“Ce n’est pas ainsi qu’on s’en débarrassera”, titre Der Spiegel, tandis que Die Welt déplore qu’on puisse “exclure, au nom de la morale”. Sur la même longueur d’onde, la Frankfurter Allgemeine Zeigung parled’une “exclusion insensée”. Le rejet définitif de Mariana Harder-Kühnel, candidate du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) à la vice-présidence du Bundestag, laisse perplexes les observateurs de la vie politique allemande. Le 4 avril, les députés ont rejeté sa candidature par 423 voix contre, 199 pour et 43 abstentions.
“Aux deux premiers tours [en novembre et décembre 2018], elle n’avait déjà clairement pas atteint la majorité requise de 355 voix”, relate la Süddeutsche Zeitung, avant de rappeler qu’Albrecht Glaser, le précédent candidat de l’AfD, premier groupe d’opposition parlementaire, avait subi le même sort fin 2017.
Mariana Harder-Kühnel, une députée AfD “plutôt modérée” ?
Depuis son entrée fracassante au Bundestag avec plus de 90 députés lors des dernières élections législatives de septembre 2017, Alternative pour l’Allemagne (AfD) n’est donc pas parvenue à occuper la fonction de vice-président du Parlement qui lui revient de droit. “La place laissée vide [après l’échec de Glaser] permettait à l’AfD de mettre en scène ce rôle de victime qu’elle affectionne particulièrement”, explique Die Tageszeitung.
Mais les idées ont fini par évoluer, de sorte que l’AfD a porté son choix en novembre 2018 sur une nouvelle candidate, la députée de la Hesse Mariana Harder-Kühnel. Cette quadragénaire, tête de liste régionale et membre du parti depuis 2013, est spécialiste de la politique familiale et une conservatrice déclarée, mais, “comparée à nombre de ses amis politiques, [elle est] une voix plutôt modérée”, souligne le quotidien berlinois alternatif.
“Ne pas faire de l’AfD un martyr”
Dans la dernière ligne droite, ajoute Der Tagesspiegel, Mariana Harder-Kühnel avait pris contact avec tous les groupes parlementaires, hormis Die Linke (gauche radicale), qui n’avait témoigné aucun intérêt à la rencontrer. Côté CDU-CSU (Union chrétienne-démocrate et Union chrétienne-sociale) et côté FDP (Parti libéral-démocrate), on semblait prêt à se prononcer en sa faveur “pour ne pas faire de l’AfD un martyr”.
Et parce que, selon les propos du chef de file des libéraux Christian Lindner (FDP), “le Bundestag est capable de supporter cela”. Mais, relate le quotidien libéral de Berlin, citant les propos de Harder-Kühnel, “beaucoup de députés étaient en plein dilemme” car, même s’ils n’avaient “rationnellement rien à objecter” à sa candidature, “ils ont un problème avec le parti”.
Une pratique erronée de l’exclusion ?
“Le résultat n’est pas une surprise”, analyse avec amertume la Frankfurter Allgemeine Zeitung, pour qui les députés “ont fait passer la morale avant la raison”. Cette “exclusion mise en pratique [par tous les autres groupes parlementaires] relève de l’autodestruction”, estimele quotidien conservateur.
Un point de vue partiellement partagé par Die Welt, l’autre grand quotidien conservateur, qui eût aussi aimé que le Parlement allemand respecte ses propres règles et ait davantage confiance en la solidité des institutions démocratiques. D’autant que, pointe Die Welt, “depuis que l’AfD y siège, le Bundestag est redevenu un lieu d’échange d’opinions et qu’il reflète plus précisément la société”. L’AfD, ajoute le journal, a secoué la pesanteur de la grande coalition et rendu la législature “plus vivante et, par là, plus démocratique. Hormis ce 4 avril”.
Plus ancrée à gauche, Die Tageszeitung (Taz) exprime dans ses colonnes des positions divergentes. Le quotidien proche des écologistes juge totalement compréhensible l’hostilité envers l’AfD et la nécessité d’y faire barrage : “Mieux vaut que le parti entonne la litanie de la victime plutôt que de poursuivre son chemin dans les institutions. […] Ceux qui veulent mettre un terme aux règles du jeu démocratique ne doivent pas pouvoir s’en réclamer”, assène la Taz.
La faute du SPD ?
“On peut comprendre qu’une grande majorité de députés se soit prononcée contre Mariana Harder-Kühnel”,reconnaît aussi Der Spiegel. Et d’ajouter : qu’on la juge “radicale”, “semi-radicale” ou “modérée”, la candidate ne pouvait pas être la bonne puisqu’elle était issue des mauvais rangs. Mais le magazine de Hambourg juge secondaire la question d’une vice-présidence AfD au Bundestag : l’important, c’est qu’en septembre 2017 “une partie du peuple a voulu […] faire de l’AfD la troisième force au Parlement”.
Partant de ce constat, Der Spiegel réserve ses plus sévères attaques au Parti social-démocrate (SPD) : “Ce qui a rendu l’AfD fréquentable, c’est bien plutôt le fait que le SPD a opté pour la grande coalition et qu’il a, de ce fait, laissé à l’AfD le rôle de leader de l’opposition. […] Au lieu de se focaliser sur un poste, tous les partis devraient réfléchir aux raisons qui ont fait de l’AfD une telle force politique […]. Quelles erreurs ont été commises, quelles failles y a-t-il eues dans les programmes pour que des millions d’électeurs veuillent émettre ce signal dans l’isoloir. C’est à ces questions décisives qu’il faut répondre si on veut protéger la démocratie face à ceux qui en doutent ou la combattent. Et si elles trouvent réponse d’ici aux prochaines élections, le problème de la vice-présidence [de l’AfD] se résoudra tout seul à l’avenir.”
Courrier International
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