Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. C’est en substance la mise en garde adressée par plus d’un millier d’experts du patrimoine au président de la République concernant la restauration de la cathédrale Notre-Dame. « N’effaçons pas la complexité de la pensée qui doit entourer ce chantier derrière un affichage d’efficacité », s’alarment-ils dans une tribune publiée dimanche 28 avril sur le site du Figaro [1].
Les 1 170 conservateurs, architectes et professeurs français et étrangers incitent ainsi l’exécutif à prendre le temps de « trouver le bon chemin » et à ne pas s’affranchir des règles de protection du patrimoine, alors qu’Emmanuel Macron a promis de reconstruire d’ici cinq ans le joyau de l’art gothique [2] en partie détruit par l’incendie du 15 avril.
« Prenons le temps du diagnostic »
Les signataires, parmi lesquels le conservateur des monuments nationaux, Laurent Alberti, critiquent le choix du gouvernement de passer pour ce chantier par un projet de loi autorisant des dérogations aux normes de protection patrimoniale. Les « choix » pour la restauration du monument doivent se faire « en ayant une approche scrupuleuse, réfléchie, de la déontologie » ajoutent-ils dans cette tribune, intitulée « Monsieur le Président, ne dessaisissez pas les experts du patrimoine ! » :
« Prenons le temps du diagnostic. L’exécutif ne peut se passer d’écouter les experts, la France en forme parmi les meilleurs du monde. (…) Sachons les écouter. Faisons-leur confiance, faites-leur confiance, sans retard mais sans précipitation. »
Le projet de loi spécial a été présenté mercredi 24 avril en conseil des ministres. Celui-ci donne « la possibilité au gouvernement de prendre par ordonnance les mesures d’aménagement ou de dérogation nécessaires pour faciliter la réalisation des travaux » de l’édifice. Le projet de loi met également en œuvre les annonces faites par le premier ministre, Edouard Philippe, notamment la création d’une réduction d’impôt majorée de 75 % pour les dons jusqu’à 1 000 euros et la création d’un comité de contrôle pour l’utilisation de ces dons. Il confère, par ailleurs, au gouvernement la possibilité de créer un établissement public chargé de concevoir et réaliser les travaux de restauration et de conservation de la cathédrale.
« Précipitation » et loi d’exception
Plusieurs voix dans le monde de la culture ont exprimé leur préoccupation à l’encontre de ces dérogations. L’animateur Stéphane Bern, chargé d’une mission sur le patrimoine par le président Emmanuel Macron, s’est aussitôt dit inquiet d’une « loi d’exception ». « Cela nous inquiète. Le risque est de créer des précédents. Il y a beaucoup de précipitation. Les lois d’exception, ça m’angoisse toujours », a-t-il déclaré. L’ancien ministre de la culture, Jack Lang, a également exprimé sa « réserve » sur les dérogations aux règles du marché public :
« Nous avons, par le passé, mené à bien des chantiers d’ampleur sans avoir besoin d’une telle disposition. En neuf mois, nous avons redoré ainsi le dôme des Invalides en 1988, et, en quatre ans, nous avons restauré la totalité du palais du Louvre sans aucune dérogation. De même la cathédrale de Strasbourg et beaucoup d’autres chantiers. »
Le ministère de la culture a pour sa part assuré qu’il ne s’agissait « nullement de déroger aux principes fondamentaux de la protection du patrimoine ». Les règles, pour les dérogations, « sont très étroitement délimitées » et l’exposé des motifs de la loi « vise spécifiquement la législation applicable aux abords des monuments, et non les monuments eux-mêmes », assure-t-il.
Le Monde
• Le Monde. Publié le 29 avril 2019 à 15h12 :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/04/29/notre-dame-plus-de-1-000-experts-appellent-macron-a-eviter-la-precipitation_5456334_3224.html
Notre-Dame : le gouvernement veut déroger à certaines règles pour accélérer les travaux
S’agissant des dons, qui ont atteint plus de 850 millions d’euros en trois jours, la Cour des comptes a, pour sa part, annoncé mercredi qu’elle contrôlerait les fonds collectés.
La reconstruction de Notre-Dame de Paris, et notamment la question de son financement, continue à faire débat, dix jours après l’incendie de la cathédrale. Un projet de loi spécial Notre-Dame de Paris a été présenté mercredi 24 avril en conseil des ministres. Celui-ci donne « la possibilité au gouvernement de prendre par ordonnance les mesures d’aménagement ou de dérogation nécessaires pour faciliter la réalisation des travaux » de l’édifice.
Ce projet de loi, qui vise à permettre une restauration de la cathédrale en cinq ans – ambitieux objectif fixé par le président Emmanuel Macron –, devrait permettre au gouvernement de déroger à des obligations en matière de marchés publics et de lois de protection du patrimoine.
Le projet de loi met également en œuvre les annonces faites la semaine dernière par le premier ministre, Edouard Philippe, notamment la création d’une réduction d’impôt majorée de 75 % pour les dons jusqu’à 1 000 euros et la création d’un comité de contrôle pour l’utilisation de ces dons.
Il confère, par ailleurs, au gouvernement la possibilité de créer un établissement public chargé de concevoir et réaliser les travaux de restauration et de conservation de la cathédrale victime des flammes le 15 avril.
Stéphane Bern inquiet d’« une loi d’exception »
L’animateur Stéphane Bern, chargé d’une mission patrimoine par le président Emmanuel Macron, s’est aussitôt dit inquiet d’une « loi d’exception ». « Cela nous inquiète. Le risque est de créer des précédents. Il y a beaucoup de précipitation. Les lois d’exception, ça m’angoisse toujours », a-t-il déclaré à l’Agence France-Presse (AFP).
L’ancien ministre de la culture Jack Lang a, pour sa part, salué « la célérité » de l’action du gouvernement, tout en exprimant, lui aussi, sa « réserve » sur les dérogations aux règles du marché public. « Nous avons, par le passé, mené à bien des chantiers d’ampleur sans avoir besoin d’une telle disposition, a observé M. Lang. En neuf mois, nous avons redoré ainsi le dôme des Invalides en 1988, et, en quatre ans, nous avons restauré la totalité du palais du Louvre sans aucune dérogation. De même la cathédrale de Strasbourg et beaucoup d’autres chantiers. »
Avant l’annonce de ce projet de loi, la Fédération des professionnels de la conservation-restauration (FFCR) avait regretté mercredi être exclue du débat sur la restauration de Notre-Dame. « Nous avons constaté l’absence totale du terme conservation-restauration au sein des débats, [alors] qu’en matière de préservation, de conservation ou encore de reconstruction seuls le temps long et la concertation garantissent une prise en compte globale, réfléchie, harmonieuse et pérenne des enjeux », déplorait un communiqué de la profession.
La Cour des comptes contrôlera les fonds
S’agissant des dons, qui ont atteint plus de 850 millions d’euros en trois jours, la Cour des comptes a annoncé mercredi qu’elle contrôlerait les fonds collectés, jugeant que « l’importance des sommes en jeu » et « l’impact fiscal » des dons justifiaient « une vigilance particulière ».
Une enquête pour « escroquerie en bande organisée » visant des personnes ayant lancé « frauduleusement » des appels aux dons a, d’ailleurs, été ouverte vendredi, selon le parquet de Paris, qui appelle à la vigilance. Cette enquête a été ouverte à la suite d’une plainte de la Fondation du patrimoine visant des personnes profitant du contexte pour tenter de solliciter frauduleusement des dons en son nom.
400 millions d’euros de dons déjà collectés
Les promesses de dons ont en effet afflué après l’incendie, au point d’atteindre des montants inédits, venant de tous horizons : des milliardaires, des collectivités, des entreprises et de très nombreux particuliers.
Selon les quatre organismes chargés de collecter ces dons, plus de 400 millions d’euros ont été déjà rassemblés. C’est la Fondation Notre-Dame (FND), association caritative catholique, qui a vu affluer le plus de dons, soit un total de 211,3 millions d’euros. Les grands donateurs, mécènes et soutiens étrangers, tels que le roi du Maroc ou la Serbie, ont apporté 206,7 millions d’euros.
La collecte lancée par la Fondation du patrimoine s’élève, pour sa part, à 164 millions d’euros. La somme « comprend les dons des particuliers (22 millions d’euros) et le mécénat des entreprises (142 millions d’euros) », rapporte un communiqué, précisant que les dons moyens s’élèvent à 101 euros. Au total, 218 500 donateurs, provenant de plus de 160 pays, ont participé à cette collecte.
De son côté, la Fondation de France a reçu 50 000 dons pour un montant de 25 millions d’euros, dont 75 % proviennent d’entreprises. Enfin, le Centre des monuments nationaux (CMN) a recueilli 3 millions d’euros, en majorité de particuliers mais aussi de petites entreprises.
AFPn 24 avril 2019