont tapés à la manif du 1er mai.
Une histoire sans queue ni tête
Mais l’autre question –et c’est là qu’il faut jouer un max de suspens avec de la musique–, c’est : qui les a enregistrés ? Et pourquoi ? Matignon affirme que ce ne sont pas les services français. Est-ce que c’est une personne toute seule avec son téléphone ? La cheffe de la sécurité de Matignon ? Ou alors on part sur un film d’espionnage et on imagine que c’est un service étranger, genre les Russes ? Pour le savoir, le parquet décide de perquisitionner Médiapart. Ils espèrent trouver la source des enregistrements sous prétexte d’atteinte à la vie privée. Ou alors ils perquisitionnent pour faire peur aux sources qui alimentent les journalistes, je sais pas, j’hésite encore.
– T’es un ouf. Jamais le parquet ne perquisitionne un journal.
– Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Tu manques d’imagination, c’est tout. Mais bon, les journalistes, ils ne veulent pas donner leur source. Alors ça ne sert à rien. Ça fout juste un gros bordel où tout le monde se dit que tout le monde cache des trucs.
– Et ensuite ?
– Ah bah ça, j’en sais rien. J’en suis là de l’écriture.
– Tu te rends compte que ton histoire, elle n’a ni queue ni tête ? Faut vraiment que tu penses à un changement d’orientation professionnelle.
Titiou Lecoq