« Des figues en avril », tendre témoignage de l’immigration algérienne
Messaouda et son fils, le réalisateur Nadir Dendoune. Photo : Copyright MILLERAND
C’est l’histoire de 58 années passées en France, dans un HLM de l’île Saint-Denis, élevant à bout de bras ses neuf enfants. Messaouda est née en 1936, en juin, à cette période « où mûrissent les fèves ». A l’époque, l’état civil se révèle pour bon nombre d’Algériens comme une simple date de naissance, un prénom et un nom, auxquels s’ajoutent fils et fille de.
Messaouda est très vite amenée à se marier, puis débarque en France. Le mariage puis le déracinement, avec comme bagage essentiel, ses traditions et coutumes berbères. Loin des siens, de sa montagne, de ses oliviers et de ses figues de barbarie, qui ne poussent qu’à partir de juin en Algérie, contrairement à l’Australie où le « kermouss » pousse dès le mois d’avril, Messaouda narre avec une douce mélancolie cette nostalgie du pays. Elle, la « femme des montagnes » comme elle aime à l’évoquer, a grandi au milieu des bœufs, des ânes et des chèvres, à l’ombre des figuiers de Kabylie, avant de trouver, en France, le bitume, la cité, les galères, ne sachant ni lire ni écrire le français.
Pourtant, comme bon nombre d’entre elles, Messaouda s’est adaptée, élève, bon an mal an ses neuf enfants. « Lui travaille dehors, moi je travaille à la maison », glisse-t-elle malicieusement dans sa langue natale, le kabyle, en évoquant son mari, Mohand, jardinier stakhanoviste, aujourd’hui atteint de la maladie d’Alzheimer et en maison de retraite. « Elle travaillait autant voire plus que mon père, à côté, grimper l’Everest n’est rien », souligne son fils Nadir Dendoune.
Messaouda filmée par son fils Nadir Dendoune. Photo : Copyright MILLERAND
L’histoire de Messaouda reflète celle de bon nombre d’immigrés algériens, immigrés puis exilés, témoignant, devant la caméra de son fils, de sa nostalgie d’une Algérie naguère libérée du joug colonial et aujourd’hui totalement corrompue. « On a tout laissé. Jamais on n’aurait imaginé finir ici, on aurait voulu vivre sur nos terres, glisse-t-elle, maintenant, on est sur la terre des Français. Mais on a eu peur, car nos dirigeants sont incompétents et ne nous respectent pas. »
Aujourd’hui, elle vit seule dans son deux-pièces de l’île Saint-Denis, son rythme d’activités a certes ralenti, le logement reste toujours aussi impeccable, malgré la désuétude du papier peint. Autrefois, elle passait la serpillière tous les jours, aujourd’hui seulement une fois par semaine, mais elle ne cesse comme bon nombre de ces mères algériennes, de s’occuper : sorties entre amies, cuisine les repas de famille pour ses enfants et petits-enfants, prend soin de son mari installé dans une maison de retraite.
Son récit s’adresse avant tout à la nouvelle génération, aux plus jeunes, pressés par le temps. A travers ses historiettes qu’elle qualifie volontiers de banales et sans intérêt, Messaouda se fait porte-parole de cette première génération d’immigrés exilés en France, dont les rêves d’un retour au pays natal s’amenuisent au fil du temps. De l’Algérie, elle n’attend plus grand-chose, à la mélancolie se mélange un discours fataliste. Pourtant, pour les jeunes générations, elle rêve d’un avenir meilleur, prie pour ceux-ci, se montrant, au gré du sort, toujours d’un optimisme sans pareil. Sans doute est-ce du fait de sa foi, ou sans doute, de son propre caractère.
« Des figues en avril », en salles depuis le 4 avril, reflète un témoignage émouvant d’une génération autrefois silencieuse et discrète, dans l’ombre, souffrant en silence. Celle de nos aïeux, des chibanis, de ces immigrés maghrébins, arrivés en France pour un avenir meilleur, s’intégrant silencieusement à la société française, adoptant ses mœurs tout en conservant leurs habitudes d’antan. Messaouda porte avec fierté son foulard kabyle, transmis de génération en génération, elle natte ses cheveux colorés au henné, révèle un khôl noir sous ses yeux malicieux. Elle porte la voix de ces mères au foyer dont la tâche fut tout aussi immense : élever, malgré les difficultés économiques et sociales ses enfants dans un pays dont elles ne connaissent ni la langue, ni les coutumes, ni les mœurs.
Ania Kaci Ouldlamara