Cet appel nous invite à renouer en ce qui concerne la lutte contre l’antisémitisme, le racisme et le colonialisme, avec la « partie la plus lumineuse des combats de la gauche » qui, au passage, de sociale est redevenue la Gauche tout court. La gauche de la gauche semble ne plus en faire partie, puisqu’il alerte d’emblée contre un danger de dérive de cette gauche dont le petit « mais » utilisé de façon récurrente brunit le rouge de son combat.
Sans lui enlever de sa grandeur, on peut au moins ramener la Résistance à une lutte de libération contre l’occupation de la France par l’Allemagne nazie et antisémite. La parution du Statut des Juifs sous Pétain entraîne peu de réactions. Si de Gaulle a réussi à imposer l’idée de la France dans le camps des alliés, il faudra presque 20 ans pour qu’on reparle des écrits des survivants du génocide. Papon, ce collabo préfet de police à Paris en octobre 61 et février 62, Bousquet l’organisateur des rafles des Vel d’Hiv en 42 n’auront un procès que dans les années 90 ; la reconnaissance de la responsabilité de la France de Vichy, c’est Chirac en 95 ! La « gauche » et le PCF ont raté ces rendez-vous avec l’histoire.
Raymond Barre, qui s’apitoie sur les innocentes victimes françaises de l’attentat du 3 octobre 80 contre des israélites se rendant à la synagogue rue Copernic, est resté premier ministre !
La victoire sur le nazisme n’a pas éradiqué l’antisémitisme ni le racisme. La République française n’en a fait un délit qu’en 1981, 36 ans après la fin de la guerre !
Sur l’anticolonialisme et la Gauche, on peut être réservé sur le propos assez ampoulé du texte.
Le gouvernement provisoire du général de Gaulle comporte 13 ministres de « gauche » dont 2 PC et 7 SFIO, de Gaulle décide au lendemain du 8 mai 45, jour de la victoire sur la barbarie nazie, l’intervention militaire face aux premiers soulèvements en Algérie dans le Constantinople. Elle va faire plusieurs milliers de morts à Sétif, Guelma ou dans les charniers des gorges de Kherrata. Les cadavres seront brûlés dans le four à chaux de Lavie, 4 mois après la libération d’Auschwitz. Aucune démission !
Le gouvernement Bidault (10 ministres PC et 9 socialistes) décide l’envoi du corps expéditionnaire en Indochine et le 23 novembre 1945 l’armée française bombarde le port de Haiphong : 6000 mort ! C’est le début de la guerre d’Indochine, pas de démission !
Madagascar. 8000 soldats français dans l’île en mars 47 au début de l’insurrection. Un an après, le contingent est porté à 18 000 hommes. Dans le village de Moramanga, les militaires français tirent sur trois wagons plombés où étaient enfermés 166 insurgés prisonniers. Le conflit a fait près de 86000 morts !En mai 47 les communistes sont démis de leurs fonctions par Ramadier, après leur abstention sur le vote de confiance malgré la poursuite de l’intervention en Indochine,et à Madagascar ! Les socialistes resteront jusqu’en 58 !
Le statut de 47 en Algérie maintient 2 collèges électoraux. 1 voix du premier, les Français, correspond à 8 du second, les musulmans. Il refuse le droit de vote aux femmes algériennes (déjà accordé aux femmes françaises ) avec l’accord des 9 ministres socialistes et 2 UDSR ( dont François Mitterrand). Ce statut sera remplacé par les pouvoirs spéciaux par un vote favorable de l’Assemblée nationale, dont celui des députés de la SFIO et de 145 députés sur 146 PC, qui transfert le pouvoir aux mains de l’armée le 12 mars 56. Le 1er décembre 54 François Mitterrand déclare « L’Algérie, c’est la Franc et la France ne reconnaîtra pas chez elle d’autre autorité que la sienne ». Sur 45 condamnés à mort pendant la guerre d’Algérie, François Mitterrand en approuvera au moins 32 !
Il a fallu attendre octobre 2001 pour que le livre de Jean-Luc Eynaudi rappelle à la mémoire qu’avant les 8 morts de Charonne en février 62, il y eut les centaines d’Algériens anonymes tués et sans sépultures, venus manifester le 17 octobre 61 sur les grands boulevards et les quais, noyés dans la Seine, parqués en sang dans la préfecture de Paris, au Palais des sports, au stade Coubertin et au Parc des expositions par Papon et sa police.
Les principaux acteurs des attentats de l’OAS et les Généraux putschistes qui les soutiennent seront graciés le 6 juin 68 ! Les officiers survivants seront réintégrés dans les cadres de l’armée en novembre 1982 par le gouvernement Mauroy auquel participent 4 ministres communistes.
Le « terrorisme » échappe à cette détermination exemplaire de nos protagonistes des lois d’exception d’aujourd’hui lorsqu’il est blanc, français, patriote et bon chrétien !
L’antisémitisme ne s’est jamais arrêté, je l’ai rencontré dans mon lycée dans les commissariats et dans mon travail. L’intérêt de l’antisémitisme, c’est qu’il désigne un ennemi non identifiable, qui détiendrait non seulement tous les leviers des pouvoirs capitalistes, mais dirige aussi ceux qui le combattent ! Dans les contextes de crise économique et de précarité généralisée, il réapparaît plus fortement. Pour détourner la colère, il est toujours utile. S’il apparaît aussi dans un mouvement social comme celui des gilets jaunes, cela ne le réduit pas à en un mouvement antisémite. Dénoncer un sioniste qui tient des propos racistes et islamophobes, je comprends. Ajouter « retourne chez toi », je condamne parce que dès cet instant l’invective est antisémite !
Énumérer les croix gammées sur les portraits de Simone Weil, la profanation des cimetières juifs, l’agression de Finkielkraut et « Macron= Rothschild= Sion » induit implicitement que ces actes seraient le fait de gilets jaunes. On pourrait attendre que cela soit vérifié, surtout par les temps qui courent !
Le sionisme est resté longtemps minoritaire, malgré un antisémitisme meurtrier. L’abandon de la communauté juive face au génocide nazi, l’absence de soutien à ses tentatives de résistance vont laisser l’appel du Ghetto de Varsovie dans un silence assourdissant. Le refus des démocraties européennes et des Etats-Unis de recueillir les survivants des camps. Les pogroms antisémites en Pologne et en Hongrie contre le retour des revenants vont pousser une grande partie des rescapés à choisir le départ vers la Palestine. Avant le procès d’Adolphe Eichmann en 61, le génocide n’est pas le référentiel mémorial qu’il est devenu aujourd’hui en Israël, sous le terme Shoah. Les déportés étaient vécus comme ceux qui se sont fait prendre sans combattre, alors que d’autres avaient pris les armes pour se battre en Palestine. Les déportations des juifs d’Europe n’ont droit qu’à de petits entrefilets dans la presse sioniste en Palestine avant 48 ! (Tom Segev, Le 7e million).les familles juives découvrent, au cours ou après le procès d’Eichmann leurs rescapés ! Une grande partie de la communauté juive laïque n’était pas favorable à la création de l’État d’Israël avec l’hébreu comme langue et le roman historique du peuple talmudique comme histoire, les juifs orthodoxes aussi !
La réalité d’un pays pratiquant l’annexion permanente et la colonisation sans fin, la complicité dont Israël bénéficie de la part des principaux acteurs de la communauté internationale face aux violations des résolutions de l’ONU et la politique criminelle du gouvernement Netanyahou aggravent les tensions. La volonté d’affirmer de plus en plus Israël comme l’état des juifs, l’évolution vers un véritable apartheid renforcent l’idée qu’israélien = juif. Cela nourrit la colère contre les juifs, particulièrement chez les jeunes issus de l’immigration. Ils se reconnaissent dans la lutte des Palestiniens qui les renvoient aux rejets et aux humiliations qu’ils subissent. Le « Jewish go home » des palestiniens des territoires occupés renvoie au « yankee go home » , des Vietnamiens ou du mouvement anti-guerre pendant la guerre du Vietnam et ces jeunes le reprennent à leur compte. Ce n’est en rien comparable à l’antisémitisme populiste qui se développe et qui fait très bon ménage avec l’Islamophobie ambiante.
Les invectives racistes aux « négros ou bougnoules » à rentrer chez eux ne sont presque jamais sanctionnées ! Les victimes noires et maghrébines de la violence policière sont désignées comme coupables. Les auteurs systématiquement disculpés ! Les auteurs d’actes ou de propos antisémites sont à juste titre systématiquement condamnés. Si construire un arc unitaire à l’image de ce consensus veut dire défiler avec les responsables de politiques qui génèrent ces comportements, avec la LDJ, groupuscule juif d’extrême droite, toléré par le CRIF, je suis contre. Exiger que tout le monde les condamne, je suis pour. Il est dangereux de confondre Union nationale et unité contre le fascisme, le racisme ou l’antisémitisme.
Après l’attentat islamophobe de Christchurch, on devrait s’attacher prioritairement à construire ce consensus de l’intolérance à l’intolérable pour éviter que les plus mal traités ne se retournent demain contre les moins mal traités, ce qui serait un véritable et mortel danger.
Alain Cyroulnik