VARSOVIE CORRESPONDANCE
Depuis la mi-novembre, une commission extraordinaire du Parlement polonais enchaîne réunion sur réunion. Sa mission ? Evaluer la dernière lubie de la Ligue des familles polonaises (LPR), représentant l’extrême droite ultracatholique : inscrire dans l’article 38 de la Constitution polonaise la protection de la vie « dès la conception ».
S’il venait à être adopté, à la majorité aux deux tiers, cet amendement entraînerait l’interdiction absolue de l’avortement dans un pays qui dispose déjà, à l’instar de l’Irlande et du Portugal, d’une des législations les plus restrictives d’Europe. L’interruption volontaire de grossesse (IVG) n’y est autorisée qu’en cas de viol, d’inceste, de danger pour la vie de la mère ou de malformation irréversible du foetus.
Radical et controversé, le projet de la LPR, présente au gouvernement depuis le printemps 2006, a été contrecarré par une autre proposition, émanant cette fois-ci de la droite conservatrice (Droit et justice, PiS) au pouvoir en Pologne depuis l’automne 2005. Début janvier, le premier ministre conservateur, Jaroslaw Kaczynski, a suggéré d’inscrire dans la Constitution que « la République protège, à travers la loi et les efforts des pouvoirs publics, la vie des enfants conçus ». Voulue comme un compromis, cette proposition est des plus floues.
« La droite conservatrice tâtonne. D’un côté, M. Kaczynski hésite à s’engager dans un débat qui reste impopulaire en Pologne ; de l’autre, il y a une réelle volonté de modifier la Constitution », gage la sociologue Miroslawa Grabowska.
La loi aujourd’hui en vigueur a été adoptée en 1993, sous la pression de la puissante Eglise polonaise. Au sortir du régime communiste, sous lequel l’IVG était largement répandue, un débat houleux avait agité l’espace public polonais, partagé entre pro et anti-avortement. Mais dans une société à 90 % catholique, seule la voix de l’Eglise l’avait emporté.
Aujourd’hui, l’Eglise est partagée. Certains prélats approuvent le projet de la LPR, quand d’autres, comme l’évêque Tadeusz Pieronek à Cracovie, enjoignent de préserver la législation actuelle : « Il y a quelques années, nous sommes parvenus à un compromis qui garantissait à chaque partie la paix. Il n’y a pas de sens à relancer le débat aujourd’hui », dit-il. Résultat d’un cadre législatif restrictif, moins de 200 femmes ont officiellement recours à une IVG, chaque année, en Pologne. La réalité est bien différente. Selon la Fédération du planning familial à Varsovie, 80 000 à 200 000 Polonaises avorteraient, chaque année, en toute clandestinité.
AVORTEMENTS CLANDESTINS
En ville, l’accès aux cabinets clandestins reste relativement facile. Il suffit de feuilleter les petites annonces de la presse écrite et d’apprendre à déchiffrer certaines expressions. « Gynécologue professionnel, sûr, peut provoquer le retour des menstruations » ou encore « Gynécologue expérimenté propose tous soins » : ce sont le plus souvent des médecins d’hôpitaux publics qui pratiquent des avortements clandestins à leur domicile ou dans un cabinet privé. Une intervention surfacturée, entre 1 500 et 3 000 zlotys et dans des conditions sanitaires parfois douteuses.
Professeur de philosophie à l’université de Varsovie, Magda Sroda retient surtout qu’« il est au final moins difficile, aujourd’hui en Pologne, d’avorter que de parler d’avortement ». Une chape de plomb que certains médias tentent de briser. C’est le cas de Wysokie obcasy (Talons hauts), le supplément féminin du quotidien centre gauche Gazeta Wyborcza, qui publie régulièrement des tribunes d’intellectuelles féministes ou des récits de femmes ayant avorté illégalement. Mais la mobilisation de la société polonaise pour ce sujet tabou reste faible. D’autant plus que, selon un sondage publié en novembre par l’Institut d’opinion CBOS, les Polonais soutiendraient de moins en moins le droit à l’avortement - de 57 % en 2004, ils sont passés à 44 % en 2006.