Le taux de participation de 66 % n’est pas aussi important que beaucoup l’espéraient et le nombre de bulletins invalides est honteusement élevé. Mais le résultat global des élections de dimanche (24 mars) est très clair : la majorité des Thaïlandais préfèrent les libertés de la démocratie à la stabilité sociale garantie par le régime autoritaire en place depuis cinq ans. Tel est le choix exprimé par une majorité faible mais nette des 33,6 millions de citoyens qui se sont rendus aux urnes.
Lundi soir, 94 % des bulletins avaient été dépouillés et le Pheu Thai, principal parti d’opposition, disposait d’une avance faible mais non négligeable sur le Phalang Pracharat, parti fondé pour assurer le maintien de la junte militaire au pouvoir.
Avec des gains estimés à 138 sièges (le scrutin n’est pas uninominal), le Pheu Thai – proche de Thaksin Shinawatra, le Premier ministre déchu aujourd’hui en exil — a au moins une faible chance de faire partie d’un gouvernement de coalition. Cependant, il devra faire face aux obstacles majeurs que constituent les dispositions antidémocratiques incorporées dans la Constitution par la junte.
Un jeu électoral truqué par la junte
Le Phalang Pracharat s’empressera d’interpréter son score de 7,7 millions de suffrages (500 000 de moins que le Pheu Thai) comme un puissant mandat du peuple, le signe d’une reconnaissance de la légitimité de la junte. Mais il ne peut ignorer la majorité de voix exprimées en faveur d’un changement, surtout lorsqu’on sait combien le jeu électoral a été truqué par la junte.
Si l’écart entre les deux partis demande encore à être affiné, la chute du Parti démocrate est flagrante. La raclée infligée au plus vieux parti politique du pays par le Phalang Pracharat jusque dans ses bastions traditionnels a contraint l’ancien Premier ministre Abhisit Vejjajiva à démissionner de son poste de dirigeant du parti.
Les opposants au régime militaire vont devoir prendre en compte cette impressionnante avancée du Phalang Pracharat. Les suffrages obtenus par le parti projunte traduisent le ressentiment tenace d’une grande partie de l’opinion publique depuis les combats de rue sanglants qui ont opposé [en 2010] les partisans des deux grands partis – les “chemises rouges”, démocrates, et les “chemises jaunes”, conservateurs – et le marasme économique qu’ils ont généré. Ces voix lui ont été accordées en dépit des faibles progrès économiques accomplis au cours des cinq années de pouvoir de la junte, la déception de l’électorat étant compensée par la garantie d’une stabilité sociale, même si les libertés ont été restreintes.
Le redécoupage électoral réalisé par la junte lui permet de se maintenir au pouvoir et le général Prayut est pratiquement assuré d’occuper son poste de Premier ministre pendant quatre années de plus. La junte s’est octroyé le pouvoir constitutionnel de nommer les 250 membres du Sénat, qui voteront en bloc pour désigner le titulaire de ce poste. Ce tripatouillage de la loi fondamentale du pays portera atteinte à toute tentative de Prayut de légitimer sa position. Son gouvernement pourra peut-être reconquérir le pouvoir, mais il ne pourra s’enorgueillir des méthodes utilisées pour y parvenir.
Le Premier ministre et ses partisans peuvent prétendre que la Thaïlande demeure exposée à des troubles et qu’ils sont les seuls à pouvoir assurer la transition d’un régime militaire à une véritable démocratie. Il reste qu’au cours des cinq dernières années ils ont enregistré peu de progrès, si ce n’est aucun – bien trop occupés à conserver leur mainmise sur le plus grand nombre dans l’intérêt d’une minorité. Aujourd’hui, ils semblent assurés de disposer de quatre années supplémentaires, et donc d’une nouvelle chance d’introduire des changements et des réformes, peut-être même en commençant par l’armée. Prayat et le Phalang Pracharat ne doivent pas s’imaginer que les citoyens ont voté pour eux sans attendre en retour un meilleur avenir.
Editorial
The Nation
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