Le Pakistan fait un « geste de paix » vers l’Inde et va libérer le pilote capturé
Après des jours de tensions, la situation semble se calmer entre les deux voisins et puissances nucléaires.
Après des heures d’inquiétudes, la tension semble redescendre d’un cran, jeudi 28 février, entre le Pakistan et l’Inde. Après deux jours d’incidents de part et d’autre de la frontière dans la région disputée du Cachemire, le Pakistan a tendu la main à son voisin. « En geste de paix, nous libérerons le pilote indien » capturé mercredi, après que son avion a été abattu par l’armée de l’air pakistanaise, a annoncé le premier ministre Imran Khan devant l’Assemblée nationale. Le lieutenant-colonel Abhinandan Varthaman doit être libéré vendredi, a précisé le chef du gouvernement.
« Je veux transmettre un message à [Narendra] Modi [le premier ministre indien] : qu’il n’aggrave pas la situation. Notre désir de désescalade ne devrait pas être interprété comme une faiblesse », a souligné M. Khan, qui a déclaré avoir « essayé de parler » à son homologue indien mercredi soir. « L’Inde doit savoir que nous serons forcés de riposter fortement à toute action indienne à l’avenir », a poursuivi le chef du gouvernement pakistanais, répétant que son pays « veut la paix » et la prospérité dans la région.
Mercredi déjà, M. Khan avait proposé de négocier avec l’Inde, au cours d’un bref discours télévisé. « Pouvons-nous nous permettre le moindre mauvais calcul avec le genre d’armes que vous avez et que nous avons ? », avait-il lancé, en référence à l’arsenal militaire et nucléaire des deux pays. Plus tôt, la ministre indienne des affaires étrangères, Sushma Swaraj, avait aussi plaidé l’apaisement, soulignant lors d’un déplacement en Chine que « l’Inde ne souhaite pas d’escalade » et « continuera à agir avec responsabilité et retenue ».
Modi demande aux Indiens de « faire mur » contre « l’ennemi »
Le premier ministre indien, Narendra Modi, a, lui, appelé ses concitoyens à l’unité nationale, leur demandant de « faire mur » et d’être « solide comme un roc » contre l’« ennemi », qu’il n’a toutefois pas désigné.
« Amis, lorsque l’ennemi essaye de déstabiliser l’Inde [et] de perpétrer une attaque terroriste, un de leurs buts est que le rythme et le progrès de notre pays s’arrêtent », a déclaré le dirigeant nationaliste hindou jeudi, lors d’une vidéoconférence avec des militants de son parti à travers le pays.
Les élections générales ont lieu en Inde dans quelques semaines, en avril et en mai. Or, Narendra Modi a coutume de mentionner le Pakistan à chaque campagne électorale pour apparaître fort face à son voisin.
Mardi, l’Inde avait annoncé avoir mené des frappes dans le nord du Pakistan, contre un camp d’entraînement du groupe islamiste Jaish-e-Mohammad (JeM), qui avait revendiqué l’attentat-suicide ayant tué au moins 40 paramilitaires indiens le 14 février, dans la partie indienne du Cachemire. Il s’agissait de la première fois, depuis la guerre de 1971, que des avions de combat indiens lançaient des frappes aussi loin en territoire pakistanais.
Le lendemain, le Pakistan a assuré avoir abattu deux avions indiens, qui s’étaient introduits dans son espace aérien, et avoir capturé un pilote. L’Inde a, elle, reconnu avoir perdu un appareil et annoncé avoir abattu un avion pakistanais. Le même jour, le Pakistan a fermé tout son espace aérien, tandis que l’Inde a fermé brièvement neuf aéroports.
Le Monde avec AFP
• Le Monde. Publié le 28 février à 11h37, mis à jour à 13h33 :
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/02/27/des-lignes-rouges-ont-ete-franchies-dans-la-crise-entre-l-inde-et-le-pakistan_5429057_3210.html
« Des lignes rouges ont été franchies dans la crise entre l’Inde et le Pakistan »
Le Pakistan a affirmé, mercredi 27 février, avoir abattu deux avions indiens dans la région disputée du Cachemire, au lendemain de frappes indiennes sur son territoire. Julien Bouissou, correspondant du « Monde » en Inde, a répondu en direct à vos questions sur le conflit entre les deux puissances nucléaires.
Le Pakistan a annoncé, mercredi 27 février, avoir abattu deux avions indiens dans son espace aérien, dans la région disputée du Cachemire. Cette opération intervient après des frappes indiennes au Pakistan, mardi, contre un camp d’entraînement du groupe islamiste Jaish-e-Mohammad (JeM), qui avait revendiqué l’attentat-suicide ayant tué au moins 40 paramilitaires indiens le 14 février.
Dans la journée de mercredi, la situation restait très confuse. Julien Bouissou, correspondant du « Monde » en Inde, a répondu en direct à vos questions.
Antoine : Quelle est la position de la France sur ces tensions ?
Julien Bouissou, correspondant du « Monde » en Inde : Ces événements ont provoqué l’inquiétude de la communauté internationale dans son ensemble. La Chine et l’Union européenne ont ainsi appelé mardi les deux pays à « la retenue ». La France, de son côté, a défendu « la légitimité de l’Inde à assurer sa sécurité contre le terrorisme transfrontalier » et demandé au Pakistan de « mettre fin aux agissements des groupes terroristes installés sur son territoire ».
Siriocaramelli : Qu’en est-il des résultats de la frappe aérienne indienne ? Y a-t-il des images satellites du camp visé ?
J. B. : Très peu d’images satellites ou non satellites de la « frappe » de mardi sont disponibles. L’Inde a diffusé des photographies de ce qu’elle décrit comme le « camp d’entraînement terroriste » au Pakistan visé par ses frappes aériennes.
L’armée pakistanaise a aussi diffusé des images montrant un cratère (il ferait de deux à trois mètres de diamètre) dans un endroit boisé, quelques heures seulement après les bombardements indiens mardi matin. Mais comment être certain que c’est l’endroit visé par les frappes ?
La guerre de communication et de propagande a pris une ampleur inédite avec l’importance des médias sociaux. Tout le monde y participe : journalistes, commentateurs, militaires, analystes, responsables politiques.
LiseF : Les tensions entre l’Inde et le Pakistan existent depuis de nombreuses années, pensez-vous que cela peut être un « tournant » dans ce conflit, qui restait « soft » jusqu’à présent ?
J. B. : Il faut attendre et avoir un peu plus de recul pour savoir si c’est un tournant. Mais dans cette crise, l’Inde a franchi plusieurs lignes rouges qu’elle s’était auparavant fixées.
C’est la première fois depuis la guerre de 1971 que des avions de combat indiens sont entrés aussi loin dans l’espace aérien pakistanais. Lors de la dernière guerre indo-pakistanaise de 1999 au Kargil (Etat du Jammu-et-Cachemire, en Inde), le premier ministre indien de l’époque, Atal Bihari Vajpayee, un nationaliste hindou comme Narendra Modi n’avait pas autorisé l’aviation indienne à s’aventurer trop loin de la zone de la ligne de contrôle par peur d’une escalade.
C’est aussi la première fois que l’Inde envoie son armée de l’air pour répondre à une attaque-suicide revendiquée par un groupe islamiste sur le sol indien.
Bertrand : Est-ce que le Pakistan peut être considéré comme une démocratie ? Quel est le poids des islamistes ? Les tensions au Cachemire sont-elles d’origines religieuses ?
J. B. : Aux guerres entre l’Inde et le Pakistan qui se disputent la souveraineté du Cachemire est venu se greffer un mouvement indépendantiste au Cachemire à la fin des années 1980. Un mouvement alimenté par l’infiltration de militants formés au Pakistan et qui traversaient la frontière pour combattre les forces de sécurité indiennes.
Désormais, les infiltrations ont considérablement diminué et on assiste à une insurrection au Cachemire indien qui est un peu plus déconnectée du Pakistan. Les analystes parlent d’une homegrown insurgency. Il ne faut pas oublier que le kamikaze qui a tué au moins 40 paramilitaires indiens il y a douze jours était un Indien du Cachemire, même si l’attaque a été revendiquée par un groupe islamiste basé au Pakistan.
L’insurrection au Cachemire s’est amplifiée et radicalisée au cours des dernières années. Dans les manifestations au Cachemire indien, le slogan « Shariyat ya Shahadat » (la loi islamique ou la mort) a remplacé celui d’« Azadi » (liberté).
Tensions : Un petit message de Delhi pour témoigner de la tension ici ! Merci de votre live. Pourriez-vous un peu parler du rôle des élections à venir dans la montée des tensions ?
J. B. : Il ne faut pas oublier la dimension de la politique intérieure indienne dans cette crise indo-pakistanaise. Les élections ont lieu dans quelques semaines et elles s’annoncent très serrées. Il faut savoir qu’à chaque campagne électorale, Narendra Modi mentionne le Pakistan pour projeter de lui une image de leader fort et intransigeant. Ce moment est crucial pour ses chances de réélection.
En 2012, il a avait accusé le premier ministre Manmohan Singh de faiblesse vis-à-vis du Pakistan. Pas plus tard qu’en 2017, il a sous-entendu que le Congrès, dans l’opposition, était complice du Pakistan.
Et puis les nationalistes hindous qui dirigent l’Inde sont fidèles à eux-mêmes. Nationalistes, ils revendiquent la souveraineté de l’Inde sur la région à majorité musulmane du Cachemire et appellent à la vengeance contre le Pakistan. Hindous suprémacistes, ils s’attaquent aux Cachemiris musulmans perçus comme des citoyens de seconde zone, voire une menace. De nombreux Cachemiris ont été attaqués en Inde ces dernières semaines, car on les soupçonne d’être « antinationaux ».
Princesse : Comment les gens du Cachemire vivent-ils cette crise (et les tensions depuis des années) ?
J. B. : Merci pour cette question. Car l’autre tragédie de cette crise, c’est qu’on parle beaucoup du Cachemire sans parler des Cachemiris. Ils sont oubliés. Dans les médias Indiens, on parle frappes aériennes, ripostes militaires et très peu des Cachemiris qui vivent en ce moment dans la peur. De nombreuses arrestations ont eu lieu ces dernières semaines là-bas. Les autorités Indiennes disent que ce sont des « terroristes », mais le sont-ils vraiment ?
La répression des manifestations ces dernières années s’est intensifiée. Les forces de sécurité tirent sur les manifestants avec des billes de plomb. De nombreux adolescents ont perdu la vue. Les hôpitaux psychiatriques sont remplis. Les Cachemiris paient le prix de cette crise indo-pakistanaise.
Cioran : Quels sont les alliés de l’Inde à l’échelle internationale ?
J. B. : Outre les traditionnels alliés historiques comme les Etats-Unis, l’Union européenne, le Japon et l’Australie en Asie, New-Delhi s’est rapprochée des pays du Golfe depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi en 2014.
Ce rapprochement peut avoir son importance. Sushma Swaraj, la ministre Indienne des affaires étrangères a ainsi été invitée pour la première fois à s’exprimer devant l’Organisation de la coopération islamique le 1er mars, ce qui était impensable il y a quelques années.
Il faut également observer le changement de discours de la part des alliés de l’Inde. Les Etats-Unis ne se contentent plus d’appeler les deux pays à la « retenue » et au « dialogue ». Le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo a qualifié mercredi les frappes aériennes Indiennes d’« actions antiterroristes » et a demandé à Islamabad d’« agir contre les groupes terroristes opérant sur son sol ».
Avec l’aide de la France, l’Inde cherche à inscrire Masood Azhar, le chef du Jaish-e-Mohammed (JeM) qui vit en liberté au Pakistan, sur la liste de sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU. Mais la démarche a peu de chance peu d’aboutir, car la Chine, très proche du Pakistan, devrait poser son veto.
Même les analystes pakistanais s’accordent à dire que l’Inde bénéficie de meilleurs appuis diplomatiques que le Pakistan et c’est sans doute, aussi, grâce à son poids économique.
Julien Bouissou
* * *
Une chronologie de la crise entre l’Inde et le Pakistan depuis la mi-février
Le 14 février 2019, un attentat-suicide tue quelque 40 soldats indiens dans l’Etat du Jammu-et-Cachemire. Cette attaque est revendiquée par le groupe islamiste Jaish-e-Mohammed (JeM), établi au Pakistan. Le Pakistan, lui, dément toute implication. Il s’agit de l’attaque la plus meurtrière contre l’armée indienne au Cachemire depuis le début de l’insurrection séparatiste, en 1989.
Le 15 février, le premier ministre indien Narendra Modi promet une réponse ferme de son pays. « Je veux dire aux groupes terroristes et à leurs maîtres qu’ils ont commis une grosse erreur. Ils vont devoir payer le prix fort », déclare-t-il.
L’Inde déclenche une chasse à l’homme pour retrouver les rebelles soupçonnés d’avoir fomenté l’attentat-suicide du 14 février. Lundi 18 février, trois islamistes sont tués dans une opération militaire. Parmi eux, deux Pakistanais, dont le « commandant des opérations » du groupe, selon l’armée indienne.
Le 26 février, l’Inde affirme avoir conduit des « frappes préventives » sur un camp d’entraînement du JeM, en territoire pakistanais, et tué de nombreux rebelles. Le Pakistan nie ce déroulé des événements et affirme que les avions indiens ont bien largué une charge sur son territoire, mais que celle-ci n’a fait ni dégâts ni victimes.
Le 27 février, le Pakistan assure avoir abattu deux avions indiens qui étaient entrés dans son espace aérien. Malgré les appels à la retenue de la communauté internationale, la tension monte entre les deux pays. Le Pakistan annonce la fermeture de son espace aérien.
• Le Monde. Publié le 27 février à 15h03, mis à jour à 16h22 :
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/02/27/des-lignes-rouges-ont-ete-franchies-dans-la-crise-entre-l-inde-et-le-pakistan_5429057_3210.html
Pourquoi l’Inde et le Pakistan sont pris dans une nouvelle escalade de violence
Malgré les appels à la retenue, les deux pays voisins, qui possèdent chacun l’arme nucléaire, multiplient les menaces.
Espaces aériens fermés, « frappes préventives » menées, avions abattus…, la tension est encore montée ces derniers jours entre l’Inde et le Pakistan, deux pays voisins disposant de l’arme nucléaire.
Derniers épisodes en date : le Pakistan a annoncé, mercredi 27 février, avoir abattu deux avions indiens dans la région du Cachemire disputée entre les deux pays et avoir fait prisonnier un pilote. Une version ensuite contestée par New Delhi (la capitale indienne).
Pourquoi ce retour des violences maintenant ? En quoi le Cachemire est une zone sensible de la région ? Comment a réagi la communauté internationale ? Explications.
D’où est partie cette nouvelle escalade de violence entre les deux pays ?
Mardi, l’Inde dirigée par le nationaliste hindou Narendra Modi annonce avoir mené des « frappes » sur le « plus grand camp d’entraînement » du groupe islamiste Jaish-e-Mohammed (JeM, « armée de Mohammed »), à Balakot, près du Cachemire, dans le nord du Pakistan. C’est la première fois depuis la guerre de 1971 que des avions de combat indiens ont lancé des frappes aussi loin en territoire pakistanais.
Cette intervention est une réponse à l’attentat-suicide survenu le 14 février dans la partie indienne du Cachemire. Cette attaque, qui avait provoqué la mort d’au moins 40 paramilitaires indiens, avait été revendiquée par la JeM, qui a donc été visée par les frappes indiennes mardi. Ce même groupe était aussi impliqué dans l’attaque d’une base militaire indienne en 2016 à Uri, et du Parlement à New Delhi en 2001.
L’Inde n’avait pas connu une attaque-suicide aussi meurtrière contre son armée au Cachemire depuis 1989. Au lendemain de l’attentat, le premier ministre Narendra Modi avait prévenu : les responsables devront en « payer le prix lourd ».
Près de 400 dirigeants séparatistes ou responsables d’organisations musulmanes ont également été arrêtés samedi et dimanche. New Delhi soupçonne la JeM de préparer d’autres attentats-suicides et accuse le Pakistan d’abriter et de soutenir le mouvement islamiste. Des « affirmations absurdes », a répliqué Islamabad.
Et c’est donc à la suite de ces « frappes préventives » menées par l’Inde que le Pakistan a répliqué, affirmant avoir abattu deux avions indiens mercredi matin dans son espace aérien et avoir capturé un pilote. De son côté, l’Inde assure avoir abattu un avion pakistanais, affrontement au cours duquel un de ses propres avions a été perdu.
Par ailleurs, quatre personnes, dont deux enfants, ont été tuées mardi dans un échange de tirs entre militaires indiens et pakistanais près de la ligne de démarcation qui sépare les parties du Cachemire sous contrôle des deux pays.
Pourquoi un retour des violences maintenant ?
Outre l’attentat-suicide du 14 février, cette montée de la tension entre l’Inde et le Pakistan, autour de la région disputée du Cachemire, intervient à quelques semaines des élections générales indiennes prévues en avril et mai. En 2016, quelques jours après l’attaque contre une de ses bases militaires à Uri, New Delhi avait envoyé des hélicoptères à quelques kilomètres à l’intérieur du territoire pakistanais, évoquant des « frappes chirurgicales ». Une riposte bien moins élevée que celle de mardi matin.
Pour Christophe Jaffrelot*, directeur de recherche au CERI-Sciences Po (CNRS), ce qui se déroule actuellement « s’explique par la campagne électorale. M. Modi doit apparaître fort à l’approche de cette échéance et il ne pouvait pas ne pas réagir à l’attentat du 14 février ».
« Modi a fait toute sa carrière politique sur ce sujet : la défense de l’Inde face au Pakistan. C’est un rituel chez lui, que ce soit avant des élections nationales ou régionales, de jouer sur le repoussoir pakistanais. Mais là en frappant aussi loin dans les terres pakistanaises, il a franchi une ligne rouge. Il sait qu’il joue son avenir politique. »
Face à ce regain de tensions, le premier ministre pakistanais Imran Khan a toutefois renouvelé, mercredi, son appel à des « négociations ». « Pouvons-nous nous permettre le moindre mauvais calcul avec le genre d’armes que vous avez et que nous avons ? », a-t-il interrogé lors d’un bref discours télévisé, en référence à l’arsenal nucléaire que possèdent les deux pays. Cette offre a peu de chances d’être entendue par son homologue indien. D’autant que pour M. Jaffrelot « ce qui s’est passé mercredi, avec notamment la capture d’un pilote indien haut gradé par le Pakistan a été vécu commune une humiliation en Inde. »
Pourquoi les deux pays se disputent le Cachemire ?
Au-delà de la tension qui a ressurgi ces derniers jours, le conflit entre l’Inde et le Pakistan dure depuis plus de soixante-dix ans. Ils se sont livré trois guerres depuis leur indépendance.
Le centre névralgique de ces affrontements est au Cachemire. Cette région himalayenne est revendiquée par les deux pays depuis la fin de la colonisation britannique, en 1947. Deux ans plus tard, une ligne de cessez-le-feu a été créée, qui partage le Cachemire en deux : l’Azad-Cachemire, au nord, appartient au Pakistan ; au sud, le Jammu-et-Cachemire devient un territoire indien. Mais pour Islamabad, cette partie, à majorité musulmane, devrait lui revenir.
INFOGRAPHIE « LE MONDE »
A la fin des années 1980, un mouvement indépendantiste fait aussi irruption dans la région. Ces groupes, alimentés par des militants formés au Pakistan, traversent la frontière pour combattre les forces de sécurité indiennes. New Delhi accuse régulièrement son voisin de soutenir en sous-main ces infiltrations de militants islamistes et la rébellion armée au Cachemire indien, ce que les autorités pakistanaises ont toujours démenti.
Le gouvernement indien est aussi confronté à un nouveau front interne, chez les Cachemiris indiens. L’auteur de l’attentat du 14 février est d’ailleurs un jeune Indien. « Modi s’est aliéné la population du Cachemire indien, rappelle M. Jaffrelot. Il souhaite mettre fin au statut spécial de cette région inscrit dans la Constitution et veut en finir avec son autonomie. Cette politique assimilationniste, qui est accompagnée notamment d’une répression militaire – et qui a été critiquée par l’ONU en 2018 –, est très mal vécue par la population cachemirie. Cela permet aux djihadistes pakistanais de trouver des relais sur place pour commettre des actions. »
L’insurrection au Cachemire indien s’est ainsi amplifiée et radicalisée au cours des dernières années. Entre 2014 et 2018, le nombre d’« incidents terroristes », selon la terminologie du gouvernement indien, a presque triplé, passant de 222 à 614.
Dans les manifestations, le slogan « Shariyat ya Shahadat » (« la loi islamique ou la mort ») a remplacé au fil des ans celui d’« Azad » (« liberté »). L’Inde a alors durci la répression en faisant du Cachemire la région la plus militarisée du monde, avec 600 000 soldats. Et après l’attentat du 14 février, l’Inde a décidé d’y déployer 10 000 paramilitaires supplémentaires.
Le Monde avec AFP
* Christophe Jaffrelot, « L’Inde de Modi, nationalisme-populisme et démocratie ethnique », Fayard, à paraître en mars 2019.
• Le Monde. Publié le 27 février à 8h32, mis à jour à 12h57 :
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/02/27/pourquoi-la-tension-monte-entre-l-inde-et-le-pakistan_5429144_3210.html
Les Cachemiris victimes des tensions entre l’Inde et le Pakistan
Les escarmouches militaires le long de la zone de démarcation entre l’Inde et le Pakistan au Cachemire se sont multipliées depuis 2013-2014, jusqu’à atteindre un pic ces derniers jours.
Les habitants du Cachemire sont les premières victimes de la crise indo-pakistanaise. Deux femmes et deux enfants sont morts, mardi 26 février, dans le secteur de Nakyal, du côté pakistanais du Cachemire, près de la ligne de démarcation avec la partie indienne, dans des échanges de tirs entre les deux armées qui ont également fait onze blessés.
Plusieurs milliers de Pakistanais ont évacué les régions frontalières.
Malgré un accord de cessez-le-feu signé en 2003, les escarmouches militaires le long de cette zone de démarcation, qui sert de facto de frontière entre l’Inde et le Pakistan au Cachemire, se sont multipliées depuis 2013-2014 jusqu’à atteindre un pic ces derniers jours.
Craignant une escalade militaire, plusieurs milliers de Pakistanais ont évacué les régions frontalières de la ligne de contrôle et des écoles ont été fermées.
Trois décennies d’insurrection séparatiste
Dans la partie indienne de la région, meurtrie par trois décennies d’insurrection séparatiste, les forces de sécurité ont également multiplié les arrestations de militants. La coalition de la société civile du Jammu-et-Cachemire (JKCCS) en a comptabilisé près de 300 au cours des dix derniers jours.
Dans cette région, 2018 a été l’année la plus meurtrière de la décennie écoulée Selon le JKCCS, 160 civils, 267 militants d’organisations séparatistes et 159 membres des forces de sécurité ont été tués. « Malheureusement, la répression en cours réduit les chances d’un dialogue politique et radicalise la jeunesse », regrette Shah Faesal, ancien haut fonctionnaire dans l’administration de l’Etat du Jammu-Cachemire qui vient de se lancer en politique.
Depuis l’attaque-suicide de Pulwama le 14 février, les Cachemiris sont également victimes de discrimination dans les autres régions du pays. « Ne visitez pas le Cachemire, n’achetez rien chez les commerçants cachemiris […], boycottez tout ce qui est cachemiri », a écrit sur Twitter le gouverneur de l’Etat du Meghalaya, Tathagata Roy.
Plusieurs étudiants, dans l’ouest et le nord de l’Inde, ont été attaqués par des extrémistes hindous et ont dû rentrer chez eux.
Plusieurs étudiants, dans l’ouest et le nord de l’Inde, ont été attaqués par des extrémistes hindous et ont dû rentrer chez eux. La Cour suprême a dû demander aux autorités de Delhi et régionales d’assurer leur sécurité.
« Notre combat est pour les Cachemiris, et non pas contre les Cachemiris », a déclaré le premier ministre indien Narendra Modi qui a souligné que la jeunesse de cette région était également « la victime du terrorisme ». La police indienne a mis en place des numéros d’urgence pour venir en aide aux victimes de violence.
« Si le Cachemire fait partie de l’Inde, alors pourquoi pas les Cachemiris ? » s’agace Khurram Parvez, le dirigeant du JKCCS. L’activiste pointe du doigt la responsabilité des médias indiens dans les tensions actuelles : « Après les frappes aériennes indiennes de mardi, les journalistes indiens ont exprimé leur joie et se sont félicités de la vengeance contre le Pakistan. Les médias indiens sont devenus une sorte de cinquième colonne. » Un présentateur d’une chaîne d’information régionale du sud de l’Inde a présenté les informations en tenue militaire et armé.
Julien Bouissou (New Delhi, correspondance)
• Le Monde. Publié le 28 février à J12h39 :
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/02/27/pourquoi-la-tension-monte-entre-l-inde-et-le-pakistan_5429144_3210.html
En annonçant la libération d’un pilote, le Pakistan offre à l’Inde une fenêtre de désescalade
Le pilote indien capturé doit être rendu à son pays, vendredi, au troisième jour d’une confrontation militaire dangereuse.
Avec la libération attendue, vendredi 1er mars, d’un pilote indien capturé par l’armée pakistanaise, les tensions entre l’Inde et le Pakistan sont descendues d’un cran. L’avion d’Abhinandan Varthaman avait été abattu mardi au-dessus du Cachemire côté pakistanais, lors d’une escarmouche entre les deux voisins au cours de laquelle chacune affirme avoir éliminé au moins un avion de combat ennemi.
Le Pakistan vient ainsi d’offrir à l’Inde une opportunité de désescalade, au troisième jour d’une confrontation militaire dangereuse entre deux puissances nucléaires qui inquiète la communauté internationale. « En un geste pour la paix, nous libérerons le pilote indien demain », avait déclaré jeudi le premier ministre pakistanais Imran Khan, sous les applaudissements du Parlement. « Je veux transmettre un message à [Narendra] Modi : qu’il n’aggrave pas la situation », a-t-il ajouté, indiquant avoir « essayé de parler » au premier ministre indien mercredi soir.
L’Inde a dépêché quelques heures plus tard trois responsables militaires à un point presse organisé devant la colline Raisina de Delhi, avec au loin le palais présidentiel éclairé aux couleurs de l’Inde. Les trois hauts gradés ont commencé par affirmer que l’aviation pakistanaise avait visé, sans succès, des infrastructures militaires indiennes lors de leur incursion aérienne de mercredi. Une agression interprétée par l’Inde comme un « acte de guerre », alors qu’elle s’attache depuis le début du conflit à démontrer que ses frappes aériennes « préventives » au Pakistan de mardi ne visaient qu’un camp d’entraînement du groupe islamiste Jaish-e-Mohammad (JEM). Lequel a revendiqué l’attaque-suicide d’un convoi militaire tuant au moins 40 paramilitaires au Cachemire indien le 14 février.
Carcasses brûlées
Les responsables militaires indiens se sont ensuite dits « prêts à réagir » en cas de provocation pakistanaise. « Mais ne voyez-vous pas la libération du pilote comme un geste pour la paix ? », a demandé une journaliste indienne. « Un geste en accord avec toutes les conventions de Genève », a sèchement relativisé le général RGK Kapoor, qui s’est toutefois dit « heureux » de l’accueillir bientôt.
Le premier ministre indien n’a livré jeudi soir que ce commentaire lapidaire au cours de la cérémonie de remise d’un prix scientifique : « Ce qu’on a vu n’était qu’un exercice. On va maintenant l’appliquer en vrai. » Cette déclaration menaçante tranche avec la position de « responsabilité et de retenue » défendue auparavant par l’Inde, et renforce la thèse selon laquelle elle est désormais prête à répondre militairement à chaque nouvelle attaque-suicide sur son sol attribuée à un groupe basé au Pakistan.
Un peu plus tôt dans la journée, Narendra Modi avait qualifié le Pakistan, sans le nommer, d’« ennemi qui déstabilise l’Inde ». L’escalade de ces derniers jours pourrait marquer la fin de la stratégie de « retenue » suivie par l’Inde vis-à-vis de son frère ennemi.
Présentée, selon les commentateurs, comme une victoire diplomatique de M. Modi ou une main tendue par Imran Khan, l’annonce de la libération du pilote indien a pris de court New Delhi. Les diplomates indiens continuent de rejeter la responsabilité des tensions sur Islamabad. Ils lui reprochent d’avoir visé ses bases militaires et d’avoir donné le sentiment d’une guerre imminente en annonçant la fermeture de leur espace aérien. Cette impression a été savamment entretenue, selon eux, par des images de carcasses brûlées d’avions de combat indiens et la diffusion d’une vidéo montrant le pilote capturé, les yeux bandés et le visage légèrement tuméfié.
« Légitimité »
Ce risque d’escalade a également contraint la communauté internationale à adopter une position plus distanciée vis-à-vis de l’Inde. Après avoir « reconnu la légitimité de l’Inde à assurer sa sécurité contre le terrorisme transfrontalier » au moment des frappes aériennes indiennes de mardi, de nombreux pays se sont ensuite contentés d’appeler l’Inde et le Pakistan à la « désescalade ». « L’escalade de cette semaine témoigne de l’échec de l’Inde après avoir cru pouvoir changer le rapport de force militaire, estime l’universitaire indien Happymon Jacob. Si la crise se dissipe, le Pakistan aura réussi à dissuader l’Inde d’un changement du statu quo. »
Pour M. Modi, les conséquences de cet épisode sont aussi politiques, à seulement quelques semaines des élections générales. Les partis d’opposition lui reprochent de ne pas les avoir consultés et lui demandent des comptes sur le bilan des frappes qui auraient détruit un « camp d’entraînement » du JeM. Au Pakistan, c’est tout le contraire : la crise a renforcé le sentiment d’unité nationale et on n’entend plus de critiques vis-à-vis de l’armée.
Julien Bouissou (New Delhi, correspondant régional)
• Le Monde. Publié le 01 mars 2019 à 11h06 - Mis à jour le 01 mars 2019 à 11h57 :
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/03/01/pour-appeiser-la-tension-le-pakistan-remet-a-l-inde-son-pilote-capture-au-cachemire_5430238_3210.html
Pour apaiser la tension, le Pakistan remet à l’Inde son pilote capturé au Cachemire
Son avion avait été abattu mercredi au-dessus du Cachemire lors d’un engagement aérien entre les deux voisins.
Le Pakistan a remis, vendredi 1er mars, à l’Inde, le lieutenant-colonel Abhinandan Varthaman, un pilote d’avion de chasse capturé mercredi au Cachemire. L’officier a traversé la frontière au poste-frontière de Wagah, situé entre les grandes villes de Lahore (Pakistan) et Amritsar (Inde).
La libération, annoncée jeudi par le premier ministre pakistanais, Imran Khan, a été présentée par Islamabad comme un « geste de paix » en direction de l’Inde. Pour autant « notre désir de désescalade ne devrait pas être interprété comme une faiblesse » par le premier ministre indien, le nationaliste hindou Narendra Modi, a-t-il averti.
« Nous sommes très heureux de le récupérer. Nous voulons le revoir », a réagi jeudi à New Delhi le général de division de l’armée de l’air indienne RGK Kapoor. « Nous voyons [sa libération] seulement comme un geste en accord avec toutes les conventions de Genève », a-t-il toutefois poursuivi.
Poursuites pour « terrorisme écologique »
L’armée indienne a mené mardi une « frappe préventive » contre ce qu’elle a présenté comme un camp d’entraînement en territoire pakistanais du mouvement islamiste Jaish-e-Mohammed (JeM), l’un des groupes armés les plus actifs dans la lutte contre New Delhi au Cachemire et qui avait revendiqué l’attentat contre les paramilitaires.
L’Inde n’avait pas procédé à une frappe aérienne contre son voisin depuis la guerre qui les avait opposés en 1971 autour du Pakistan oriental (aujourd’hui Bangladesh), à une époque où aucune des deux nations ne possédait encore l’armée nucléaire.
Le Pakistan veut par ailleurs poursuivre l’Inde pour « terrorisme écologique » après ces bombardements. « Ce qui s’est produit, c’est du terrorisme écologique. Les seuls dommages qu’ils ont infligés l’ont été à la nature », a annoncé son ministre du changement climatique, Malik Amin Aslam, ajoutant que des « évaluations environnementales » étaient en cours pour porter ensuite l’affaire devant « des institutions internationales, dont les Nations unies ».
• Le Monde. Publié le 01 mars 2019 à 17h17 - Mis à jour le 01 mars 2019 à 17h38 :
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