Les personnes migrantes en demande de statut de réfugié·e ou de réunification familiale relèvent de la responsabilité du gouvernement fédéral, le gouvernement de la CAQ demande à Ottawa de lui confier ces pouvoirs. Pour ce qui est des migrant·e·s économiques, le gouvernement Legault vise essentiellement à mieux sélectionner les nouveaux arrivants en fonction des besoins des entreprises et de l’employabilité des candidat·e·s à l’immigration. Pour s’assurer de cet arrimage, le projet de loi veut accorder au ministre le pouvoir d’imposer par règlement, les conditions qui affectent la résidence d’un ressortissant étranger. [1]
La politique d’immigration de la CAQ, une politique conservatrice et néolibérale
Le projet de loi 9 s’inscrit dans la logique de la politique d’immigration du gouvernement canadien instaurée par le gouvernement Harper. Cette politique vise à accroître l’immigration économique aux dépens du regroupement familial et de l’immigration humanitaire. Elle cherche tant à procurer aux entreprises une main-d’œuvre qualifiée dans les secteurs de pointe (informatique, le domaine biomédical ou l’ingénierie) qu’une main-d’œuvre non qualifiée pour répondre aux besoins des services privés et de l’agriculture. [2]. Cette main-d’œuvre non qualifiée constitue une immigration temporaire qui se développe de plus en plus. Cette immigration est d’ailleurs un phénomène genré et racisé. Ces personnes n’ont, le plus souvent pas d’accès à la résidence permanente, se voient refusées la reconnaissance de droits accordés aux travailleurs ou travailleuses natifs. En somme, avec cette nouvelle période néolibérale, les gouvernements fédéraux (Harper et Trudeau) et provinciaux (au Québec Charest, Couillard et aujourd’hui Legault) ont cherché à réduire l’immigration à une offre de travail de plus en plus étroitement arrimée aux besoins des entreprises qui a marginalisé toute approche visant une véritable inclusion citoyenne sur une base égalitaire. Non seulement les personnes migrantes sont étroitement choisies pour servir les besoins d’accumulation des entreprises, mais la contribution économique des immigrants est désormais évaluée sur le court terme par les employeurs privés qui en viennent à se substituer aux agents de l’immigration. [3]
Le projet de loi 9, l’État à l’origine de discriminations systémiques
Rien dans la loi 9 ne cherche à s’attaquer aux discriminations existant face à l’emploi, aux revenus ou à l’avancement professionnel. Rien n’est introduit dans ce projet de loi sur reconnaissance des acquis de formation déniés par les ordres professionnels. Mais par contre le gouvernement n’hésite à permettre un traitement d’exception discriminatoire pour les personnes migrantes. La fixation du lieu de résidence à partir de la localisation de l’entreprise est un exemple de ce traitement d’exception. Le droit de circulation est nié ou diminué. Penserait·on mettre des pénalités à une main-d’œuvre locale qui refusait de quitter leur région à cause du niveau de chômage ? Poser la question c’est y répondre.
Le caractère outrancier et arbitraire du projet de loi 9 s’est d’abord exprimé dans l’élimination de 18 000 dossiers montés dans le cadre du Programme régulier des travailleurs qualifiés. Il a fallu que la politique gouvernementale soit frappée d’une injonction temporaire pour que le gouvernement Legault revienne sur cette politique. Il n’a d’ailleurs pas l’intention de mettre les ressources humaines et financières nécessaires pour traiter au plus vite ces dossiers, mais il semble comprendre qu’il faut composer avec l’indignation provoquée chez les personnes touchées et chez toutes les personnes solidaires de leur situation. En plus, le projet de loi 9 ne reconnaît aucun des droits du travail existant pour la main-d’œuvre locale aux personnes migrantes temporaires non qualifiées qui continuent à avoir un statut de main-d’œuvre corvéable, pouvant être mise à pied et expulsée sans problème.
Le projet de loi 9, où les particularités de la politique caquiste en matière d’immigration
En plus de soumettre sa politique d’immigration aux besoins économiques des entreprises, le gouvernement caquiste présente les personnes migrantes comme une menace pour la langue, la culture et les valeurs de la majorité culturelle sur le territoire et cherche à assurer le contrôle de la majorité culturelle sur le territoire national. C’est pourquoi au nom de l’intégration (en fait de l’assimilation) on vise à faire passer la question migratoire comme un problème central qui annoncerait un danger vital. Le gouvernement Legault propose donc d’introduire d’autres obstacles à l’obtention d’un droit de résidence permanent, soit un test des valeurs et un test de connaissance du français. L’intégration pour ce gouvernement se confond avec la volonté d’assimilation. Pour le gouvernement de la CAQ, les personnes migrantes doivent savoir, qu’il y a ici des paramètres sociaux clairs et bien établis et qu’il y a va de leur intérêt de les connaître et de s’y conformer.
Une politique alternative est possible et nécessaire
On nous dit qu’il n’y a pas d’alternative à une immigration soigneusement triée en amont alors que dans un monde globalisé, les migrations sont une donnée incontournable et ce se sera de plus en plus le cas. En fait, il existe une politique alternative. Elle doit être basée sur le choix de faire primer les droits humains sur les besoins du capital. Cela veut dire dépasser la vision utilitariste de la politique migratoire conforme aux seuls intérêts des grandes entreprises. Cela veut dire refuser la politique de fermeture à l’immense majorité des personnes migrantes et placer l’accueil des réfugié-e-s et la recomposition familiale au centre de la politique migratoire.
Les politiques migratoires des pays capitalistes avancés entraînent la fermeture des frontières ce qui conduit inéluctablement la violation d’une série de droits qui sont bel et bien garantis par les règles internationales concernant les migrant·e·s. Au lieu de se mettre au service complet de l’accumulation des entreprises, il faut ouvrir les frontières et se donner les moyens d’assurer la liberté de circulation, de garantir le droit de résider et la jouissance dans les pays où on réside de l’intégralité des droits sur une base d’égalité. Il faut arrêter les expulsions des personnes en situation irrégulière. Il faut régulariser les sans-papiers pour éviter de bâtir des couches surexploitées de sans droits à l’intérieur du Québec. Il faut réaliser une opération massive de régularisation. Il faut élargir la notion de réfugié·e·s pour y inclure les victimes d’atteintes aux droits économiques, sociaux et environnementaux suite à des bouleversements climatiques. C’est pour ce type de politique qu’il fut lutter comme indépendantistes. C’est le contraire de demander le transfert de pouvoirs d’Ottawa afin de mettre en place une politique encore plus restrictive en matière d’immigration. [4]
Une politique d’immigration doit s’articuler à une politique d’inclusion… et de co-construction du vivre ensemble sur une base égalitaire.
« Aussi, tant que l’on persistera à concevoir l’aménagement de la diversité ethnoculturelle au Québec comme un mouvement de convergence obligée de l’Autre vers le Soi, comme un devoir du nouvel arrivant envers la société d’accueil, et non pas comme un rapport social réciproque, libre, d’égal à égal, le chantier de la démocratie risque de rester en plan. Et la citoyenneté interculturelle que certains disent voir, une vue de l’esprit et non un état de fait. » [5]
Une véritable politique d’immigration doit se poser la question de la nécessité de concilier diversité, pluralité et égalité afin de ne pas ajouter à la rigidification de frontières extérieures, la multiplication de frontières intérieures. La base de ces frontières intérieures, ce sont l’ensemble des discriminations qui touchent des groupes entiers de la société et particulièrement les personnes et groupes racisés. Les luttes antiracistes seront au cœur d’une véritable politique d’inclusion.
Ce qu’il faut viser, ce n’est pas une intégration/assimilation, mais une intégration/dépassement de l’identité de la société d’accueil. Et cette démarche doit avoir tant une composante économique et politique qu’une composante culturelle : non aux discriminations économiques ; oui à l’élargissement des droits politiques des personnes migrantes, y compris le droit de vote ; oui à la reconnaissance de leurs apports culturels.
Le sentiment d’appartenance à la nation sera le produit de combats communs de la majorité et des minorités pour une société plus juste et plus égalitaire. Ces luttes communes contre toutes les formes de discrimination et la volonté de co-construire un vivre ensemble sur une base égalitaire, ne fera pas l’économie de la remise en question de la prépondérance politico-idéologique des normes de la majorité eurodescendante au Québec. [6]. C’est bien pourquoi la lutte antiraciste sera une composante importante de la lutte pour la transformation radicale de la société québécoise. La politique d’immigration de la CAQ nous prépare malheureusement un recul à cet égard.
Bernard Rioux
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