Le FSM, c’est pas pour les (trop) pauvres
Rédigé le 26/01/2007 à 11:24
A Nairobi, l’insécurité est devenu au fil des jours un véritable sujet de préoccupation. Trois sacs fauchés sur le stand du CRID, le matériel de Zoul, un militant d’Indymedia (Média alternatif), volé arme au poing et ainsi de suite... Ces dizaines de faits divers justifient sans doute pour le Comité kenyan la forte présence dans l’enceinte même du FSM, à la fois de militaires armés d’AK47, de la police (des cellules de détention existent dans Kasarani, l’endroit ou se déroule le FSM, certaines ont même été utilisées ) et de gardes privés armés de longues matraques en bois massif.
« Sans eux, cela aurait pu être bien pire », lâche un participant regardant d’un air suspicieux les enfants des bidonvilles qui circulent par petits groupes.
Il y a aussi cette brève, repérée hier matin en page 2 de The Nation (l’un des deux quotidiens en anglais). Cette dernière indique que deux individus à moto ont cassé les vitres d’une voiture bloquée dans un embouteillage avant de voler brutalement le sac à main de l’une des passagères. En plein jour et en plein centre-ville. Sauf que ce n’était pas celui de Nairobi. La scène rapportée par The Nation s’est déroulée à Paris et c’est une voiture de l’Ambassade du Kenya qui a été visée. Il y a pourtant fort à parier que certains des participants du FSM les plus affolés par la criminalité de Nairobi se sentiront enfin en sécurité en atterrissant à Charles de Gaulle.
Mais au délà de l’anedocte, pourquoi ces vols à répétition, parfois même arme au poing dans l’enceinte du Forum ? La bonne question n’est pas de se demander ce que fait la police, mais ce que fait le comité d’organisation kenyan ?
En 2004 à Mumbai, le comité d’organisation indien associait les populations locales, en particulier les plus démunis. En 2005, à Porto Alegre, le comité d’organisation brésilien avait fait de même. En 2006, à Bamako, le comité d’organisation malien était allé discuter dans les quartiers les plus défavorisés. Là encore, il y avait une vraie volonté d’intégration au travers de lieux de convivialité. Voire un certain pragmatisme : un accord avait été passé pour que les vols inévitables se fassent sans violence et bien entendu sans arme durant le Forum.
Lors de ces FSM, même s’il était impossible de retrouver l’appareil photographique oublié derrière soi, au moins l’enceinte du FSM était-elle un lieu privilégié. On pouvait apprendre et connaître la vie dans les bidonvilles en parlant aux gens présents sans aller les visiter en bus, comme cela s’est fait assez fréquemment durant ce FSM-ci à Nairobi.
A côté de personnes qui ont moins de un euro par jour pour vivre et nourrir leur famille, il est normal qu’un participant - même s’il fait partie des couches défavorisées de la société dans laquelle il vit - paraisse riche. Il n’est par contre pas normal qu’un exclu de la société soit aussi exclu d’un Forum social et que la pauvreté soit diabolisée comme cela a parfois été le cas ici.
« Nos luttes, nos solutions »
Rédigé le 24/01/2007 à 15:30
Un peu de repos. Fuir la chaleur, le soleil. S’écarter des milliers de personnes qui discutent et marchent tout autour du stade, des groupes qui manifestent et chantent leur cause inlassablement. Monter dans les étages et dépasser les groupes qui improvisent des réunions et des AG, qui dans l’herbe, qui dans des salles.
Depuis hier, le Forum est enfin le Forum. Il appartient à celles et ceux qui sont là. Il appartient aux personnes, aux idées, aux débats, aux plans. Tout la moitié supérieure du stade est libre. Elle est l’endroit propice aux moments de repos et de réflexion, aux rendez-vous calmes. Un peu de repos sur les hauts du Forum.
Encore une fois, c’est le Forum qui s’est inventé lui-même en dehors des plans grandioses faits pour lui. Toutes les grandes tentes, le gymnase, toutes les salles de 1000 à 5000 personnes sont une nouvelle fois vides. Aucune des conférences faites pour animer les foules, celles avec les grands noms sur la scène des idées, n’a pu réunir plus de 150 personnes pour les plus courues. « Nous ne voulons pas entendre d’autres parler de nous. Nous voulons le faire nous-mêmes », affirme Lucile, militante du Bénin.
La confirmation de cet état des choses est donnée par le nombre impressionnant de Forums sociaux nationaux en Afrique. « C’est sans doute la région du monde dans laquelle il en existe le plus grand nombre », précise Bernard du Crid (plateforme française d’organisations pour le développement). Des dizaines ont fait le déplacement en plus des délégations d’organisations de leur pays. A l’image de la devise de celui de l’Ouganda : « Our Struggles. Our Solutions » (Nos luttes. Nos solutions).
Si le Forum mondial polycentrique de 2006 au Mali avait surtout mobilisé en Afrique de l’Ouest, pour la première fois à l’échelle continentale ou à celle de sous-régions, les réseaux, les campagnes, les luttes commencent à s’articuler. Bien entendu nous n’en sommes qu’au début. Plus à la prise de contact, mais pas encore à la coordination.
D’ateliers en séminaires, l’évidence ici c’est la richesse et la pertinence d’une expertise africaine sur l’Afrique et sur les mécanismes internationaux, économiques et politiques qui meurtrissent le continent. Celle-ci commence à se partager et à se confronter à d’autres : Institutions financières internationales, OMC, Union européenne, multinationales, aucun rouage ne lui échappe. La mise à plat des processus qui aboutissent ici à la misère, la reconstruction d’alternatives pour les entraver, prend d’autant plus de poids que l’analyse est intégrée à l’intérieur de la société civile africaine, des premières victimes.
En plus de l’analyse souvent technique et pointue, s’accumulent les témoignages pratiques, les exemples concrets. Un ou une telle représente les voix tues des paysans, des personnes déplacées par les conflits ou la misère. Un ou une telle incarne les voix absentes, massacrées par la maladie, les conditions de vie et de travail, les guerres, des migrations finissant au fond de l’océan ou dans un coin de désert.
Il est 14 heures. Sur les hauts du Forum, une brise légère se lève. Elle dissipe un instant les vapeurs de chaleur. Avec elle, montent les bruits des activités qui reprennent, toutes. Des mots s’envolent. Des mots flottent dans l’air limpide. Des mots éclatent en plein centre du ciel bleu. Des idées qui ont été filtrées par des milliers de têtes attentives.
Parmi les mots les plus répétés, c’est sans doute EPA (Accords de Partenariat économique) qui revient le plus souvent. « Pire que l’OMC ! », insiste l’orateur. L’Union européenne veut imposer la libéralisation totale et radicale des économies, en imposant des accords. Ironie du « Partenariat »… Ceux-ci vont réduire à néant les efforts collectifs des gouvernements africains, souvent trop modestes, souvent bloqués dans des programmes électoraux qui ne seront jamais mis en place. Lutter contre l’illétrisme, augmenter l’espérance de vie, améliorer le sort quotidien des populations… Des pressions commençaient à s’organiser. Certains résultats étaient déjà sensibles et réels. Voici que déboulent les EPA ! On hésite encore sur les méthodes pour les contrecarrer. Quel contre-attaque ? Reporter les dates de mise en place ? Exiger la remise à plat de tous les accords ? Comment ? Les Européens demandent de l’expertise africaine. « On ne peut pas agir seul. Il faut que les stratégies soient communes. Elle doivent correspondre à la volonté de la société civile africaine », explique Paul, militant anglais.
Ici, à Nairobi, le Forum social mondial a confirmé ce mardi la montée en puissance des voix de l’Afrique. Elles commencent à s’articuler entre elles. Elles s’imposent. Chacun apprend alors à parler, penser, analyser à partir de soi, en évitant de plaquer sur d’autres son propre ethnocentrisme. Tout n’est ici qu’un début. Mais il faut bien commencer. C’est sans doute, au fond le seul intérêt de participer à un Forum social.
Le FSM, un employeur (presque) comme un autre
Rédigé le 24/01/2007 à 21:03
« C’est le monde à l’envers. Le Forum préfère mettre les projets et les personnes en compétition, plutôt qu’en réseau », affirme, déçu, Spyros, un militant grec du réseau ALIS (Alternative Interpreting System) venu aider bénévolement à la préparation du FSM depuis la mi-décembre.
De fait tous les « volontaires » sont payés. Pourquoi les avoir nommé volontaires alors ? « Parce qu’ils sont volontaires pour être employés par le FSM », me répond, un rien ironique, l’un des organisateurs. Mais, après tout, pourquoi ne pas redistribuer une partie du budget du Forum directement aux personnes de Nairobi de cette façon ?
Le problème du salariat réside tout simplement dans le pouvoir de dire « non ». Un volontaire peut refuser des conditions de travail dégradantes ou de ne pas etre inclu dans les processus de décisions. La question n’est donc pas celle du travail gratuit, puisque la rémunération symbolique du bénévolat existe bel et bien. La gratuité permet avant tout d’être une valeur d’échange qui met tout le monde à
égalité, celui qui donne et celui qui reçoit.
Tel n’est évidemment pas le cas dans ce Forum. Les organisateurs ont préféré reproduire un fonctionnement traditionnel avec, à sa tête, un secrétariat kenyan, puis des prestataires, enfin des salaires. Ces salariés sont payés directement par le Forum. Ils ont un badge vert foncé siglé « Volunteers ». Les autres sont payés par des prestataires de service : ils ont un badge vert clair « Food Service ».
Lundi soir, dans le plus grand silence 200 interprètes ont été congédiés en quelques heures. On leur avait promis quatre à cinq jours de travail. Ils n’en auront eu que deux. Une sacré perte sachant que ces interprètes (non professionnels pour la plupart) sont payés environ 100 dollars par jour, ce qui est une somme colossale pour Nairobi.
Alors pourquoi les a-t-on renvoyés ? C’est assez simple et aussi logique qu’un licenciement dans une entreprise : on n’avait plus besoin d’eux parce que le matériel qui devait leur permettre de travailler ne fonctionnait pas !
L’Afrique, le FSM et les poncifs
Rédigé le 22/01/2007 à 19:20.
Pour Oloo qui, jusqu’à récemment, a été en charge du secrétariat kenyan, l’organisation du Forum ne peut que « refléter la société kenyane telle qu’elle existe ». Il excuse ainsi tous les dysfonctionnements notés par la petite centaine d’organisations qui venait d’en faire la liste, animée par des principes qui dépassent la réalité. Par exemple, la gratuité d’entrée pour les Kenyans, l’absence de sponsoring d’entreprises privées, le coût modeste de la nourriture et de l’eau dans le FSM…
La réalité du Forum est de fait bien en phase avec tous les poncifs que tout non-Africain peut avoir sur le continent. A telle enseigne, cette nouvelle anecdote bien affligeante.
Devant la porte numéro 1 (la porte d’entrée du Media Center, du secrétariat d’organisation, etc.) devaient se dresser quatre tentes : la première pour le Forum social africain, la deuxième pour le Kenya, la troisième pour le Brésil et la quatrième pour l’Inde. Ces tentes devaient représenter l’histoire des Forums précédents et être des lieux de convergence en même temps. Les Indiens par exemple ont choisi de bâtir la leur autour de la solidarité Afrique-Asie.
Madhu, qui avait été très impliquée dans le côté culturel du Forum de Mumbai, y a beaucoup travaillé avec les militants indiens, puis est venue sur place à Nairobi, quinze jours avant le début du FSM pour l’installer. Tout le monde était d’accord. Les décisions politiques et pratiques ont toutes été prises. Pourtant, depuis l’ouverture du Forum, les tentes du Brésil et de l’Inde sont reléguées au fond du terrain, bien loin du stade. « Là où personne ne passe », soupire Madhu, dépitée.
La nourriture est très chère sur le Forum. L’eau et les boissons aussi. Normalement, du reste tel qu’indiqué sur le plan distribué, les stands de nourriture sont organisés en une sorte de petit village à l’écart du stade. Dans le stade et autour du stade, où il y a les stands des organisations qui ont souhaité en louer un, il n’y a donc que le FSM. Là aussi, décision politique et pratique sont prises.
Pourtant se lève en face de la porte 1, là où devait se trouver les tentes du Brésil et de l’Inde, la tente du « Windsor, Golf Hotel & Country Club ». Expresso, boissons en tout genre, plats cuisinés dans une ambiance feutré (autant qu’une tente puisse l’être), serveurs en habit et cuisiniers en toque animant le décor.
Il faut dire que le Windsor appartient au Ministre de la Sécurité du Kenya. Ou en tous les cas qu’il a des intérêts financiers dans cet hôtel 5 étoiles.
Le FSM est-il là ? Oui il est bien là. Il est ancré dans la société civile africaine, bien présente, plus présente même qu’elle ne l’a jamais été nulle part. Elle a envahi les allées et les salles, elle discute, analyse, échafaude des plans d’action. Et avec elle tous les internationaux venus des quatre coins de la planète. Peut-être 15 ou 20000 personnes.
Cette société civile africaine est vivante. Elle est plurielle.
Evidemment elle ne correspond pas aux poncifs qu’on peut s’en faire. On la croit noyée dans les religieux et les religions, on la trouve anarcho-libertaire. On la pense ONG, on la rencontre syndicats. Elle n’est donc pas du tout en phase avec les « Oui, mais n’oublie pas qu’on est en Afrique » des non-africains, glissée ça et là d’un air entendu.
Les scandales évoqués depuis le début du FSM tiennent sans doute plus à la personnalité de celui qui est resté le seul organisateur, après avoir écarté tous les autres, Prof Edward Oyugi, qu’à une quelconque nature africaine.
C’est surtout la représentation kenyane au Forum qui en pâtit. Bien entendu il y a beaucoup d’organisations. Mais elles viennent surtout de Nairobi. Très peu de Mombassa et de Kisumu, deux autres grands centres urbains au Kenya. Certaines des organisations présentes sont venues avec une représentation symbolique. L’absence de fonds de solidarité permettant a des militant-e-s de venir gratuitement au Forum par bus ou trains, l’absence de mobilisation, l’absence de transparence sur les décisions prises tout au long de la préparation, voire sur les dates et les lieux de réunions de préparation, ont de plus dégoûté plus d’une organisation de participer pleinement.
David est dans une rage folle que « jamais une personne ne soit disponible », de toujours s’être entendu dire « demain », d’avoir eu affaire qu’à des « procédures bureaucratiques et des bureaucrates bornés ». Il a donc annulé le lancement prévu durant le FSM d’une campagne contre le tribalisme au Kenya : le concert prévu pour 20000 personnes, la centaine de personnes mobilisées, les techniciens, etc.
Où sont passés aussi les villages auto-organisés, les pêcheurs se débattant avec les multinationales, les personnes déplacées pour que la côte soit bétonnée par les hôtels de luxe, rencontrés à Mombasa en juillet ?
Pour ce qui concerne les autres pays, même s’il manque des représentations de certains des 56 pays d’Afrique, ce qui est tout à fait normal, en particulier l’Afrique du Sud, la Tanzanie, l’Ouganda et l’Ethiopie sont très visibles et très présentes. Les autres délégations aussi, même si c’est dans une moindre mesure : du Rwanda au Bénin, du Sénégal au Congo, du Maroc à l’Egypte.
« Pour la Tunisie, mais ceci est valable aussi pour le Maroc, la Libye et l’Egypte, les délégations sont trop petites. Les personnes qui sont là, le sont dans une très grande majorité, à cause de leur connexion avec les organisations du Nord. Comme moi par exemple », déclare Fathi, un militant tunisien. De fait, ce constat peut être étendu à une vaste majorité des délégations africaines présentes.
Mais ceci est un premier pas dont personne encore ne mesure l’ampleur véritable.Le Forum social du Congo Brazzaville s’est créé hier pour en finir d’être manipulé par la logique de guerre, lors d’une réunion d’une centaine de personnes dont plus de 50 Congolais. Il existe un réel approfondissement de la thématique de la dette et des plans d’actions particulièrement articulés à l’échelle du continent et au-delà. Des organisations de sous-régions d’Afrique qui ne s’étaient jamais rencontrées, n’avaient jamais communiqué, se découvrent et commencent à échanger.
Comme d’habitude le « peuple du Forum » prend le dessus. C’est peut-être une réelle avancée dans la qualité de la vie politique et sociale a l’échelle du continent africain. En tous les cas, c’est certain, au deuxième jour de ce FSM, c’est un véritable premier pas.
Et hop, voila le FSM !
Rédigé le 20/01/2007 à 17:34
Aujourd’hui c’est la fête ! Cérémonie d’ouverture du Forum dans le parc au centre de Nairobi. De nombreuses marches au programme, dont une depuis Kibera, le tristement célèbre bidonville en banlieue du quartier des affaires qui caractérise le centre-ville.
On a beaucoup trotté pour retrouver les habitants de Kibera en cortège vers le parc Uhuru. Et on s’est perdu évidemment. En bons M’zungus (blanc dans le parler local) partis avec un vague plan dessiné et l’indication Kibera DO, qu’attendre de plus.
Chemin faisant on a trouvé des délégués par groupes qui se rendaient à la cérémonie d’ouverture. On se salue. Ils sont de Zambie ou du Bernin, du Rwanda, d’Afrique du Sud. Il y a aussi les moins exotiques bien que tout aussi rougis que nous sous le soleil : les Italiens, les Suédois, les Américains et bien sûr d’autres Français.
Des « autres » plein les rues. Mais toujours pas de marche de Kibera mais un cortège d’une centaine de personnes sautillantes au rythme des clochettes, c’est le groupe de l’Eglise du Saint Esprit en procession pour un autre monde possible.
On a trouvé des visages souriants, pas des excités ; de l’enthousiasme mais toujours pas la marche de Kibera. Qu’importe ! Nous sommes bien arrivés au parc Uhuru. Là, environ 5000 personnes dansaient sous un soleil de plomb. Le temps d’une bonne rasade d’eau - bien entendu nous sommes partis les mains dans les poches pour quatre heures de marche autour de la ville (Des M’zungus, je vous dis !) - et la marche de Kibera arrive. Près de 500 personnes. Et nous hop, hop ! on se mêle à la foule, hop, hop ! vive le FSM !
Après quelques chansons, il est temps de revenir aux choses sérieuses. Premier constat : l’extrême visibilité, dans cette foule, de groupes religieux. Des prêtres en uniforme de prêtre, des paroissiens en uniforme aussi, des églises à l’unisson. Bref, choc culturel.
Hop, hop ! direction un petit bar pour une bonne bouteille de bière fraîche.
Vive le FSM !