Des attentats, le Sri Lanka en a connu de nombreux, mais la cible est nouvelle et le bilan d’une seule attaque n’avait jamais été aussi élevé que les 310 morts de ce dimanche 21 avril, malgré près de trois décennies d’une guerre entre les « Tigres » de la guérilla issue de la minorité tamoule et l’armée régulière. Le conflit s’était achevé dans un bain de sang en 2009.
Depuis, l’île a retrouvé la paix, non sans tensions. Notamment entre des éléments radicaux de la religion majoritaire, le bouddhisme (70 % de la population), accusant la petite communauté musulmane, qui représente entre 7 % et 9 % des 21 millions d’habitants, de chercher à étendre son influence.
Emeutes antimusulmanes, menées par des extrémistes bouddhistes
Au printemps 2018, des émeutes antimusulmanes menées par des extrémistes bouddhistes avaient poussé le président, Maithripala Sirisena, à déclarer l’état d’urgence. Déjà en 2014, des manifestations à l’appel d’une organisation bouddhiste ultranationaliste, Bodu Bala Sena (BBS « Force du pouvoir bouddhiste »), avaient fait quatre morts dans la région d’Aluthgama, sur la côte sud-ouest. La violence s’était étendue dans l’est du pays, dans la commune de Kattankudy, à majorité musulmane.
C’est dans cette région, où reste vif le souvenir d’un massacre en août 1990 lors duquel des musulmans avaient été attaqués en pleine prière dans quatre mosquées faisant 130 morts, qu’aurait émergé en réaction une organisation islamiste radicale, National Thowheeth Jama’ath (NTJ). L’un de ses leaders, le prédicateur Zahran Hashmi, s’était démarqué ces trois dernières années par ses discours incendiaires sur les réseaux sociaux.
Le gouvernement sri-lankais a accusé, lundi 22 avril, ce groupe d’avoir perpétré les attaques-suicides contre des églises et des hôtels de luxe qui ont fait 310 morts et plus de 500 blessés dimanche.
« Nous avons du mal à voir comment une petite organisation dans ce pays peut faire tout cela », avait toutefois déclaré la veille Rajitha Senaratne, porte-parole du gouvernement et ministre de la santé. Nous enquêtons sur une éventuelle aide étrangère et leurs autres liens, comment ils forment des kamikazes, comment ils ont produit ces bombes. »
Des représailles à l’attaque de Christchurch ?
Le porte-parole a également ajouté ce qui ressemble à ce stade davantage à une déduction qu’à une information certaine : « Il y a un réseau international sans lequel ces attaques n’auraient pu être réalisées. ».
Selon les premiers éléments de l’enquête, les assaillants voulaient venger les 50 musulmans tués le 15 mars dans deux mosquées de Nouvelle-Zélande par un terroriste suprémaciste blanc. « Les investigations préliminaires ont révélé que ce qui s’était passé au Sri Lanka avait été commis en représailles à l’attaque contre les musulmans de Christchurch », a déclaré mardi devant le Parlement Ruwan Wijewardene, vice-ministre srilankais de la défense.
En novembre 2016, le ministre de la justice Wijeyadasa Rajapakshe affirmait devant le parlement que 32 Sri-Lankais avaient rejoint l’organisation Etat islamique (EI) en Syrie, mais les principales organisations musulmanes du pays lui avaient reproché de ne pas apporter de preuves de ses affirmations et de jouer sur le sentiment antimusulman. Selon la police, 40 personnes ont été arrêtées depuis dimanche. Principalement des Sri-Lankais dont les liens avec le NTJ étaient bien connus, mais un Syrien compte également parmi les personnes interrogées par la police sri-lankaise.
Un autre élément pourrait porter la marque d’une influence étrangère : les assaillants s’en sont pris spécifiquement aux chrétiens et aux grands hôtels, alors que la majorité bouddhiste aurait constitué une cible éminemment plus évidente, dans le contexte local.
Le christianisme est perçu comme une religion exogène, symbole d’une influence occidentale dénoncée.
D’autres pays d’Asie connaissent déjà des phénomènes similaires. Le christianisme y est perçu comme une religion exogène, symbole d’une influence occidentale dénoncée, et liée à un passif colonial, face aux religions majoritaires, l’islam ou le bouddhisme. D’autant que les contacts avec le Moyen-Orient s’y sont multipliés, de par l’afflux de main-d’œuvre asiatique vers les pays du Golfe ou, plus directement, parce que des musulmans de la région ont pu rejoindre le théâtre irako-syrien. Les réseaux djihadistes internationaux ont trouvé dans les frustrations des peuples d’Asie du Sud et du Sud-Est un terrain fertile.
Califat territorial de l’EI en Asie du Sud-Est
Le 27 janvier, un double attentat a fait 20 morts et 102 blessés dans la cathédrale de Jolo, île à majorité musulmane du sud de l’archipel philippin, où est dénoncée la mainmise de Manille. En mai 2017, lorsque des groupes djihadistes se revendiquant de l’EI s’étaient emparés de la plus grande ville musulmane des Philippines, Marawi, pour tenter d’y établir un califat territorial en Asie du Sud-Est (ils étaient parvenus à tenir la cité cinq mois), un curé et ses dizaines d’ouailles, saisis en pleine messe, avaient été parmi les premiers pris en otage.
L’Indonésie, plus grand pays musulman de la planète, en fait également l’expérience. Le 13 mai 2018, des attaques menées par six membres d’une même famille rentrée de Syrie contre trois églises ont tué 13 personnes à Surabaya, deuxième ville du pays. Ces attaques interviennent dans un contexte où la tolérance de l’Indonésie envers ses minorités est mise à l’épreuve par des tensions conservatrices au sein de la société : en 2017, le premier gouverneur non musulman de Djakarta avait été emprisonné pour blasphème.
Au Pakistan, c’est l’un des plus grands parcs de la ville de Lahore qui, en 2016, avait été la cible d’une attaque faisant 72 morts, principalement des chrétiens célébrant le dimanche de Pâques. La série d’attentats qui a secoué le Sri Lanka en est l’écho. Elle ne manquera pas d’attiser les tensions dans un pays où les chrétiens découvrent être la cible de militants islamistes, alors que l’île peine déjà à trouver l’apaisement pour les morts des décennies passées.
Harold Thibault
• Le Monde. Publié le 23 avril 2019 à 11h39, mis à jour à 11h45 :
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/04/23/en-asie-les-chretiens-pris-pour-cibles-du-terrorisme-islamiste_5453812_3210.html
Chez les chrétiens, le deuil et l’incompréhension
Dans le quartier endeuillé de Kochikade, à Colombo, les habitants craignent le retour des tensions religieuses.
Avec son visage légèrement penché sur le côté et son regard noir perdu dans le vague, Dilishya Fernando ressemble à la mater dolorosa, cette « mère de douleur » que l’on aperçoit parfois à l’intérieur des églises, comme à Colombo. Vêtue d’une longue robe bleue, les cheveux soigneusement tressés, elle attend chez elle, assise sur une chaise en plastique, qu’on lui ramène le corps de son mari tué dimanche matin 21 avril par l’explosion d’une bombe, pendant la messe de Pâques, à l’église Saint-Antoine de Colombo.
Au moins 310 personnes ont péri et 500 ont été blessées dans une vague d’attaques coordonnées dans le pays qui a visé dimanche des hôtels de luxe et des églises du pays. Les autorités sri-lankaises accusent le groupe islamiste local National Thowheeth Jama’ath (NTJ) de les avoir organisés.
A l’heure actuelle, seul l’Etat islamique a revendiqué l’attaque via son agence de propagande Amaq. Par le passé, le groupe a revendiqué plusieurs actes terroristes - à Las Vegas, à Nice ou à Paris- sans que sa reponsabilité ait pu être établie par les enquêteurs. Ce qui interroge sur la nature potentiellement opportuniste de certaines d’entre elles, même si le groupe peut inspirer les passages à l’acte.
« Vous avez de la chance, votre mari est tout entier, a-t-on expliqué à Dilishya Fernando dimanche à l’hôpital, il ressemble à quelqu’un qui dort. » Dans le quartier à majorité chrétienne de Kochikade, où au moins neuf habitants sont morts dans l’attaque-suicide, tous les corps n’ont pas pu être identifiés. Des centaines d’habitants faisaient la queue sous une chaleur accablante, lundi, à la morgue de Colombo pour tenter d’identifier l’un de leurs proches disparus. Certains corps sont tellement mutilés que seule la comparaison d’échantillons d’ADN permet leur identification.
« Sifflement »
Dilishya Fernando attend le cadavre de son mari depuis bientôt trente heures. Elle était avec lui pendant cette messe tragique de dimanche. Comme toutes les autres femmes, elle s’était assise à l’avant de l’église avec ses deux filles, ce qui les a sauvées, pendant que son mari se tenait débout dans le porche où a eu lieu l’explosion. « La bombe a soufflé l’église au moment où nous terminions notre prière en chantant “Gloire à Dieu”, se souvient Dilishya. Et puis plus rien, enfin juste des images de mort qui défilaient en silence, je n’entendais qu’un sifflement dans mes tympans. »
Dans son petit salon peint en vert, elle a recouvert d’un drap blanc les étagères remplies de bibelots en porcelaine, a allumé une bougie sur un petit autel fixé au mur et une autre sur le sol en ciment. Un petit chapiteau a été dressé devant la maison pour accueillir les voisins, la famille, et une image de l’archange Gabriel a été accrochée à la hâte au-dessus de la porte d’entrée. Dans le quartier, des drapeaux blancs ont été suspendus aux façades des maisons et les rues ont été habillées de fanions noir et blanc en guise de deuil.
Un corbillard arrive sous le soleil de plomb. Des hommes en sortent un grand crucifix en cuivre rutilant, et un cercueil qu’ils posent sur des trépieds dans le salon. Au moment de retirer le couvercle du cercueil, les sanglots étouffés laissent place aux hurlements de la mère et des filles qui se penchent sur le cadavre, les poings serrés : « Qui m’appellera de mon prénom matin et soir ? », « Qui va s’occuper de la famille ? », « Qui me trouvera un mari ? ».
Des hommes se tiennent en retrait, silencieux. Le cadavre a été habillé d’un costume noir, les mains ont été gantées de blanc, son visage a été recouvert d’un voile de gaze. Anton Fernando sera enterré mercredi 25 avril.
L’église Saint-Antoine, au fronton défiguré par l’explosion, n’est située qu’à une centaine de mètres de là. Toutes les horloges de l’édifice se sont arrêtées à 8 h 45, l’heure à laquelle s’est terminée la dernière prière avant la communion. L’entrée a été soufflée par l’explosion de la bombe. Le sol, encore recouvert d’une mare de sang séché, est jonché de souliers. Une odeur fétide flotte dans l’édifice.
Dans un coin de l’église, tout au fond de la nef, une dizaine de prêtres des paroisses voisines se tiennent debout en cercle et chantent une prière dans laquelle ils implorent Dieu d’accueillir les âmes des défunts. Tous se prennent dans les bras et s’échangent à voix basse quelques mots réconfortants. « Jamais on n’aurait pu imaginer pareil carnage, répète le prêtre de l’église, Jude Raj Fernando, sous le choc, les yeux rougis par la fatigue. C’est le premier jour qu’une messe n’est pas célébrée dans l’église. »
Au milieu des débris de statuettes de Jésus et de la Vierge Marie, éparpillés sur le sol, le père Jude Raj Fernando reçoit prélats, représentants des différentes communautés religieuses et enquêteurs de la police scientifique. Puis il se précipite vers son bureau d’où il sort son sermon écrit en tamoul : « Rendez-vous compte que je parlais de Jésus comme roi de la paix et de l’harmonie le matin de l’explosion. » Quelques jours auparavant, il avait aussi célébré une messe en l’honneur de Notre-Dame où il avait prononcé ces mots : « Dieu nous envoie des messages à travers les catastrophes qu’il nous faut interpréter et comprendre. »
« Incompréhensible, inattendu, tragique »
Or, personne, au Sri Lanka, ne parvient encore à comprendre l’origine de ces attaques. « C’est incompréhensible, inattendu, tragique », confie un prêtre d’une paroisse voisine. Au cours des derniers mois, des messes avaient été perturbées par des jets de pierre, mais jamais rien de cette ampleur ne s’était produit dans l’histoire récente du pays. « Je ne vois pas pourquoi les extrémistes bouddhistes s’attaqueraient aux étrangers dans les hôtels de luxe et on a encore du mal à imaginer que des musulmans, qui sont l’autre minorité, puissent s’attaquer à nous », ajoute ce prêtre.
Un haut responsable de la police sri-lankaise avait averti il y a dix jours, sur la foi d’informations d’une agence de renseignement étrangère, qu’un mouvement islamiste projetait « des attentats-suicides contre d’importantes églises », mais personne n’y avait prêté attention. Quarante personnes ont été arrêtées après les attentats. Dans la nuit de lundi à mardi, l’état d’urgence a été décrété.
Dans le quartier Kochikade, les chrétiens se sentent en insécurité. Gloria, une femme d’une soixantaine d’années aux cheveux argentés et à la robe fleurie, dit avoir rassemblé dans un balluchon ses bijoux et ses objets de valeur « au cas où il faudrait partir ». Elle n’a pas dormi de la nuit, redoutant une nouvelle attaque terroriste.
Les musulmans du quartier vivent eux aussi dans la crainte de représailles. L’imam de la mosquée, pagne autour des hanches et longue barbe grisonnante, désigne du doigt le terrain de basket-ball où les enfants de toutes les communautés ont l’habitude de jouer ensemble : « J’espère que la peur ne va pas nous diviser. » Des bannières sont apparues dans la capitale offrant les condoléances aux familles des victimes au nom de plusieurs organisations musulmanes. Des responsables politiques musulmans ont condamné ces « attaques lâches contraires à leur religion ».
Au Sri Lanka Pâques est célébré dans de nombreux endroits du pays. C’est le moment où l’on invite les voisins du quartier de toutes confessions à partager du riz au lait chez soi, le plat traditionnel servi pendant ce jour de fête. L’église Saint-Antoine n’était pas fréquentée que par des chrétiens. « Des musulmans, des bouddhistes venaient ici pour exaucer leurs vœux devant la statue miraculeuse de saint Antoine », explique l’assistant du père Fernando, qui a sauvé la statue, intacte, des décombres juste après l’explosion.
« Sanctuaire »
Saint-Antoine est d’ailleurs connue dans le quartier comme un « sanctuaire » davantage que comme une « église ». La légende raconte que la statue aurait offert son premier miracle il y a près de deux siècles, lorsqu’une montagne de sable serait apparue la nuit pour protéger de l’érosion la côte qui longe l’église.
Le bâtiment est désormais inaccessible, entouré d’un cordon de policiers. Sur l’avenue principale qui y mène, les habitants viennent se recueillir en silence et les caméras de télévision du monde entier filment les séquelles de l’explosion de dimanche matin. Lundi en fin d’après-midi, une énorme explosion a retenti pendant une opération de déminage de bombe dans une camionnette à l’arrêt juste à côté. Paniqués, les habitants du quartier se sont cloîtrés chez eux.
A chaque journaliste qui se présente ici, c’est Tuan que les habitants appellent pour qu’il soit interrogé, comme pour montrer à la terre entière que, dans le quartier, les résidents de différentes confessions savent coexister pacifiquement. Ce musulman habite dans une cahute à quelques dizaines de mètres de l’église. C’est lui qui s’occupe du lâcher de colombes, organisé à chaque dimanche de Pâques lorsque la nuit tombe, sur le parvis de l’église illuminée pour l’occasion.
Cette année, il a aidé la police à évacuer les blessés et à nettoyer l’église sans une heure de pause. « Cette église est sans religion », assure Tuan, qui a donné tous ses draps pour envelopper les blessés. Ses voisins, des habitants chrétiens du quartier, acquiescent : « C’est la statue de saint Antoine que nous révérons au moins autant que Dieu. » Craignent-ils des tensions entre communautés religieuses ? « Là où il y a Dieu et de l’amour, il ne peut pas y avoir de tensions », répondent-ils tous en chœur.
« Ça dépend de l’attitude des politiciens », rectifie l’un d’eux, craignant que la série d’attentats ne rouvre les blessures d’un pays meurtri par une guerre civile qui a fait des dizaines de milliers de morts entre 1983 et 2009. Ce conflit qui avait opposé la minorité tamoule à la majorité cinghalaise n’avait toutefois jamais connu de lignes de fracture religieuses aussi nettes. Le pays s’apprêtait à célébrer, en mai, dix ans de paix.
Julien Bouissou (Colombo, envoyé spécial)
• Le Monde. Publié le 23 avril 2019 à 11h39, mis à jour à 11h45 :
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/04/23/attentats-au-sri-lanka-chez-les-chretiens-de-colombo-le-deuil-et-l-incomprehension_5453679_3210.html
Un gouvernement divisé a ignoré les avertissements des services de renseignement
Sur fond de rivalités politiques entre le président et le premier ministre, l’Etat n’a pas tenu compte des mises en garde de son propre renseignement.
Les attentats à la bombe qui ont fait au moins 320 morts et 500 blessés, dimanche 21 avril, au Sri Lanka, auraient-ils pu être évités ? Sur fond de rivalités politiques entre le président et le premier ministre sri-lankais, la polémique s’est emparée du pays après la publication d’une note des services de renseignement datée du 11 avril avertissant qu’un mouvement islamiste projetait des « attentats-suicides contre d’importantes églises catholiques et l’ambassade d’Inde ».
Cette note, qui a fuité dans la presse locale, détaille les noms des potentiels kamikazes, leurs adresses, et le nom du mouvement islamiste local auquel ils appartiennent, le National Thowheeth Jama’ath (NTJ), accusé par les autorités sri-lankaises d’être à l’origine des attaques de dimanche. Le quotidien indien The Hindu affirme en outre que l’agence indienne de lutte antiterroriste, la National Investigation Agency (NIA), avait averti les autorités sri-lankaises des risques d’attentats dès la fin de l’année 2018 après avoir obtenu ces informations auprès d’un sympathisant de l’organisation Etat islamique originaire de l’Etat indien du Tamil Nadu.
« La volonté d’affaiblir un rival politique a compromis la sécurité du pays »
Selon le porte-parole du gouvernement, le premier ministre Ranil Wickremesinghe n’était pas au courant de ces informations. Il n’est plus invité aux réunions du conseil de sécurité depuis la crise qui a éclaté en 2018 avec le président sri-lankais, Maithripala Sirisena. Après avoir été limogé par M. Sirisena fin octobre 2018, M. Wickremesinghe avait été réinvesti à son poste de premier ministre quelques semaines plus tard grâce à une décision de la Cour suprême. Les deux hommes entretiennent depuis des relations difficiles.
Lorsque M. Wickremesinghe a voulu organiser une réunion du conseil de sécurité quelques heures après les attaques de dimanche, en l’absence du président en déplacement à l’étranger, aucun membre ne s’est présenté, selon les informations de l’agence Reuters. « La volonté d’affaiblir un rival politique a compromis la sécurité du pays », déplore le quotidien sri-lankais Daily Mirror dans son édition du 23 avril.
« Nous avons honte de ce qui s’est passé », a déclaré lundi Rauff Hakeem, le ministre sri-lankais de la planification urbaine. Si les noms des personnes impliquées étaient connus, pourquoi n’ont-elles pas été arrêtées ou davantage surveillées en amont ? Une commission d’enquête dirigée par un juge de la Cour suprême va être formée pour faire la lumière sur ces dysfonctionnements.
Contexte pré-électoral
A l’approche des élections qui doivent se tenir d’ici à la fin de l’année, les attentats de dimanche ont pris une tournure politique. Ils pourraient profiter à l’ancien homme fort du pays, Mahinda Rajapakse. Ce dernier tire sa gloire de la défaite infligée aux Tigres tamouls en 2009 dans un bain de sang, alors qu’il était président, mettant fin à vingt-six ans d’un conflit armé qui a fait des dizaines de milliers de morts. Ce dernier a accusé le gouvernement de « négligence » et a affirmé qu’il avait prévenu depuis des mois les autorités des menaces qui pesaient sur le pays.
Les attentats de dimanche rappellent les pires heures de la guerre civile, quand les attaques-suicides menées par le mouvement séparatiste LTTE des Tigres tamouls étaient fréquentes, et la présence policière et militaire hautement visible dans Colombo. Le pays n’avait jamais connu d’attentat aussi meurtrier, et les assauts de dimanche ravivent la mémoire d’une attaque-suicide qui avait fait près de 100 morts au siège de la banque centrale à Colombo, en 1996.
Etat d’urgence à partir de lundi minuit
La situation d’aujourd’hui est toutefois très différente. La guerre civile opposait la minorité tamoule à la majorité cinghalaise, accusée d’être favorisée par l’Etat. Or les chrétiens appartiennent aux deux communautés. Mi-avril, des messes avaient été célébrées sous protection policière dans le centre du pays, après que des églises ont été la cible de jets de pierre par des militants soupçonnés d’appartenir à des groupes extrémistes bouddhistes. Quant aux musulmans, ils ont été la cible d’attaques à la fois des séparatistes tamouls du LTTE et des Cinghalais bouddhistes.
La présidence du pays a déclaré l’état d’urgence à partir de lundi minuit au nom de la « sécurité publique ». Cette mesure, qui n’a pas de définition précise dans la Constitution du pays, a pour but de donner une plus grande latitude à la police et à l’armée. Mise en place pendant vingt-huit ans jusqu’en 2011, et pendant quelques mois en 2018, elle avait été critiquée pour avoir porté atteinte aux droits fondamentaux, dont la présomption d’innocence, et réduit la liberté d’expression dans le pays.
Carte de situation - Sri Lanka - attentats - attaque - avril 2019 Infographie Le Monde
Julien Bouissou (colombo, envoyé spécial)
• Le Monde Publié aujourd’hui à 11h17, mis à jour à 12h15 :
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/04/23/les-autorites-sri-lankaises-ont-ignore-les-avertissements-sur-le-risque-d-attentats_5453795_3210.html