Depuis un moment déjà, la campagne électorale en cours en Israël baigne dans le racisme antiarabe. Et les choses viennent tout juste de vraiment s’aggraver. Le 20 février, [le quotidien israélien] Ha’Aretza rapporté que le Premier ministre Benyamin Nétanyahou avait poussé Le Foyer juif [extrême droite, religieux] à rejoindre un autre parti, Otzma Yehudit [“Force juive”], dont les dirigeants se réclament du raciste notoire qu’était Meir Kahane [rabbin et homme politique israélien accusé d’extrémisme et de racisme, assassiné en 1990].
Le parti Kach de Kahane avait été interdit en 1994, l’année même où il avait été inscrit sur la liste des organisations terroristes du département d’État américain, après que Baruch Goldstein avait massacré 29 Arabes à l’heure de la prière à Hébron. À l’époque, le parti avait officiellement approuvé l’attentat. Et le voilà, en 2019, de retour.
Si Le Foyer juif se prononce en faveur de cette alliance, cela voudra dire que [le nouveau leader de ce mouvement], Michael Ben-Ari, interdit d’entrée sur le territoire des États-Unis pour son appartenance à une organisation terroriste, sera membre de la coalition au pouvoir dans l’État hébreu.
Cela voudra également dire qu’Itamar Ben-Gvir, accusé d’incitation à la haine raciale et de soutien au terrorisme, pourra siéger à la Knesset en tant que député.
Cela voudra enfin dire que les idées de Kahane, sa volonté de priver de leur citoyenneté les Israéliens non juifs, d’interdire le mariage entre Juifs et non-Juifs, et d’expulser la population arabe hors d’Israël, auront de nouveau des défenseurs au sein du gouvernement israélien.
Quelle honte.
La voie répugnante d’un ethnonationalisme
Ce sont les David Duke et les Richard Spencer [suprémacistes blancs américains] de l’État hébreu, des gens qui pensent que la souveraineté juive repose sur l’oppression, le nettoyage ethnique et même l’assassinat de la population arabe du pays.
Et avec cette alliance, Nétanyahou, toujours prêt à brader toutes les valeurs au nom de sa survie politique, semble être descendu plus bas que jamais. Toutefois, sa décision d’inclure des racistes avérés dans la coalition au pouvoir ne devrait pas nous surprendre.
Nétanyahou a passé l’essentiel des deux dernières années à entraîner Israël sur la voie répugnante d’un ethnonationalisme de plus en plus marqué.
De la loi sur l’État-nation, qui consacre la suprématie juive sur les minorités d’Israël, à ses avances à destination des révisionnistes de l’Holocauste en Pologne et en Hongrie, en passant par son appui aux racistes aux commandes dans d’autres pays, comme aux Philippines et au Brésil, Nétanyahou a placé tous ses œufs dans le même panier raciste et ethnonationaliste.
Trahir le Judaïsme
En tendant la main au parti Otzma Yehudit, dont le nom signifie littéralement “force juive”, il ne fait qu’ajouter à la longue liste de ses trahisons des Juifs, de leur histoire et de leurs valeurs. Quelle leçon tirer de l’histoire juive, sinon que les droits des minorités doivent être défendus avec la plus extrême vigueur ? Que sont les Juifs, sinon les descendants du peuple le plus persécuté de l’histoire, nous-mêmes régulièrement victimes du nettoyage ethnique ?
Et maintenant, la coalition au pouvoir dans l’État juif va accueillir des membres qui souhaitent nettoyer ethniquement les Palestiniens, déjà privés par millions de droits civiques, victimes d’une occupation brutale en Cisjordanie et d’un blocus dans la bande de Gaza.
Quelle honte.
Malaise de la diaspora
Dans le même temps, on nous demande de fermer les yeux sur le fait qu’Israël sombre dans l’ethnonationalisme et on attend de nous, dans la Diaspora, que nous continuions à apporter un soutien sans faille à un État juif qui épouse précisément les idées — la suprématie de la majorité d’un pays par rapport à ses minorités — qui ont garanti notre destruction pendant des millénaires.
Contrairement à la vision cynique qu’en a Nétanyahou, les droits des Juifs ne doivent pas être assurés aux dépens des Palestiniens. Mais quand nous rechignons à accorder au Premier ministre israélien notre soutien inconditionnel, quand nous lui demandons des comptes pour avoir entraîné Israël dans cette forme particulièrement hideuse de nationalisme, on nous rétorque que nous [Juifs américains] n’avons pas le droit de nous exprimer parce que nous sommes en cours d’assimilation et que nous n’existerons plus d’ici trois générations. Ou encore parce que nous n’avons pas servi dans l’armée israélienne, ou parce que nous ne parlons pas hébreu, ou parce que nous ne vivons pas à Sderot [localité israélienne proche de Gaza].
Il n’est pas nécessaire de vivre à Sderot pour reconnaître un raciste au premier coup d’œil. Il n’est pas nécessaire de parler hébreu pour savoir que le nettoyage ethnique est un crime, et que le fait d’accueillir ses tenants au sein du gouvernement de l’État juif est une shanda [“honte”, en yiddish].
Les amis antisémites de Nétanyahou
Quand il prône l’ethnonationalisme, Nétanyahou ne trahit pas que l’histoire des Juifs. Il trahit les Juifs bien vivants de la Diaspora. Car l’ascension de dirigeants populistes nationalistes dans le monde entier s’est accompagnée d’une hausse stupéfiante, terrifiante du nombre d’incidents antisémites, dont des actes de vandalisme, des agressions, des meurtres et des massacres, comme c’est le cas à chaque fois.
Partout sur la planète, l’antisémitisme progresse de façon choquante, attisé par des gouvernants comme le Hongrois Vitkor Orbán et le président des États-Unis en personne, Donald Trump, deux hommes qui haïssent les minorités et épousent les thèses complotistes antisémites tandis que les victimes juives s’accumulent. L’un et l’autre peuvent d’ailleurs compter sur le soutien de Nétanyahou.
Orbán, un allié proche de Nétanyahou, est connu pour avoir tout au long de sa campagne dépeint George Soros comme son ennemi en des termes d’un antisémitisme cru. Et lors d’un de ses meetings, il a eu recours à des clichés antisémites éculés pour dénigrer ses adversaires : “Ils ne sont pas nationaux, mais internationaux ; ils n’ont pas foi dans le travail, ils spéculent avec l’argent ; ils n’ont pas de patrie, mais considèrent que le monde entier est à eux.”
Ce qui n’a pas empêché Nétanyahou de l’accueillir à Yad Vashem et même de donner sa bénédiction à un musée controversé sur la Shoah [en Hongrie].
Nétanyahou se revendique bien sûr généreusement de l’appui de Trump, dont il se vante sur d’énormes affiches qui dominent Tel-Aviv. Or, quand il se tient aux côtés d’ethnonationalistes qui favorisent l’antisémitisme comme Trump, quand il participe à des séances de photos avec Orbán, il offre une caution juive aux forces mêmes qui menacent des vies juives.
Quelle honte.
La sécurité et la souveraineté des Juifs ne peuvent exister aux dépens des droits des Palestiniens, de leurs libertés et de leur dignité. Au contraire. Au bout du compte, l’ethnonationalisme finira toujours par rattraper les Juifs.
Tout comme ceux qui se battent pour les droits des Palestiniens doivent se débarrasser de l’antisémitisme dans leurs rangs, les Juifs qui se soucient de leur passé, leur présent et leur avenir doivent eux aussi dénoncer cette abominable normalisation du racisme dans l’État hébreu.
Cela ne se fera pas en mon nom.
Quelle honte.
Batya Ungar-Sargon and Forward (USA)
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