Au Soudan, Omar el-Béchir s’est maintenu au pouvoir pendant trente ans ; son successeur, le général Awad Ahmed Ibn Aouf, aura tenu trente heures. Il a été remplacé vendredi soir à la tête du Conseil militaire de transition (CMT) par Abdel Fattah al-Burhan Abdelrahmane, le commandant de l’armée de terre. « En deux jours, nous avons renversé deux présidents, ont scandé les dizaines de milliers de manifestants qui occupent depuis une semaine l’esplanade du quartier général de l’armée, au cœur de Khartoum. D’autres vont tomber, d’autres vont tomber. »
L’ancien numéro 2 du régime, Salah Gosh, tout-puissant chef du National Intelligence and Security Service (Niss, les services de renseignement), a également démissionné. Le départ de cet homme honni par les contestataires – il a été l’artisan principal de la répression du mouvement – a donné lieu à une nouvelle explosion de joie dans les rues de la capitale. Moins connu des Soudanais, le général Al-Burhan a été aperçu vendredi, avant sa nomination à la tête du CMT, en train de discuter avec des manifestants au pied du QG de l’armée. Le lendemain, dans un discours retransmis à la télévision, il a annoncé la levée du couvre-feu décrété quarante-huit heures plus tôt, la libération de tous les protestataires arrêtés ces dernières semaines, et s’est engagé à faire juger les responsables de la mort des manifestants (au moins 16, selon la police, ces derniers jours).
Des gages qui ont convaincu l’Alliance pour la liberté et le changement, coalition de partis d’opposition et de l’Association des professionnels soudanais, fer de lance de la contestation, de rencontrer pour la première fois le nouveau pouvoir militaire samedi soir. Elle exige la formation rapide d’un gouvernement entièrement civil et la neutralisation du Niss. « Nous continuerons nos sit-in jusqu’à la satisfaction de nos demandes », a prévenu l’un de ses leaders, Omar el-Digeir, chef du Parti du Congrès soudanais. Dimanche, le général Yasser al-Ata, membre du CMT, a fait un pas supplémentaire vers le mouvement. « Nous voulons mettre en place un Etat civil basé sur la liberté, la justice et la démocratie, a-t-il indiqué au cours d’une réunion avec des partis politiques. Nous voulons que vous vous mettiez d’accord sur une personnalité indépendante qui deviendrait Premier ministre et sur un gouvernement civil. »
Al-Bhuran a eu beau promettre de « lutter contre la corruption et d’éliminer les racines » du régime d’Omar el-Béchir, certains signes ne trompent pas. L’arrivée de Mohamed Hamdan Daglo, surnommé « Hemedti », comme membre du CMT, a de quoi inquiéter l’opposition. Ce jeune chef de guerre dirige les Rapid Support Forces, une force paramilitaire au service du Niss créée en 2013 en recyclant les brutales milices jenjawids employées pour le nettoyage ethnique au Darfour, qui a fait 300 000 morts depuis 2003, selon l’ONU. Elles ont aujourd’hui largement échappé au contrôle de Khartoum et pèsent sur tous les arbitrages sécuritaires, politiques et financiers au Soudan. Les Etats-Unis le savent : dimanche, un chargé d’affaires américain a eu une entrevue avec Hemedti au palais présidentiel. La veille, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont exprimé leur soutien au nouveau Conseil militaire, et annoncé l’envoi d’aide humanitaire, de médicaments et de pétrole au « peuple frère du Soudan ».
Célian Macé