De très jeunes prévenus, bien insérés, avares de mots mais aux dénégations répétées. Une victime absente, dont le public ignore presque tout à l’issue de l’audience.
C’est un procès « particulier », pour reprendre les mots de la présidente, Eva Lima, qui s’est tenu devant la 18e chambre correctionnelle du tribunal de Bobigny, mercredi 17 avril. Quatre jeunes hommes, âgés de 18 à 22 ans, comparaissaient pour avoir participé, à divers degrés, à une agression contre des Roms, le 25 mars.
Ce soir-là, alors que la nuit tombe aux abords d’un centre commercial à cheval entre les communes de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil (Seine-Saint-Denis), trois policiers de la brigade anticriminalité (BAC) interviennent pour disperser un attroupement, juste à côté d’un squat occupé par des Roms. « Une cinquantaine d’individus, dont certains ont le visage dissimulé et sont porteurs de bâton », frappent un homme à terre, noteront les enquêteurs. Un déchaînement de violence « dans un climat très particulier, puisque circulaient des rumeurs d’enlèvements d’enfants par des Roms dans une camionnette », rappelle la présidente du tribunal.
De ces rumeurs, Yahya S., Samir B., Marwen C. et Abdeslam M., habitants de Montfermeil et de Gagny, ont entendu parler. Difficile de passer à côté quand, à l’époque, elles inondent les réseaux sociaux. Mais les prévenus assurent ne pas les avoir prises au sérieux.
Expéditions punitives
Pourtant, beaucoup y ont cru. Au point que, dans l’après-midi du 25 mars, le maire (PS) de Clichy-sous-Bois, Olivier Klein, avait organisé au côté du commissaire de la ville une réunion avec quelques dizaines d’habitants, afin de souligner le caractère infondé des peurs. Les autorités craignaient des expéditions punitives.
C’est à ce type de scène qu’ont assisté, quelques heures plus tard, deux policiers venus témoigner à la barre, mercredi. « On a vu une femme qui criait au secours, raconte un des membres de la BAC, alors qu’ils effectuaient des rondes pour s’assurer de la tranquillité autour des campements de Roms. Il y avait des enfants qui pleuraient, des cris partout. On a activé le gyrophare et on est descendu de la voiture. Vu que notre présence ne gênait pas les agresseurs, j’ai dû lancer une grenade de désencerclement. »
Son collègue complète : « J’ai essayé de parler avec ceux qui frappaient, mais c’était impossible de les raisonner. Ils voulaient en découdre avec les Roms. C’était très violent. L’homme qui se faisait rouer de coup avait la chemise déchirée et du sang sur lui. » Tandis que la victime parvient à se protéger derrière les policiers, d’autres Roms courent se réfugier dans le centre commercial.
Débordés, les deux policiers décrivent une scène aussi violente que confuse, des agresseurs criant : « On va s’en faire un ! On va s’en faire un ! » Selon eux, Yahya S. a donné des coups de pied à l’homme à terre. L’un des membres de la BAC a entrepris de le menotter, mais, face à ses gesticulations, le fonctionnaire s’est attaché à lui, pour être sûr de ne pas le laisser partir. Samir B., lui, aurait essayé de ramener Yahya S. vers le groupe d’agresseurs, en le tirant fort par le bras.
« Le mythe des romanichels voleurs d’enfants »
Les prévenus, s’ils reconnaissent avoir été présents aux abords du supermarché au moment des faits, nient toute implication. Retour du travail, courses à effectuer : tous avaient une bonne raison d’être là. Marwen C. était sur le chemin de la boucherie pour donner des restes de viande à son chien, explique-t-il. Il nie avoir crié à l’animal, sans laisse : « Vas-y, attaque ! », en direction des Roms, comme l’a entendu un policier.
Juliette Gest, la procureure, n’en croit pas un mot. A Yahya S., qui répète être venu « par curiosité », et ne pas avoir compris ce qu’il se passait, elle demande :
« En fait, vous êtes sur place, là où tout se passe, mais vous ne voyez rien. Vous vous faites menotter par un policier qui passait par-là ? On ne comprend pas votre version. Expliquez-vous mieux.
– Le policier, quand il est arrivé, il ne savait pas ce qu’il se passait. C’est une erreur. »
Pour la magistrate, il ne fait aucun doute que « le déferlement de violence a été guidé par un phénomène d’assimilation ethnique ». « Le mythe des romanichels voleurs d’enfants perdure depuis le Moyen Age. Par moments, il se transforme en peur collective très coriace », ajoute-t-elle, en écho à la plaidoirie de l’avocate de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme, qui s’est constituée partie civile.
Roms trop apeurés pour porter plainte ou témoigner
Elle requiert de la prison à l’encontre des quatre prévenus. Et dix-huit mois, dont dix avec sursis, pour Yahya S., seul à être poursuivi pour « violences volontaires à raison de l’appartenance de la victime à une ethnie » : « La responsabilité ne doit pas être atténuée du fait qu’il n’y a pas de victime présente. »
Me Dyhia Chegra, l’avocate de trois des quatre prévenus, souligne les manques de l’enquête : pas de témoignage des vigiles du supermarché, ni des Roms présents ; absence d’image probante sur les caméras de vidéosurveillance. « Vous n’avez absolument aucune preuve dans ce dossier », résume-t-elle, en demandant la relaxe. « Ce qu’il s’est passé ce soir-là était quelque chose d’horrible, mais je ne voudrais pas que l’on soit les boucs émissaires, se défend Yahia S., cheveux noirs gominés et pull rayé bleu et rose. Je suis conscient de la gravité des choses, mais je n’ai pas à payer pour d’autres personnes. »
Le tribunal a condamné Yahya S. à dix mois de prison ferme sans mandat de dépôt, et Samir B. à huit mois avec sursis. Abdeslam M. a été relaxé, faute d’éléments. Marwen C., déjà condamné fin 2018 pour des faits de violences, est parti en prison, avec une peine de six mois. Une décision à laquelle le jeune homme roué de coups n’a pas assisté. Dès le 25 mars, les Roms agressés, trop apeurés pour porter plainte ou témoigner, ont tous décidé de fuir vers Paris, escortés par les forces de l’ordre.
Yann Bouchez