Le droit de la presse réserve quelques subtilités. Vendredi 19 avril, la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris a considéré que quatre articles de Mediapart et France Inter, publiés les 9 et 30 mai 2016, « comportaient un caractère diffamatoire ».
Dans ces textes, treize femmes, dont six à visage découvert, accusaient Denis Baupin d’envois de messages insistants, de tentative de baiser volé ou de gestes à caractère sexuel. Des faits qui portent atteinte à son honneur, ont noté les magistrats. Mais, sans ambiguïté, ils ont donné tort sur toute la ligne à l’ancien député écologiste de Paris, qui avait porté plainte pour diffamation et réclamait 50 000 euros de dommages et intérêts.
M. Baupin a été débouté « de l’ensemble de ses demandes ». Les douze personnes renvoyées devant le tribunal, du 4 au 8 février, à la suite de sa plainte, ont été relaxées. En outre, l’ex-responsable politique a été condamné à verser des dommages et intérêts, pour un montant total de 7 500 euros, à tous les prévenus qui en avaient fait la demande, journalistes compris.
Durant une vingtaine de minutes, le président, Thomas Rondeau, a résumé les motivations du tribunal. Afin de justifier leur décision, comme souvent dans les affaires de presse, les magistrats ont retenu « la bonne foi » des journalistes, des six anciennes collaboratrices ou membres du parti Europe Ecologie-Les Verts (EELV) et de deux hommes qui avaient appuyé leurs dires.
M. Rondeau a balayé un à un les arguments du camp Baupin. Le ton des articles ? « Suffisamment prudent. » La thèse du complot politique suggérée par Me Emmanuel Pierrat, l’avocat de Denis Baupin, tout au long du procès ? Elle n’explique « pas la multiplication des témoignages concordants, pour des faits survenus à des dates éloignées, par plusieurs femmes venant d’horizons divers ». Le manque de contradictoire ? Plutôt une volonté de l’ancien élu de ne pas s’exprimer avant la publication des articles, alors que les journalistes ont essayé de recueillir sa version. L’absence de l’ancien vice-président de l’Assemblée nationale, lors du procès comme lors de l’annonce de la décision, n’est pas passée inaperçue.
L’importance de « parler »
Les juges ont souligné que les témoignages, maintenus à l’audience, avaient été rapportés « sans déformation » dans les articles. Ils ont estimé que les déclarations des personnes citées à la barre par la défense de Denis Baupin, dont deux de ses ex-compagnes et celle d’Emmanuelle Cosse, sa femme, n’étaient « pas de nature à remettre en cause la base factuelle alléguée ». Conséquence : pour les magistrats, « la constitution de partie civile [de Denis Baupin] apparaît téméraire et abusive ». Difficile d’être plus clair.
Sur les bancs des prévenus, le jugement a été accueilli par des larmes de joie, des sourires et de longues accolades échangées avec les avocats.
Plusieurs femmes ont évoqué leur « immense soulagement », mais cette issue judiciaire n’a pas surpris. Dans son réquisitoire, le 8 février, la procureure Florence Gilbert avait demandé la relaxe et salué le « courage » des femmes qui avaient parlé. Elle louait aussi le rôle des journalistes, « auteurs d’un travail fait sérieusement ». « La seule qualité de ce procès, avait-elle conclu, aura été de mettre en lumière la nécessité d’une impérieuse lutte contre le silence de personnes qui sont victimes de violences sexuelles. »
Vendredi, les prévenues ont à nouveau insisté devant les micros sur l’importance de « parler ». Sandrine Rousseau, la voix tremblante, s’est réjouie d’« un procès historique ». « La diffamation était une procédure bâillon, d’intimidation, a estimé l’ancienne cadre de EELV. Aujourd’hui, la justice a dit que les femmes étaient légitimes à parler. Les trois dernières années ont été extrêmement difficiles, mais je lance un message à la société : maintenant, regardez-nous autrement que comme des victimes, mais comme des femmes qui ont des compétences, qui savent se battre et faire avancer les choses. »
Le visage tendu, Me Emmanuel Pierrat n’a voulu retenir que la première minute de prise de parole du président Thomas Rondeau, sans s’étendre sur la suite de la décision.
« L’essentiel pour Denis Baupin était de faire reconnaître par la justice que les propos tenus à son encontre, les accusations nées dans une certaine presse, étaient diffamatoires. C’est le principal acquis de ce jugement. Le reste, effectivement, peut être désagréable, mais nous ferons appel, ou pas. » Au vu de la conclusion de ce procès qui s’est totalement retourné contre son instigateur, la question de la pertinence de faire appel se pose.
Yann Bouchez
• Le Monde. Publié le 19 avril 2019 à 14h15, mis à jour à 09h11 :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/04/19/affaire-baupin-relaxe-pour-les-journalistes-et-les-femmes-qui-accusaient-l-ancien-depute_5452575_3224.html
Relaxe requise pour les journalistes et les femmes qui accusaient l’ex-député
La procureure a salué « le travail sérieux » des journalistes et le « courage » des femmes qui ont dénoncé Denis Baupin pour des faits de harcèlement sexuel.
Des quatre jours d’audience, la procureure Florence Gilbert a gardé une interrogation inassouvie. « Pourquoi ce procès ? Je ne pense pas que les débats aient permis de répondre à ce point. » Si Denis Baupin voulait laver son honneur face aux femmes qui l’ont accusé de harcèlement ou d’agression sexuels, pourquoi ne s’est-il pas expliqué devant le tribunal ? Pourquoi, après les révélations de Mediapart et de France Inter, à l’origine de l’affaire en 2016, l’ex-député écologiste de Paris a-t-il maintenu sa plainte pour diffamation, malgré une enquête de police finalement classée sans suite, une partie des faits étant prescrits ?
La représentante du parquet n’a pas perdu de temps en conjectures. Elle a préféré saluer, vendredi 8 février, le « courage » des prévenus présents, sans qualifier l’attitude de « l’absent qui ne s’est pas déplacé jusqu’à cette barre ».
Dès le début de sa prise de parole, elle a requis la relaxe des journalistes, « auteurs d’un travail fait sérieusement et qui ne mérite pas condamnation ». A propos des six femmes et des deux hommes prévenus pour s’être exprimés dans la presse, elle a estimé que « ces personnes ont sincèrement rapporté ce qu’elles ont subjectivement vécu ».
Contorsions
Pendant presque trois heures, juste avant, Me Emmanuel Pierrat, l’avocat de Denis Baupin, avait pourtant attaqué sur tous les fronts, en critiquant les « conclusions définitives » des « enquêteurs zélés » de Mediapart et de France Inter.
Les rapports de M. Baupin avec les femmes qui assuraient avoir souffert de l’envoi de SMS insistants, à caractère sexuel, et de comportements déplacés ? « La réalité, c’est le libertinage (…) dans un petit parti avec beaucoup de promiscuité », a assuré Me Pierrat.
L’avocat a loué les mérites de l’enquête de police, « complète », ouverte au lendemain des révélations de Mediapart et de France Inter. Pour mieux souligner le fait que les journalistes n’avaient pas eu accès aux SMS dénoncés par les accusatrices, avant publication de leurs articles.
Mais Florence Gilbert a balayé un à un ces arguments. « Comme on ne peut pas faire le procès de M. Baupin, on ne peut pas vous dire qu’il est coupable, a-t-elle expliqué aux juges. Mais on ne peut pas prendre des petits morceaux de l’enquête de police, les tordre, et dire qu’il est innocent. »
« La prescription ne recouvre pas d’un tombeau les faits »
Elle en a profité pour rappeler que le procureur de Paris avait tiré, en 2017, une tout autre conclusion du travail de la police judiciaire que celle avancée par Me Pierrat, estimant que les faits, « susceptibles d’être qualifiés pénalement », étaient « cependant prescrits ». Cela rendait-il illégitime la démarche journalistique ? « Un sujet d’intérêt général ne se périme pas, a estimé Mme Gilbert. La prescription ne recouvre pas d’un tombeau les faits décrits. »
Quant à la thèse du règlement de comptes politique, suggérée à maintes reprises par la partie civile, elle l’a relativisée : « Un calendrier politique, il y en a toujours un. Dans ce cas, on ne pourrait jamais parler de faits de violences sexuelles dans un parti politique. »
Ce réquisitoire a résonné comme la meilleure plaidoirie possible pour les prévenus. Les avocats de la défense ont tout de même tenu à dire leur colère d’avoir vu ces femmes poursuivies en justice. Ils ont vu dans la démarche de l’ancien député une « procédure bâillon » et dénoncé son « caractère éhonté ». Tous ou presque ont demandé une condamnation de Denis Baupin pour procédure abusive.
« Cette enquête a fait du bien, pas seulement à ces femmes, mais aussi à la société », a résumé Me Elen Thoumine, l’avocate d’Elen Debost, élue écologiste au Mans. « Vous avez l’occasion de rendre, à travers votre jugement, un encouragement à ce que la parole se libère », a invité Me Basile Ader, conseil de France Inter.
Une phrase en écho aux derniers mots du réquisitoire de Florence Gilbert. « La seule qualité de ce procès, a conclu la procureure, aura été de mettre en lumière la nécessité d’une impérieuse lutte contre le silence de personnes qui sont victimes de violences sexuelles. »
Le président de la 17e chambre, Thomas Rondeau, a alors étouffé quelques velléités d’applaudissements du côté des bancs des prévenus. Jugement attendu le 19 avril.
Yann Bouchez
• Le Monde. 09 février 2019 à 06h39 - Mis à jour le 09 février 2019 à 12h31 :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/02/09/affaire-baupin-relaxe-requise-pour-les-journalistes-et-les-femmes-qui-accusaient-l-ancien-depute_5421351_3224.html